Maladie mentale : des Haïtiens se tournent vers le voudou pour remède

Face au manque cruel de soins de santé mentale en Haïti, des Haïtiens font appel à l’aide de prêtres voudou.

NDLR:  Cette histoire a été initialement publiée par Global Press Journal. Global Press Journal est une publication internationale à but non lucratif (ayant reçu plusieurs prix) qui emploie des femmes journalistes locales au sein de plus de 40 bureaux d’information indépendants en Afrique, en Asie et en Amérique latine .

PORT-AU-PRINCE, HAÏTI : Il est 12 heures pile, heure à laquelle se pratiquent les rituels de soins, et Moléus Jean entre dans le péristyle et commence à se prosterner et à jeter de l’eau depuis un gobelet blanc, et ce, avant de s’installer sur une grande chaise et d’allumer une bougie. Prêtre voudou depuis 20 ans, il est vêtu d’une tunique rouge symbolisant Erzulie Dantor, l’un des principaux esprits du voudou et mère protectrice pour ceux qui subissent oppression et abus. Un mouchoir rouge est noué autour de son bras gauche.

Dans ce temple, il se trouve des Tambours et une table recouverte d’une toile rouge sur laquelle sont placés des bougies, un miroir et des images de Dantor et d’autres esprits. Un panier et un jeu de cartes traînent sur une autre petite table. Divers mélanges à base de plantes et d’eau laissent exhaler une odeur âcre, aigre – presque de pourriture. Le rituel est prêt à commencer.

Aujourd’hui, Jean a pour visiteurs Jores, charpentier, et son fils adulte atteint d’une maladie mentale. Selon Jores, il a emmené son fils pour voir un médecin, mais, révèle-t-il, son état ne s’est pas amélioré, et s’en remet ainsi au prêtre pour obtenir de l’aide. Il ne veut être identifié que par son prénom, car il craint de subir des représailles de la part de son église chrétienne pour avoir cherché de l’aide auprès d’un prêtre voudou.

« Il s’est réveillé comme ça un matin après un sort qu’on lui a jeté », révèle Jores au prêtre. « J’ai foi aux esprits qu’il peut retrouver sa tête ».

Haïti est confronté à un manque cruel de soins de santé mentale. Dans un pays d’environ 11 millions d’habitants, à en croire l’Organisation mondiale de la Santé, on comptait moins d’un psychologue ou d’un psychiatre pour 100 000 Haïtiens, et ce, en 2016. Les deux hôpitaux psychiatriques publics d’Haïti souffrent d’un manque chronique de ressources humaines et financières.

Des chercheurs ont toutefois fait observer que les besoins en services de santé mentale demeurent élevés, le séisme de 2010, la violence généralisée et les troubles politiques ayant contribué à une détresse psychologique déjà profonde chez les Haïtiens. Un été tourmenté, marqué par l’assassinat du président en juillet, un séisme survenu en août emportant plus de 2 200 vies et l’expulsion en septembre de milliers de migrants haïtiens qui étaient arrivés à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, risque d’aggraver ces problèmes.

Toutefois, compte tenu du manque d’accès aux soins, certaines gens se tournent vers le voudou à la recherche d’une solution aux problèmes de santé mentale.

La religion voudou est profondément ancrée dans l’âme de la société haïtienne. Issue de la traite des esclaves venus d’Afrique, elle est un composé de croyances issues des religions africaines traditionnelles, notamment les pouvoirs de guérison des plantes et des esprits. Haïti a reconnu au voudou le statut de religion officielle en 2003, et environ 50 à 80 % des habitants pratiquent une forme de voudou, souvent mélangé à des éléments d’autres religions, notamment le christianisme.

Aux dires de Jacky Georges, comptable, lorsqu’il était enfant, sa mère lui a inculqué la croyance selon laquelle les maladies mentales ne peuvent pas se traiter avec des médicaments, ajoutant qu’il n’a eu aucune expérience positive avec des médecins.

« Lorsque j’étais malade, comme une sorte de folie, on m’a emmené à l’hôpital », confie-t-il. « On m’a prescrit des calmants et autres, [et] malgré tout, rien de tout cela ne m’a aidé ».

Après avoir consulté un prêtre voudou, cependant, Georges dit que son état s’est amélioré. « Aujourd’hui, je me sens vraiment mieux, et je gère ma propre boutique », renseigne-t-il.

Augustin Saint Clou, chef suprême du voudou haïtien, affirme que cette religion peut aider les gens aux prises avec divers problèmes, qu’il s’agisse de problèmes de santé mentale ou d’autres maladies.

La clé, dit-il, consiste à déterminer les circonstances entourant l’apparition des symptômes d’une personne. « Dans notre pratique, on associe la réalité et les choses passées pour avoir un résultat en ce qui concerne les maladies mentales », révèle-t-il.

Selon Frantz Bernadin, médecin et conférencier, un traitement psychiatrique serait sans aucun doute le moyen le plus approprié pour le traitement des maladies mentales. Mais il ajoute qu’un tel traitement peut souvent s’avérer un processus long et complexe, et que les hôpitaux psychiatriques en Haïti n’ont pas les ressources nécessaires pour la prise en charge d’un grand nombre de patients.

Pour nombre d’Haïtiens, confie Bernadin, il existe également une stigmatisation associée à la maladie mentale, et chercher un traitement psychiatrique peut exposer des gens à l’opprobre de la part de leurs voisins, des amis et de la famille. La longue et riche histoire du voudou dans la culture haïtienne amène nombre d’Haïtiens à faire davantage confiance aux prêtres qu’aux médecins et aux scientifiques.

« Ils se sentent à l’aise dans cette ambiance familière », explique Bernadin. Et, ajoute-t-il, leur croyance dans le pouvoir du voudou les amène à croire qu’il est efficace pour traiter les problèmes de santé mentale.

« Sans aucun doute, une campagne d’éducation est nécessaire pour permettre à nos compatriotes de mieux apprécier nos psychiatres et nos psychologues », dit-il.

Le gouvernement admet qu’il n’y a pas suffisamment de psychologues, de travailleurs sociaux et d’autres experts dans le pays pour répondre aux besoins de la population en matière de santé mentale, déclare René Domersant Jr, responsable de la cellule de santé mentale au ministère de la Santé publique et de la Population.

« Il est vrai que les moyens sont précaires en Haïti », affirme-t-il. « Nous reconnaissons que les soins qui sont donnés aux malades mentaux ne sont pas d’un niveau élevé. Il y a beaucoup à faire pour améliorer la prise en charge de la santé mentale en Haïti ».

Il explique que le ministère a dispensé une formation aux médecins généralistes et aux infirmières afin qu’ils soient plus à même de traiter les problèmes de santé mentale, et qu’il forme également les prêtres voudou afin que ces derniers puissent reconnaître et comprendre les maladies mentales et orienter les gens vers des spécialistes en santé mentale.

« Nous savons qu’en Haïti, quelle que soit la maladie, il y a des gens qui consultent les prêtres voudou », dit Domersant. « C’est une question de croyance, car ils croient qu’une maladie est un sort ».

Certaines mesures ont été prises pour améliorer l’accès aux traitements de santé mentale. En avril 2020, la Cellule d’intervention psychothérapeutique d’urgence d’Haïti, un groupe de professionnels haïtiens de la santé mentale, a mis en place une ligne téléphonique qui offre un soutien psychologique gratuit au public, explique Ronald Jean Jacques, psychologue et professeur à l’Université d’État d’Haïti qui dirige cette cellule.

La ligne téléphonique met les appelants en contact avec une équipe de psychologues. Et si un traitement supplémentaire est nécessaire, ils peuvent être référés à un autre psychologue spécialisé pour une ou deux séances. Selon Jean Jacques, plus de 2 000 personnes ont tiré profit de ce service téléphonique d’aide.

Pourtant, pour certaines gens – à l’instar de Clotaire Jean Mary – les bienfaits du voudou ne sont plus à démontrer et devraient être célébrés plus ouvertement. « Je crois [que] c’est un complexe d’infériorité et une peur vis-à-vis du voudou, c’est pourquoi on cache l’utilité du voudou dans les différentes sections d’aide », dit-elle. « J’ai été témoin de gens malades qu’on a amené voir un prêtre voudou pour le traitement qui ont réussi à s’en sortir. Pourquoi ne pas en parler et divulguer la bonne action réalisée ? »

Anne Myriam Bolivar

 

NB: Anne Myriam Bolivar est journaliste à Global Press Journal en poste à Port-au-Prince, en Haïti. Née et élevée dans le département du Sud d’Haïti, elle réalise des reportages sur un vaste panel de sujets allant de l’agriculture au développement social.

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