À la découverte de la commune de Bahon célébrant sa neuvième décennie

Elles ne sont pas nombreuses en Haïti, les zones ayant conservé jusqu’à présent une culture locale intacte avec des sites touristiques et historiques d’une valeur importante. Car, la mondialisation nous inonde de valeurs à portée universelle, tout en estompant les nôtres. Ainsi, les habitants perdent leur goût local au profit d’un vernis culturel étranger et parfois suicidaire. Bien qu’isolé et même inexistant au point de vue d’infrastructures, Bahon est pourtant l’une des rares communes à garder plus ou moins cette richesse, dont abonde de faits d’un intérêt hautement sociologique, pourtant ignorés.       

            Commune du département du Nord d’Haïti, Bahon, autrefois appelé Rak-Zenga comme 5e section communale de la Grande Rivière du Nord, fut fondé en 1910 et élevé au rang de commune en 1932, par le décret du 25 août 1932, dont ses limites ont été déjà fixées par le décret du 22 novembre 1926. Ce qui signifie que  ce 19 mars 2022, les habitants de ladite zone commémorent le 90e anniversaire de l’existence de leur ville et s’approchent timidement du centenaire. Elle est divisée en 3 sections communales : Bois-Pin, Bailly, Montagne noire, avec chacune des caractéristiques propres et s’étend sur une superficie de 81, 71 km2 sur laquelle vivaient 17 417 habitants depuis 2003 (IHSI, 2003). À noter que cet article ne vise pas une description de la commune ou d’en dresser une monographie, mais plutôt d’exposer un aperçu, en termes d’originalité.

La portée historique et touristique de la commune de Bahon

          Certes mise à l’écart, la commune de Bahon s’érige pourtant en un terrain d’un héritage culturel à bercer et préserver. Selon l’entretien que nous avons eu avec Cédric Mésidor, un jeune visionnaire de la zone, cette dernière compte plusieurs sites historiques et touristiques. Tels que :

Fort Capois : Camp ʺCacoʺ de la résistance durant l’occupation américaine (1914-1934), il est une enceinte palissade située dans la section communale de Bois-Pin. On y accède que par des sentiers menant au sommet qui ouvre les horizons magnifiques de la vaste plaine du Nord (Nord, Nord ’Est) et des bassins versants avoisinantes ;

Cloche coloniale : C’est un poteau dont l’extrémité s’est pendue en forme d’une cloche, à Colmine, habitation de la section communale de Bois-Pin ;  

Grotte de Bailly : À Nicolas, habitation de la 2e section de Bailly, a été enregistrée une immense grotte qui fait la beauté de la nature et procure des charmes hors du commun ;   

Masure « Makanda » : C’est un espace où l’on trouve des vestiges ou débris d’une construction qui, d’après certains notables de la zone, appartenait à François Mackandal, un esclave marron et meneur de plusieurs luttes au temps colonial. D’où son nom  de : « Masure Makanda ; »

Fort Rivière : localisé dans la 3e section Montagne noire, il est un endroit stratégique très élevé donnant accès à plusieurs autres communes. On y observe plusieurs pièces de Canots. À proximité du fort, se trouve une grotte nommée « Wòchaplim» avec une nappe dedans qui, pour certains, héberge des esprits ou des loas. Beaucoup y viennent déposer leurs possessions d’offrande et vénérer l’esprit adopté  (mayi griye, tchaka, mousa manyòk, limen balèn, trase vèvè…). D’autres le désignent à un sanctuaire entretenu par lui-même avec des reliques sacrées. Ce faisant, en y passant par devant, il est recommandé de saluer «Sa nou pa wè yo», en enlevant sa casquette ou son chapeau, y versant quelques gouttes de clairin et surtout ne pas faire de bruit. Car, il ne faut pas troubler les esprits qui travaillent sans relâche à la protection des âmes aux enveloppes mortelles comme nous.  

    Partant de là, cela aurait pu être un facteur économique pouvant offrir certaines infrastructures à la zone, s’ils avaient été valorisés. Malheureusement, les autorités font peu de cas et ignorent parfois leur existence. Ils sont réduits en des espaces ordinaires couverts d’herbes ou d’épines. En outre, le climat est attrayant et les Bahonnais sont réputés pour leur hospitalité. On se sent toujours chez soi lorsqu’on séjourne là-bas. Car, l’accueil est toujours familier. Ils pratiquent plusieurs sports, mais il semble que le volley-ball est dans l’ADN même des Bahonnais. Ils ont remporté plusieurs championnats régionaux et ont été même sacrés champions avec la catégorie masculine. La terre bahonnaise pousse pas mal de cadres intellectuels également qui sont éparpillés à travers tout le pays et ailleurs. Mais qu’en est-il  de sa sphère économique ?

Les activités économiques pratiquées  

            La principale source de revenus des Bahonnais est l’agriculture. Les habitants de ladite commune s’adonnent de corps et âme au travail de la terre pour subvenir à leurs besoins. Le coumbite est fortement pratiqué avec une autre pratique baptisée «bout kòd», laquelle consiste à mesurer à l’aide d’une corde ou d’un bâton la superficie à défricher ou son « tare », tout court. Presque pas de plaine, on travaille dans les mornes. Parfois, on a du mal à y traverser et glisse vers le bas en course ballonnée pendant que les travailleurs, eux, défrichent la terre en dansant adroitement, comme s’ils étaient dans leurs propres chambres.

            Cependant, étant donné que la quasi-totalité des 81, 71 km2 de la commune se constituent de montagnes et de vallées, cela empêche de développer l’agriculture pratiquée. Car, le sol bahonnais est plutôt adapté à la culture du café, cacao, coton, mais ne permet pas aux paysans de cultiver les plantes localement plus rentables comme le riz, mais, pois... Étant à la recherche des terres fertiles (tankou lagon), les agriculteurs sont obligés de se diriger vers une autre commune du département du nord, Quartier Morin, laquelle possède de vastes plaines favorables à l’agriculture. Ils s’y installent, louent des chambres de maison, afferment des parcelles de terre et peuvent même revenir chez eux jusqu’à 6 mois. Il y en a qui font 2 récoltes par année : « ti sezon - gran sezon ».  À ce moment, les enfants sont confiés à la charge de l’ainé (e) et à défaut d’un enfant suffisamment grand pour s’occuper des plus petits, ces derniers sont placés sous la garde d’un proche familial.

           Se consacrant ainsi au travail de la terre, les Bahonnais s’offrent par la suite l’un des plus grands marchés publics du Nord. Les acheteurs de toutes les communes dudit département et ailleurs s’y convergent chaque mercredi pour se ravitailler en marchandises. Dès dimanche, jusqu’au mercredi matin, on quête dans les jardins de quoi apporter au marché. Puisque c’est le jour le plus spécial et donc non négociable pour les habitants de la zone. Personne n’oserait rester chez soi. Les femmes, sacs/paniers sur la tête, se dirigent en équipe dès l’aube vers le marché. Les hommes, quant à eux, coq sous les bras et sacs aux dos. Ceux qui viennent de loin passent prendre en compagnie ceux qui sont plus près, en clamant haut et fort : « Sese ! Sese ! Koko ! Koko ! Komè ! Komè ! Konpè ! Konpè ! Annay ! Ou pa pray ??? ». Ils se blaguent, s’éclatent de rire à travers toute la route. Si l’on a besoin de quelqu’un, on peut ne pas pouvoir avoir la chance de le voir quelque part d’autre, mais mercredi, viens au marcher et ton compte sera sûrement réglé. C’est le grand rendez-vous à ne pas rater.   

  En somme, il est à constater que Bahon est une commune culturellement riche : des sites touristiques et historiques importants, une réalité rurale à explorer... Surtout avec le travail de la terre qui se fait suivant des principes purement traditionnels. Il constitue un endroit à explorer et à entretenir afin de mettre en valeur sa richesse. Car, au temps de la colonie, la zone a été bien valorisée pour ses productions de café, cacao, coton et a été même reliée à Cap-Haïtien via un chemin de fer. Mais, de nos jours, elle est sombrée dans le mépris, oubliée de la République. Il est grand temps que la jeunesse bahonnaise se responsabilise afin de s'offrir  une ville prospère à la hauteur de son nom et son histoire.

 

Serge BERNARD, Sociologue & activiste politique.

            Références

Haïti. Justice. Bulletin des lois et actes ; 1926. Port-au-Prince : Imp. Nationale, 1927, pp. 410-411.

Haïti. Justice. Bulletin des lois et actes. Port-au-Prince : Imp. de l’Etat. 1932, p. 215.

Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI). Recensement General de la Population et de l’Habitat. Port-au-Prince (2003)

Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE). Éléments de problématique départementale du Nord, Vol. 1, 391 p.

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