Seulement environ 57 % des dossiers de corruption transmis de 2006 à 2024 aux instances judiciaires et administratives par l'Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) et l'Unité Centrale de Renseignements Économiques et Financiers (UCREF) ont pu être retracés, selon une enquête d’Ensemble Contre la Corruption, réalisée sur l'état d'avancement de ces affaires.
En effet, ces investigations ont été menées entre décembre 2024 et juin 2025 au niveau des 12 juridictions de première instance du Cap-Haïtien, des Cayes, de la Croix-des-Bouquets, de Fort-Liberté, des Gonaïves, de la Grande Rivière du Nord, de Hinche, de Miragoâne, de Petit-Goâve, de Port-au-Prince, de Port-de-Paix et de Saint-Marc, ainsi qu’au niveau des trois Cours d'Appel du pays et de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA).
Les enquêteurs ont constaté lors de leurs recherches que l'Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) a transmis 96 rapports d'enquête aux institutions judiciaires et administratives de 2006 à 2024. De son côté, l'Unité Centrale de Renseignements Économiques et Financiers (UCREF) a acheminé, de 2005 à 2024, 70 dossiers aux juridictions de première instance de la Croix-des-Bouquets, de Port-au-Prince, de Port-de-Paix et de Saint-Marc. Ce qui donne un total de 166 dossiers transmis par l'ULCC et l'UCREF. Parmi eux, 95, soit 57,23 %, ont été ainsi retracés.
L'ECC indique que les résultats de l'enquête sur l'état d'avancement des dossiers de corruption transférés pour suivi par l'ULCC et l'UCREF aux instances judiciaires et administratives prouvent que l'impunité des crimes financiers constitue la règle en Haïti, mettant également en évidence le niveau alarmant du dysfonctionnement de l'appareil judiciaire haïtien et de la CSCCA, ainsi que les méthodes de classement des dossiers qui rendent difficile l'accès à l'information.
« À côté de ce dysfonctionnement institutionnel, les méthodes archaïques utilisées pour le classement des dossiers empêchent les Cours et Tribunaux de retracer les informations et de pouvoir les communiquer à ceux et celles qui en font la demande. Et, lorsque le personnel rencontré manifeste sa bonne volonté pour fournir les informations sollicitées, survient alors un problème de disponibilité de leur part, puisque les archives, étant manuscrites pour la plupart, exigent un temps énorme de recherches », lit-on dans ce document.
Soulignant qu'en raison de certains registres des Parquets qui ont été égarés et d'autres détruits, des Tribunaux de première instance, des Cours d'appel, ainsi que de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) qui n'accordent aucune importance au traitement des affaires de corruption qui leur sont confiées, la destruction de plusieurs bâtiments publics — dont la Cour de cassation et le Palais de Justice de Port-au-Prince — lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010 a entraîné une perte massive de données, dont des dossiers de corruption. Cette perte de données constitue un handicap majeur à l'efficacité de la justice et favorise l'impunité, car les personnes soupçonnées dans les dossiers perdus et dans les dossiers qui ne peuvent être retrouvés ou reconstitués risquent de ne jamais être punies ou disculpées, précise le rapport.
L'ECC dénonce le manque de volonté des autorités de traiter les dossiers de corruption transférés depuis 2006, qui sont à ce jour soit en cours, soit égarés, soit bloqués dans les tiroirs, ce qui fait que plus de 97 % d'entre eux stagnent dans les Cours et les tribunaux. La structure estime que les faits révélés par cette enquête témoignent de la gravité de la situation et confirment l'urgence de remédier de manière concrète et durable aux dysfonctionnements liés au traitement des dossiers de corruption, arguant que ce rapport met en lumière l'ampleur de la corruption qui gangrène le pays et ses effets dévastateurs sur la non-réalisation des droits sociaux et sur le développement du peuple haïtien.
Par ailleurs, l'institution condamne la complicité du système judiciaire dans la perpétuation de cette culture de corruption, favorisée par l'impunité, ce qui porte l'organisation à déplorer le fait que les intérêts de l'État haïtien ne soient ni protégés ni défendus. Rappelant que ces fonds colossaux soustraits illégalement au Trésor public auraient pu financer la construction d'hôpitaux, d'écoles, de routes et d'autres infrastructures essentielles au redressement du pays. « Pourtant, aucune mesure concrète n'a été prise pour endiguer cette vague de corruption, ni pour exiger des comptes aux individus mis en cause », déplorent les responsables de l'ECC.
Fortes de ces révélations, Ensemble Contre la Corruption recommande aux autorités étatiques de renforcer la sécurité des différentes Cours et Tribunaux du pays, d'informatiser les bases de données des Cours et Tribunaux du pays, de retracer avec la justice tous les dossiers qui lui ont été acheminés et de reconstituer ceux pour lesquels aucune information n'est disponible, de procéder à la modernisation de la justice par la numérisation complète des données judiciaires, de publier la loi d'accès à l'information et d'adopter les mesures nécessaires en vue de rendre opérationnel le Pôle Judiciaire Spécialisé dans la répression des crimes financiers.
Sheelove Semexant