Canapé Vert, en rouge, noir et blanc !

Désormais, la date du lundi 24 avril 2023 va inscrire le paisible quartier de Canapé Vert dans les prochaines pages de l’histoire d’Haïti. Cet ancien quartier résidentiel et présidentiel jusqu'au 12 janvier 2010, qui hébergeait l'ancien président René Préval, se confirme parmi les  rares quartiers à résister face à l’assaut des groupes armés qui cherchent par tous les moyens à agrandir leur territoire et à imposer leur pouvoir de vie et de mort sur l’ensemble de la population, depuis quelques années.

Dans la sanction populaire imposée aux quatorze jeunes hommes armés, à la suite de l’interception du minibus dans lequel ils se trouvaient, c’est pratiquement un signal qui est lancé aux quatre quartiers avoisinants et la zone métropolitaine de Port-au-Prince, pour changer la peur de camp depuis, comme le rapportent les nouvelles et les informations sur les réseaux sociaux.

Dans les différentes définitions du mot : « Canapé », dans le dictionnaire Larousse, on retient : « Long siège à dossier et accotoirs, pour plusieurs personnes. », « Petite tranche de pain, nature ou grillée, garnie de menus apprêts. », et « Tranche de pain frite, tartinée des éléments internes d’un gibier, sur laquelle on présente celui-ci. ».

Des mots clés à prendre en compte tels que: le siège qui  en référence à une bougie, une lampe ou même expédition dans le langage Vodou  comme une « Poussée ». Autres termes importants qui rappellent les faits de cette journée: « Plusieurs personnes », en lien avec le nombre des  victimes sanctionnées et des quartiers soulevés. Et sans oublier: grillée et frite, qui symbolisent le feu, et le terme gibier, qui interpelle la rotation de la chasse et de la jungle, ou le karma populaire haïtien dans: « Yon jou pou chasè (chasseur), yon jou pou jibye (gibier)! ».

Derrière toutes ces définitions, interprétations ou corrélations autour du « Canapé », ce meuble symbolique qui n’a pas laissé de tout repos, les membres des groupes armés et leurs zen cavale et leurs zones de retranchement, interviennent pratiquement la population dans sa palette chromatique des sanctions, sur le point de changer rapidement les couleurs du temps et les décors dans le tableau social, entre le vert, rouge, noir et blanc.

D'abord, commençons avec la couleur verte du canapé qui vient en quelques heures et pratiquement une journée, de changer le décor de l'actualité de l'insécurité en Haïti. Située entre le bleu et le jaune dans le spectre de la blanche. », cette couleur qui fait référence à l’espoir propose une  deuxième définition : « Qui est devenue livide, en particulier sous l’effet d’une maladie, d’une émotion: Être vert de peur. ». Et la troisième définition confirme: « Qui est encore loin de la maturité. » Entre la peur qui change de camp et l’absence de maturité politique et sociale de ces jeunes qui tombent, cela ne peut que justifier que le hasard n’existe pas ! Surtout en Haïti !

Du sang rouge vif a coulé dans les deux camps, de la violence des gangs à la vengeance populaire, la couleur rouge a été bien présente sur le chemin du non-retour de ces quatorze jeunes hommes. Par le supplice du collier, ces habitants en colère cherchent à réparer symboliquement la mémoire et rendre justice aux dizaines de victimes innocentes assassinées presque tous les jours, aux centaines de personnes enlevées régulièrement, et aux milliers de familles détruites, capitalisées, déshumanisées, dispersées et délocalisées.  Qui a dit que cette couleur symbolise la révolte, la révolution ou la victoire, même dans un quartier en vert ?

De la fumée noire a rependu dans le ciel de Canapé-Vert, comme un signal lancé aux autres quartiers avoisinants qui doivent constituer leur bouclier anti-gang face aux annonces d’une éventuelle réplique ou riposte dans l’autre camp. Deuil dans les rangs des groupes armés qui contrôlent la capitale haïtienne. Duel fratricide annoncé, comme une nouvelle forme de suicide collective de la population haïtienne qui portera le nom de génocide. Avec comme seule victime, les membres des nombreuses familles qui partagent les mêmes origines sociales, ancestrales du continent noir.

Dans ce premier et grand revers des groupes armés de la capitale, malgré leurs armes de guerre importées dans les pays des « blancs », face à une population utilisant l’arme blanche (couteau, manchette, entre autres) pour se défendre, les habitants de plusieurs quartiers se sont, depuis, inscrits dans une nouvelle dynamique de réveil citoyen et de révolte populaire contre les groupes armés. Une nouvelle page (triste, sombre) qui s’ouvre dans l’histoire des mouvements populaires en Haïti, avec le quartier de Canapé Vert, en rouge, noir et blanc.

Depuis toujours, cette dernière couleur symbolise la  paix. Cette paix tant rêvée, pourtant refusée par ces groupes armés qui pillent et piétinent les principaux droits de toute une population contrainte à la souffrance et au stress, à la fuite ou à la mort. Avant l'arrivée éventuelle des prochains blancs dans les jours à venir pour compter les cadavres, il faudra cependant rappeler à la raison, les proches et patrons de ces jeunes sanctionnés et sectionnés à la lettre.  Haïti, cette terre mythique dispose de ce principe karmique écrit noir sur blanc, qui rappelle toujours : « Kafou a pou nou de ! »

Dans la palette de la résistance populaire et de la prévention des injustices et de la protection contre le terrorisme, Canapé Vert se confirme comme désormais cette ligne rouge à ne pas franchir, entre le déclic citoyen ou le déclin de la violence. Comment sera demain ? En attendant que la vie revienne, et les Haïtiens de toutes les couches sociales réapprennent à vivre ensemble, loin de la peur et dans la paix indispensable pour le développement économique et éducatif, social, environnemental et culturel.

 

Dominique Domerçant

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