L’École supérieure d’infotronique d’Haïti au rendez-vous de ses défis scientifiques et pédagogiques

NDLR – Le National publie aujourd’hui la seconde partie de l’entrevue exclusive accordée au linguiste-terminologue Robert Berrouët-Oriol par Patrick Attié, Directeur de l’École supérieure d’infotronique d’Haïti. Le lecteur y trouvera une mine de renseignements aussi passionnants qu’utiles et qui éclairent amplement l’ensemble des questions abordées.

(Deuxième partie)

RBO – Sur le marché de l’offre éducative en Haïti, qu’est-ce qui singularise celle de l’École supérieure d’infotronique d’Haïti ?Est-ce la spécialisation qu’elle offre à travers « un programme intégré avec deux filières spécialisées, les sciences informatiques et la gestion des entreprises »? De manière plus précise, sur les plans technique/scientifique et pédagogique, qu’est-ce qui distingue l’offre de l’ESIH de celle des autres écoles techniques ?

PA – Au début de son existence, l’ESIH offrait un seul diplôme de licence en Sciences informatiques (filières télécommunications et programmation). Un problème s’est rapidement présenté. En effet, les employeurs de nos diplômés étaient en général satisfaits de leurs compétences techniques mais déploraient leur manque de culture d’entreprise.

Nous avons donc mis en place une licence en gestion d’entreprises avec des passerelles entre les deux licences. Le problème était alors parfaitement symétrique, selon les retours des employeurs : les diplômés en gestion d’entreprises n’étaient pas assez techniques -- pour concevoir et maitriser, par exemple, un système d’information—tandis que ceux en sciences informatiques n’étaient pas assez compétents en matière de gestion d’entreprise.

L’ESIH a opté pour une formule d’intégration des deux programmes comportant un tronc commun technique et gestion, au début, puis un choix de filière (sciences informatiques ou gestion).

Enfin, la langue dans laquelle les enseignements sont réalisés étant le français, la plupart de nos partenaires étant francophones et en vue d’augmenter la lisibilité de nos programmes par nos partenaires étrangers, il nous a paru naturel de structurer nos programmes de formation selon le modèle européen LMD dans lequel seuls trois niveaux sont reconnus : la Licence, le Master et le Doctorat. Ce modèle est aussi reconnu à travers le monde, par nos partenaires caribéens, nord-américains et d’Amérique latine.

L’ESIH, de par la nature de sa spécialisation, encourage et fait la promotion du dynamisme et du sens de l’initiative de ses étudiants qui cogèrent ou encore qui sont à l’origine de nombre d’activités extracurriculaires. La page Facebook institutionnelle est là pour en témoigner.

Une autre caractéristique que l’écosystème de l’ESIH et sa communauté étudiante offrent à la société civile, est sa participation à des projets à forte composante technologique, le plus souvent dans le cadre de consortiums internationaux.

Ces projets permettent d’établir ou de consolider des partenariats, de proposer et/ou d’acquérir un nouveau savoir-faire, de financer des activités ou des infrastructures et d’offrir à nos étudiants la possibilité d’accéder à des activités souvent rémunérées ainsi qu’à des formations extracurriculaires pendant leurs études. À titre d’exemples, l’on peut citer, pour les plus récentes :

  • Le projet Osmose (financement ANR, partenaires : la Faculté des sciences de l‘UEH et de nombreuses institutions de recherche françaises) : l’ESIH a pour tâche de développer une application utilisant la réalité virtuelle pour immerger une personne au sein d’une simulation 3D d’un séisme et de collecter des données afin d’analyser son comportement durant l’expérience.
  • Un camp intensif de 2 mois en astrophysique organisé par CENCA Bridge (Central American-Caribbean Bridge in astrophysics).
  • Un camp intensif en analyse de données organisé par AnalyticsIntell (entreprise basée à New York)
  • Le projet Erasmus+ appelé CLAU.DI.A financé par l’Union européenne : l’ESIH aura pour responsabilité de former des artistes de la Caraïbe à l’utilisation de la réalité augmentée pour leur permettre de promouvoir leurs œuvres de manière innovante. Le résultat sera une grande exposition qui donnera au public l’opportunité de découvrir la culture digitale caraïbéenne à travers l’œuvre de ces artistes.
  • Un camp intensif de programmation de 400 heures est en cours de préparation financé par la Banque mondiale, conçu par l’entreprise française Le Wagon considérée comme l’une des meilleures en France.
  • Dans le cadre du projet Matrimoine financé par l’AUF, une structure professionnelle de formation hybride à distance a été mise en place afin de disposer d’une plateforme de FOAD (effet colatéral des défis Covid et « Peyilocks ») qui s’appuie sur la solution commerciale appelée Thinkific. L’expérience ainsi acquise a déjà été mise à profit afin de venir en aide à plusieurs universités du Sud pour mettre rapidement en ligne des contenus.

Pour résumer ces activités, leur principal objectif est d’enrichir, autant que faire se peut, la formation académique des étudiants :

  • à travers une expérience professionnelle associée à une participation à des projets locaux ou internationaux.
  • par le biais de formations additionnelles ayant pour origine une initiative d’individus, d’entreprises ou d’organismes externes à l’ESIH.

L’ESIH appartient à la fois au monde ô combien innovant et passionnant de la science et des technologies et à celui de l’écosystème de l’enseignement supérieur. Il s’agit de deux univers au service de la jeunesse et qui font face de manière frontale aux défis de l’heure qui sont tous de taille : catastrophes naturelles, changement climatique, démographie, réduction des inégalités pour une meilleure répartition des biens et services, gouvernance, etc.

RBO –Sur le registre des compétences techniques, managériales et pédagogiques des enseignants, quelles sont les exigences de l’ESIH ? L’enseignant doit-il être obligatoirement un ingénieur en informatique, un technicien de réseaux, un spécialiste de la cybersécurité, un diplômé d’une grande école de gestion, un administrateur doté d’une longue expérience en gestion des entreprises ?

PA – Les neuf unités d’enseignement (UE) de l’ESIH sont, pour certaines, mais non point toutes, spécifiques au domaine de l’informatique. Aussi, pour ce qui est des éléments constitutifs d’enseignement (ECE), il y en a trois pour lesquels le recrutement d’enseignants est plus aisé, ou, tout au moins, moins problématique, car il s’agit de profils de formateurs ou de vacataires plus courants.

Depuis plusieurs années, l’ESIH exige de tout membre du corps professoral un Master au minimum ou, s’agissant des TIC, la capacité avérée de posséder une expertise dans le domaine concerné. Longtemps, le recrutement s’est effectué par cooptation, un membre du corps enseignant connaissant et recommandant un candidat au profil adéquat. De même, pour les profils plus « rares » ou « spécifiques », le milieu étant petit, c’est soit la cooptation soit la candidature spontanée qui ont permis de repérer les enseignants qu’il fallait. Plus récemment et tenant compte du fait que le réseau local et international d’anciens élèves de l’ESIH est devenu important, l’institution fait de plus en plus appel à ses anciens.

Cependant, force est de constater que les recrutements ont rarement pu être faits en qualité et en quantité suffisants, nonobstant une mobilisation de tous les membres de l’écosystème TIC d’Haïti. Il s’est toujours avéré extrêmement problématique de bénéficier de l’exclusivité ou de retenir longtemps les cadres hautement qualifiés --aux compétences fortement demandées sur la place aussi bien par l’enseignement que par d’autres secteurs d’activité économique ou par l’Administration publique. De plus, la capacité de rétention et le recrutement même de compétences sont devenus, du fait de la complexification du contexte haïtien, un véritable casse-tête.

À l’instar des écoles d’ingénieurs françaises, l’ESIH a eu recours à une grande diversité de stratégies pour toujours s’assurer de disposer des ressources nécessaires : le financement d’études plus poussées, voire de doctorats pour des diplômés en échange de restitution d’expérience ou de cours spécialisés; l’organisation de séminaires ou d’autres formations intensives (de type Bootcamp) à durée déterminée par des consultants qualifiés, y compris des anciens résidant en Haïti ou à l’étranger; la venue d’enseignants « visiteurs » sur financement externe; des experts locaux ou étrangers, etc.

Force est de constater que l’originalité de l’ESIH a résidé dans sa politique consistant à combiner l’emploi d’anciens étudiants, le recours aux stages et aux activités extracurriculaires pour compléter ou consolider la formation en classe et mettre les jeunes en immersion dans la réalité nationale à travers un solide réseautage; la capacité très tôt de pouvoir avoir recours aux outils technologiques pour les formations en ligne synchrones et l’habitude d’employer les séminaires et formations complémentaires pour tous les ECE et disciplines non disponibles en Haïti (VR/AR, Data Analytics, Blockchain, etc)…

RBO –Quelles sont les caractéristiques sociologiques générales des étudiants en formation àl’ESIH ? Doivent-ils obligatoirement être détenteurs du diplôme de fin d’études secondaires pour s’inscrire dans votre institution ?

PA – L’ESIH est un établissement qui, depuis sa création, est stratégiquement situé non loin du centre-ville de Port-au-Prince, accessible aux transports en commun en provenance de l’ensemble des quartiers nord-sud-estet ouest de la zone métropolitaine.

Ses étudiants sont les filles (25-30%) et les fils de ménages haïtiens de Port-au-Prince ou des provinces (15-20%) appartenant à la classe moyenne, y compris de la portion basse de cette tranche de population. Notons qu’il s’agit de la même catégorie socioprofessionnelle que celle des jeunes Haïtiens qui se rendent en République Dominicaine.

Il leur est demandé d’être titulaires d’un Bac II. Il n’y a pas de concours d’entrée pour être admis à l’ESIH. Tout jeune souhaitant ardemment apprendre et qui se montre soucieux de développer sa capacité d’abstraction se voit offrir une chance d’être accompagné et de réussir !

RBO –Au terme des différents cycle d’études, quels sont les diplômes obtenus par les étudiants à l’ESIH ? Trouvent-ils des débouchés dans les entreprises de leurs domaines de spécialisation ?

Au départ, lors de sa création, l’ESIH n’offrait en tout et pour tout qu’un seul diplôme, la Licence, dans un unique domaine, les Sciences informatiques, dans deux de ses filières-clé il est vrai à l’époque, les télécommunications et la programmation.

Plus tard, comme mentionné plus haut, suite à l’analyse des placements des premiers diplômés, et à la demande de leurs employeurs, dont l’ESIH était à l’écoute, l’établissement a créé une autre Licence, mais cette fois-ci en gestion d’entreprises.  L’ESIH a toutefois veillé à conserver et/ou à créer des passerelles entre les deux licences.

Au bout de quelques années, l’ESIH a jugé opportun de resserrer les liens entre ces deux filières et a adopté une formule intégrant les deux programmes de formation en proposant un départ sur la base d’un tronc commun (technique et gestion) qui se poursuit par le choix d’une des deux filières : sciences informatiques ou gestion.

Entretemps, un Diplôme universitaire de technologie (ou DUT) a été proposé aux apprenants particulièrement axés sur les volets graphique, développement web et réseaux.

De manière plus stratégique, et dans une vision à plus long terme, la Direction prenait la décision d’adopter le modèle européen LMD. De fait, le corps professoral eut alors pour tâche de repenser et de proposer des maquettes respectant les formats et directives de ce système de grades.

L’ESIH offre l’intégralité du cursus, jusqu’au Master 1 sur son site, en présentiel, et pour ce qui est des Master 2 et du Doctorat, en ligne, en partenariat ou en co-diplomation avec des établissements étrangers du réseau d’établissements francophones, pour la plupart.

À ce jour, l’ESIH compte approximativement 2 000 diplômés, détenteurs de Licence et environ 500 de Master. Les anciens docteurs soutenus financièrement par l’établissement ou/et par l’AUF sont au nombre de 5 et, aujourd’hui, l’ESIH dénombre 3 doctorants (dont deux en mathématiques) qui ne sont malheureusement pas en co-diplomation.

Selon les chiffres dont elle dispose pour 2021, 51% des détenteurs de Licence ont trouvé un emploi dans les six mois, tandis que le taux s’élève à 86% pour les titulaires de Master, les secteurs technologiques restant privilégiés en termes d’offre d’emploi, malgré la situation socio économique actuelle.

Les diplômés de l’école sont, en règle générale, employés dans le domaine des TIC ou dans un domaine qui lui est proche, que ce soit dans le secteur public ou privé. Ils sont recrutés par des organisations nationales aussi bien qu’internationales. Les anciens ont aussi une forte propension à l’auto-emploi ou à la création d’entreprise.

Ainsi, plusieurs startups comme, par exemple, SeenkNCheck, Doralya ou Code9Haiti ont été créées par d’anciens élèves de l’ESIH.

Il est aussi important de noter que l’un des plus gros défis pour l’ESIH, envers ses anciens étudiants titulaires d’un doctorat, est d’être compétitif (infrastructures et salaires) par rapport aux offres des marchés internationaux. En effet, dans le secteur des technologies de pointe (AI, Machine Learning, Blockchain, Réalité Virtuelle/Augmentée, IoT, etc.) les titulaires d’un doctorat sont très courtisés, avec des propositions de salaires et des conditions de travail très alléchantes. Ces éléments handicapent sérieusement la capacité locale à garder ces ressources précieuses sur le territoire haïtien.

C’est peut-être là que nous atteignons les limites de l’écosystème haïtien scientifique, universitaire et de recherche, quant à sa capacité à développer des activités de recherche de classe mondiale dans les domaines qui, aujourd’hui, produisent la richesse.

L’ESIH a aussi tenté de lancer une première plateforme d’enseignement à distance, THESS en 2015-2016, pour élargir son offre de services de formation à travers les provinces. Suite au PeyiLòk, en 2019, et au confinement lié au COVID, elle a de nouveau recherché et trouvé une formule de plateforme de FOAD, appelée TAINOS qui s’appuie sur une plateforme commerciale. Cette plateforme est, pour le moment, essentiellement dédiée à l’enseignement, en langue française, des technologies de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée.

RBO – Quelles sont les caractéristiques essentielles du matériel didactique utilisé à l’ESIH (pays de provenance, rédacteurs locaux ou étrangers, langues de rédaction? L’ESIH privilégie-t-elle le matériel didactique, écrit ou audiovisuel, élaboré par ses enseignants ? Accorde-t-elle, en fonction de ses besoins et de ses objectifs, un rôle-phare au matériel pédagogique élaboré en créole ?

PA – L’enseignement de la science informatique est caractérisé par le fait qu’il appartient à la fois aux domaines scientifique, technique et industriel. Il faut initier et préparer les étudiants à des métiers où ils auront à concevoir des programmes informatiques, exécuter des traitements liés au traitement automatique de l’information numérique (data), utiliser des programmes informatiques qui seront hébergés par des dispositifs électriques ou électroniques, des ordinateurs, des systèmes embarqués, des robots, voire des automates, ceci tout en développant leur capacité d’abstraction et en les rendant aussi compétents que possibles dans les développements basés sur les technologies à très forte valeur ajoutée.

Les enseignants fournissent une bibliographie qui accompagne les maquettes et les objectifs pédagogiques des cours. Cependant, la Direction académique met, surtout, à la disposition des étudiants, des ressources en ligne accessibles à partir des équipements et périphériques qui se trouvent dans la Bibliothèque numérisée de l’ESIH. L’ESIH a une équipe de support technique qui veille à ce que l’accès à internet soit disponible pour les étudiants sur le tout le campus.

De ce fait, face à ce savoir…en devenir, les enseignants s’emploient à développer chez les apprenants des compétences, voire des réflexes exacerbés en matière de veille informatique ou technologique pour se tenir informés des outils, des techniques et des signaux faibles inhérents à l’univers numérique. Si la science reste quelque peu stable, les technologies, elles, sont en mode disruptif !

En ce qui concerne la langue, la langue de prédilection de la science et des TIC est sans conteste l’anglais. Le français et le créole n’offrent guère en volume de ressources ce que l’anglais a accumulé depuis des décennies, que ce soit à l’écrit, à l’oral (en audio) ou encore en multimédia (en audiovisuel). La question de privilégier telle ou telle autre langue, ici, ne se pose guère dans la mesure où le multilinguisme, qui facilite l’échange et la compréhension, règne.

Cependant, les interviews pour des emplois ou autres opportunités académiques se faisant en très grande majorité en français ou en anglais, la langue par défaut dans laquelle les enseignements sont donnés est le français, même si les incursions en créole par les enseignants sont fréquentes.

Pour rappel, ces jeunes Haïtiens, « connectés », et qui étudient sont quotidiennement « exposés » à quatre langues : le créole, le français, l’anglais et l’espagnol. De plus, les derniers-nés des TIC, les agents conversationnels (au nombre desquels ChatGPT) sont des outils que les jeunes s’approprient fort rapidement, malheureusement en endormant très souvent leur esprit critique lorsqu’ils utilisent ces puissants outils.

RBO –Dans le processus d’apprentissage des connaissances à l’ESIH, dans les programmes et dans les salles de cours, quelle est la part réservée au français et au créole ? Autrement dit, quelle est la langue principale des apprentissages à l’ESIH ? À prendre comme hypothèse que les étudiants sont de langue maternelle créole, y a-t-il eu une évolution marquée ces dernières années, sur le plan linguistique/pédagogique, vers une plus grande intégration du créole comme langue d’enseignement à l’ESIH ?

PA – Les programmes sont rédigés en français et les cours ex cathedra se font en langue française. Cependant, voici des années que les enseignants, lors des échanges avec les étudiants, passent d’une langue à l’autre (du français au créole, puis du créole au français), le plus souvent afin de s’assurer que le message est bien passé, que le concept et/ou l’explication sont bien comprises par tous et que le processus d’apprentissage est enclenché.

Compte tenu de la multitude de langues employées dans le domaine des TIC, et de la production extrêmement limitée de contenus et de matériel didactique pertinent en langue créole, le débat ne s’est pas vraiment déroulé à l’ESIH. Cependant, la langue créole est souvent utilisée en salle de cours ou lors de conférences. C’est ainsi que l’option de langue Kreyòl Ayisyen est proposée sur le portail web de l’institution depuis l’année dernière.

RBO – J’ai noté, en consultant le site Web de l’ESIH, que votre institution est affiliée à différentes instances de la Caraïbe et de la Francophonie, notamment « l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), la Conférence des recteurs, présidents d’universités et dirigeants d’institutions d’enseignement supérieur haïtiennes (CORPUHA), l’Agence internationale des universités (AIU) et l’Association haïtienne pour le développement des TIC (AHTIC) ». Ce réseautage permet-il à l’ESIH de partager son expertise avec ces instances ? Les étudiants bénéficient-ils des retombées d’un tel réseautage ?

PA – Ce réseautage permet une mutualisation des ressources, un partage d’expériences et d’expertise, la réalisation d’activités en commun. Ainsi, avec quatre universités de région, l’ESIH a pu réaliser un programme de mise en place d’un processus d’assurance qualité, financé par ERASMUS+ de l’Union européenne. Au cours de ce projet, l’ESIH a eu l’idée de concevoir et de faire réaliser, sur fonds propres, un outil basé sur la plateforme PowerBI de Microsoft, une plateforme capable de monitorer les progrès institutionnels dans les multiples domaines d’intervention de l’assurance qualité, véritable système d’information en la matière.

Auparavant, dans le cadre d’une série de réflexions et d’études-bilan entreprises au sein de la CORPUHA, l’ESIH a réalisé l’étude sur le financement des établissements d’enseignement supérieur. Ce travail a comporté une collecte de données facilitée par l’existence même de ce réseau, ce qui a permis aux établissements membres de la CORPUHA de mieux prendre conscience de la nécessité, en Haïti comme cela s’est vu partout ailleurs, de diversifier leurs sources de revenus pour ne pas faire grever le coût des études supérieures seulement sur les ménages. 

De plus, grâce à son adhésion à l’AIU, l’ESIH a participé à des activités de formation axées sur la gouvernance ou encore l’internationalisation. Formations et réseaux qui ont été bénéfiques à l’ensemble de la communauté de l’ESIH à travers la dynamisation des relations avec certains établissements à l’étranger, des formations à distance, ou encore la mobilité estudiantine.

Elles ont aussi permis à l’établissement de diversifier ses sources de revenus, d’offrir ses services de formation ou de tutorat à l’étranger, de participer à des appels à candidatures ou à projets dans le cadre de nouveaux partenariats au sein de consortiums ou encore à contribuer à des enquêtes sectorielles…

L’ensemble de ce réseautage crée une dynamique qui rompt l’isolement dans lequel pourrait se retrouver un établissement comme l’ESIH au plus fort des turpitudes et des crises qui submergent tout Haïti. Dans un espace politique, territorial, économique, social et scientifique aussi limité, il est ridicule de penser qu’un établissement d’enseignement supérieur puisse prétendre être pertinent sans de solides partenariats stratégiques avec des institutions non haïtiennes. Un exemple criant est celui de la mise en place et de la soutenabilité de laboratoires de recherche modernes et productifs sur le sol haïtien (chercheurs, infrastructures, moyens économiques, etc.).

RBO – En lien avec votre expérience d’enseignant et de Directeur de l’ESIH, quels sont les principaux défis que votre institution est appelée à relever sur les plans pédagogique, scientifique et technique au cours des prochaines années ? 

PA – L’ESIH est particulièrement attachée à l’élaboration d’un plan stratégique national pour le développement de la science en Haïti, pierre angulaire, à notre époque, de tout développement économique. En effet, la création d’une masse critique de chercheurs qui font véritablement et à plein temps, de la recherche scientifique, sur le sol haïtien et ceci dans des conditions optimales, est littéralement, aujourd’hui, un enjeu de développement économique. Notons, à ce titre, le cas d’Israël, qui a un ratio de 8000 chercheurs environ pour 1 million d’habitants. Pour ce pays, la fameuse « Silicon Wadi » qui en est le résultat contribue pour environ 10% du PIB israélien. En Haïti (à peu près le même nombre d’habitants), nous pouvons considérer un ratio situé entre 10 et 30 chercheurs par million d’habitants, si nous considérons comme chercheur un individu qui fait effectivement de la recherche au sein d’un laboratoire.

Déjà par le passé, l’ESIH a œuvré aux côtés de l’AAAS et d’autres établissements d’enseignement supérieur haïtiens pour la création d’une association haïtienne pour la promotion de la science et de la technologie. Un autre résultat de cette collaboration a été la publication d’un livret intitulé « Science For Haïti ». Saluons à ce titre la création récente, par le ministre de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, le professeur Nesmy Manigat, de la Commission Nationale de la Science, la Technologie et l’Innovation (CoNaSTI) qui constitue un espoir dans le sens de la création d’un plan stratégique scientifique pour Haïti.

En parallèle, la mise en place durable (pas forcément en même temps) de laboratoires de recherche dans les domaines de l’IA, du « Machine Learning », de la Réalité virtuelle/augmentée, du Blockchain fait partie de l’agenda à moyen et long terme de l’ESIH. Ces laboratoires devront travailler sur des problématiques locales, mais à retombées internationales et cohérentes par rapport à une stratégie nationale.

Dans le viseur stratégique de l’ESIH, l’augmentation de la masse critique de professeurs et de chercheurs à plein temps constitue aussi un élément important de l’assurance qualité du produit final.

Enfin, un peu comme la République Dominicaine l’a fait bien avant nous, des investissements importants sont indispensables afin d’offrir aux étudiants, aux professeurs et aux entités de la société civile haïtienne des espaces, des équipements et des outils de qualité internationale, surtout si nous souhaitons non seulement pouvoir contribuer valablement à la production mondiale de connaissances et déclencher un développement économique du pays mais aussi garder en Haïti les acteurs de cette production de connaissances.

Tout ceci devant bien évidemment être accompagné d’un écosystème entrepreneurial plus ambitieux, audacieux et risqueur, notamment en ce qui concerne les investissements dans les entreprises innovantes sur le sol haïtien.

En fait, les mots-clés « infrastructures », « professeurs », « recherche », « création de valeur » associés à une gouvernance plus moderne et plus audacieuse (« leapfrogging ») sont des ingrédients indispensables qui contribueront à initier et rendre durable un véritable développement économique basé sur l’industrie de la connaissance. Il y a ici une culture à transformer.

 

 

Robert Berrouët-Oriol

Linguiste-terminologue

Montréal, le 2 mars 2022

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