Quel avenir pour les musées en Haïti ?

Durant l'année 2022, le conseil international des Musées (ICOM), dont la République d'Haïti est membre, organise la journée internationale des musées autour du thème: “Le pouvoir des musées”.

Derrière cette thématique qui sera largement abordée lors de la journée du 18 mai 2022,  l’ICOM rappelle et précise que : “Les musées ont le pouvoir de transformer le monde qui nous entoure. Lieux de découverte incomparable, ils nous renseignent sur notre passé et ouvrent notre esprit à de nouvelles idées-deux étapes essentielles pour construire un avenir meilleur.”.

Du pouvoir d’atteindre la durabilité, en passant par le pouvoir d’innover en matière de numérisation et d'accessibilité ; Et le pouvoir du renforcement de la communauté par l'éducation, ce sont parmi les dimensions qui seront prises en compte autour de la problématique et des opportunités des musées dans le monde. Quel avenir pour les musées en Haïti ?  

Des années avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010, en Haïti, suivie dix ans plus tard par la pandémie de coronavirus, et désormais avec l’institutionnalisation de l'insécurité et la violence des gangs armés, on a du mal à encourager des familles et des groupes multiculturels et professionnels à prendre le risque, de se rendre dans les rues de la capitale haïtienne, pour participer dans certaines manifestations culturelles et surtout visiter régulièrement des expositions dans les rares galeries d’art et des musées et les musées du pays.

Des musées en tant que vitrines de la culture haïtienne, sont pratiquement parmi les principales grandes victimes de la situation d'insécurité que connaît le pays.

Douze ans après, les locaux du musée d’art haïtien du Collège Saint-Pierre, qui tardent encore  à rouvrir ses portes, après les importants dommages causés par le séisme de  janvier 2010.

Dans l’aire du champ de Mars, les deux principaux musées publics, le Musee du Pantheon national d’Haïti (MUPANAH) et le musée du Bureau national d’Ethnologie (BNE) continuent d’organiser des expositions permanentes et périodiques, en dépit du retrait significatif du public traditionnel, des passionnés de l’histoire et des traditions ancestrales, qui ne souhaitent pas risquer leurs peaux  à la sortie d’une exposition.  

Dans le centre-ville de la capitale, la crise du Covid-19, suivie de la situation d'insécurité chronique en dehors de l’environnement insalubre de l’ancien centre d’affaires environnant la place Geffrard, rendent pratiquement difficile la reprise de grand nombre des réunions importantes dans les locaux du centre de Convention et de Documentation de la banque de la République d'Haïti, encore moins la reprise des visites  au musée numismatique de la banque centrale.

Du musée du Parc historique de la Canne à sucre, on retiendra les belles années du parc historique, et le déclin de l’attraction touristique et culturelle de la zone de Tabarre au fil des mois en cours.   

De moins en moins de familles et des touristes fréquentent la Côte des Arcadins, une situation qui n’encourage pas trop de monde à visiter les locaux du prestigieux musée Ogier Fombrun qui siège dans le complexe de Moulin sur Mer.

De riches collections d'œuvres d’art dorment dans les locaux du musée d’art Nader à Pétion-Ville, dans une commune qui perd au jour le jour ses lettres de noblesse, jusqu'à rendre difficile l'accès aux locaux du musée.

De nombreux cas d’enlèvement et d’assassinats perpétrés dans la zone de Turgeau, ont contraint les responsables du Collectif Haïti Musée à reprendre les activités d’animation et de promotion des expositions au nouveau musée d’histoire des Femmes d’Haïti situé à Pacot, qui avait ouvert ses portes en 2020, pour accueillir plusieurs groupes d’écolières des écoles de filles de la capitale, notamment du Lycée Marie-Jeanne.

Des activités culturelles se poursuivent malgré tout dans les locaux du Centre d’Art et de la Maison Dufort, deux des principaux équipements culturels importants, associés au réseau de la Fokal. Entre formations et expositions, animations et rencontres multiples, ces opérateurs participent à une véritable résistance culturelle dans la capitale haïtienne.

D’autres équipements culturels sociologiques, comme le musée de Noailles a été contraint de fermer ses portes ou de fonctionner dans l'indifférence totale du public et de la médiation culturelle, avec l’augmentation accélérée des violences urbaines dans la zone de Croix-des-Bouquets au cours des derniers mois. Au moins un artisan spécialisé dans la technique de fer découpé a été assassiné, et plusieurs membres des familles qui composent ce village artistique sont contraints de laisser la communauté ou de garder un profil bas.

Des visiteurs continuent de visiter le musée de Fermathe, comme le site écologique et sociologique de Wynn Farm, sans vraiment faire écho dans les médias et sur les réseaux sociaux de la richesse culturelle, historique, naturelle ou patrimoniale de ses sites.

De la succursale du musée numismatique de la BRH au Cap-Haïtien, en passant par le musée Guayaba du Limbé et le centre d'interprétation du Carnaval à Jacmel, ce sont parmi les équipements établis en dehors de la capitale haïtienne, qui ne participent pas véritablement dans la dynamisation de ces communes respectives, par le manque de mobilisation des ressources et d’absence de promotion autour de leurs collections et des expositions inédites, innovantes et adaptées aux besoins des communautés et aux attentes de leurs publics respectifs.

Des collections qui sommeillent et attendent que la paix revienne dans la ville. Des expositions qui cherchent des publics et des sponsors pour devenir itinérantes. Et des professionnellement des arts et de la culture, nouvellement formés qui souhaitent renforcer des équipes de recherche et de conceptualisation, de conservation et de restauration,  de promotion et d’animation, de médiation et de communication pour rendre plus efficace et dynamique les anciens, nouveaux et futurs musées qui doivent assurer la conservation et la pérennisation du patrimoine national.

Des pans importants du patrimoine national haïtien attendent dans l'indifférence et l’indigence des interventions publiques pour inventorier, collecter, conserver, sauvegarder et valoriser  ces fragments qui sont de nature matérielle et naturelle, naturelle, artistique, historique et culturelle.  

Pourquoi faire des musées en Haïti ?  Quel avenir pour les musées en Haïti ?  Quelle politique publique autour des musées en Haïti ?  Quelle place occupent les musées dans la politique culturelle haïtienne en dehors de l’utilisation des locaux du MUPANAH pour les commémorations et les célébrations des manifestations officielles ?

Du pouvoir des musées dans le monde, en passant par le déboire des musées italiens, il manque une volonté politique pour inscrire les musées dans la liste des plus importantes et prestigieuses institutions culturelles du pays.  À quand les états généraux des musées en Haïti ?  À quand la création d’un fonds d’investissement pour recapitaliser et renforcer les musées en Haïti ?

Dominique Domerçant

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