Une compréhension du processus de gouverner par le chaos...

Partie 6/7

Rôles de l’OEA dans les crises politiques en Haïti

Non seulement la crise politique des dernières décennies en Haïti interpelle la conscience de tout Haïtien, mais encore nous montre-t-elle par son analyse combien est grande l’ingérence internationale dans les affaires internes du pays. C’est cette ingérence érigée en système de gouvernance qui a engendré une classe politique médiocre, arrogante et immorale dont la qualité laisse à désirer. C'est grave pour la démocratie. Pourtant, l’Organisation des États américains devrait être un véritable levier pour une démocratie durable en Haïti.

En 2001, lors de la tergiversation entre l’opposition et le leader du parti Fanmi Lavalas, les proches du parti au pouvoir dénonçaient une tentative de coup d’État à l’encontre de Jean-Bertrand Aristide. Les rumeurs mettaient en relief un plan machiavélique visant à attenter à la vie du président, tandis que l’opposition était indexée.  Elle criait au scandale et dénonçait les manœuvres politiques du parti au pouvoir. L’Organisation des États américains, en tant qu’arbitre, diligenta une enquête sur ce dossier. Les résultats révélèrent tout le contraire : il s’agissait plutôt d’une mise en scène planifiée dans le seul but d’affaiblir l’opposition et de la faire taire, disait un chef de parti politique dans l’opposition au régime Lavalas.

Oui, l’OEA fut appelée à trancher. Pour apaiser les tensions, à travers des résolutions, il était clairement recommandé au gouvernement d’Haïti d’indemniser les victimes des partis politiques dont les locaux avaient été saccagés le 17 décembre 2001. L’ordre fut aussi transmis au gouvernement Lavalas d’arrêter et de juger les coupables de violences et de désarmer les quelques partisans proches du régime Lavalas. 

Encore une fois, lors des irrégularités électorales du 28 novembre 2010, l’OEA fut invitée comme arbitre. Et elle avait tranché.

Face à toutes ces crises, tel le départ forcé d’Aristide en 2004 et ses conséquences, le tremblement de terre du 12 janvier 2010, l’épidémie de choléra, un gouvernement de Préval démobilisé, donc c’était un pays affaibli et une classe politique surtout du secteur populaire divisé qui avait facilité aux acteurs de l’international, par le biais des experts de l’Organisation des États américains (OEA) l’application d’exécution de l’international qui, jusqu’à date, était voilé. 

Au regard de toute cette machination, il était clair que quelque chose était en train de se planifier pour qu’à travers les élections présidentielles et législatives de novembre 2010 et de mars 2011 que des nostalgiques du pouvoir puissent satisfaire non seulement leur égo, mais celui de l’international.  Ainsi, des urnes ou de préférence des élections truquées, était sorti illégalement, face à une ancienne Première dame et professeure d’université, le pouvoir de bandit légal Tèt Kale de Michel Joseph Martelly comme président de la République.

 

Les pouvoirs Tèt Kale

Quoi qu’il en soit, l’arrivée du chanteur Martelly à la première magistrature suprême de l’État avait mis fin à vingt ans de turbulences, de coup d’État de gouvernance du secteur populaire Lavalas. Ainsi commençait un autre épisode pour le peuple haïtien.

En mettant fin à presque vingt ans de gouvernement Lavalas, dans la foulée, ce nouvel épisode était-il capable de mettre fin aux vingt-cinq années d’échec démocratique qui, malheureusement, avaient trop duré?

En prêtant serment le 14 mai 2011, quatorze mois après le terrible tremblement de terre qui a ravagé Haïti, président Martelly avait la lourde responsabilité de conduire le pays vers la démocratie et le développement.  Par démocratie, cela sous-entend stabilité politique, alternance du pouvoir politique à travers des élections selon l’échéance constitutionnelle.

Cela impliquait aussi des changements économiques et sociaux en faveur de ceux de la classe défavorisée qui, depuis l’indépendance d’Haïti en 1804, croupit dans la misère et la pauvreté.  Et la reconstruction des grands édifices publics et autres institutions ravagés par le tremblement de terre du 12 janvier 2010 devrait être aussi l’une des grandes priorités du nouveau chef d’un Palais national encore sous les décombres.

De par son inexpérience dans les affaires politiques et son passé de « ’Sweet Micky »’, l’entrée en fonction du président « Tèt Kale » le 14 mai 2011 avait suscité bien des remous au sein de la classe politique du pays. Parmi ces questions, plus d’un restait perplexe sur les défis qui attendaient l’élu contesté des élections présidentielles truquées du 20 mars 2011. Mais le plus important de tous ces questionnements était la planification des prochaines élections (fin d’année 2011) pouvant conduire au renouvellement du tiers du sénat.

En dépit des préoccupations de la société civile et de la classe politique contre M. Martelly qui était mal élu, disons, imposé par l’international, beaucoup plus de voix s’élevaient pour une stabilité politique. Car les problèmes de reconstruction, de l’insécurité, du chômage, de modernisation de l’État, de consolidation des institutions publiques et de décentralisation étaient trop importants pour ne pas s’entendre et trouver un compromis national.  C’étaient autant de défis auxquels le nouveau président devrait faire face et qu’il ne pourrait pas réussir sans une stabilité politique. 

Ainsi, la nouvelle administration était dans l’obligation de réussir, particulièrement là où les autres dirigeants qui l’avaient précédée n’avaient pas pu le faire.  Mais de par son inexpérience dans les affaires politiques, mais surtout de par sa complicité avec l’oligarchie locale et le support de l’international pour son arrivée au pouvoir, le dirigeant « Tèt Kale » était-il en mesure de se hisser à la hauteur de la tâche qui lui était confiée.

L’élu du 20 mars 2011 faisait face à de graves crises politiques.  Les crises sociales, et surtout la gestion d’une économie désastreuse qui remonte aux dépenses folles provenant du Trésor public pour de longs déplacements du Président à l’étranger, aussi bien que les rumeurs autour des problèmes de nationalité du chef de l’État, sont autant de choses qui ont considérablement handicapé l’administration « Tèt Kale » ! À tout cela s’ajoutait la non-réalisation des élections sénatoriales, municipales et locales qui devaient avoir lieu à la fin de l’année de 2013.

 

L’alternance des dirigeants politiques

Beaucoup sont unanimes à reconnaître que, si l’on veut respecter l’alternance du pouvoir politique dans le cadre d'une stabilité démocratique aussi bien qu’assurer la crédibilité des dirigeants, on doit organiser des élections. Ce qui explique que les élections sont un passage obligé dans le processus démocratique.  Non seulement il est question de les organiser honnêtement, mais surtout à temps, car ce simple mot d’élection est aujourd’hui devenu une exigence nationale et internationale.

Pour ne pas pouvoir organiser des élections à temps, l’exécutif se cachait derrière l’argument des importantes dépenses d’un processus électoral, aussi coûteuses pour le Trésor public que pour les candidats, les partis ou regroupements politiques. Mais qu’en était-il des carnavals ? Ils étaient au nombre de quatre (cinq pour certains) en deux ans. « Ceux qui adorent les ambiances mondaines ne peuvent pas se plaindre ces temps-ci en Haïti. Le Président Michel Martelly pense bien à eux. Car depuis sa prise de pouvoir, il y a déjà deux ans de ça, l’ancienne vedette de Sweet Micky s’investit avec joie dans une politique de divertissement sans précédent », avait fait remarquer Osman Jérôme.

L'élection est universellement reconnue et acceptée comme étant la seule méthode juste et libre de choisir les dirigeants politiques.  Mais quand ces dirigeants, non seulement arrogants et immoraux viennent de nulle part, sont sans expérience dans les affaires publiques et politiques du pays, n’ont de plus aucune formation académique, il y a matière à s’interroger sur ces dirigeants et les retombées de telles élections dans un processus démocratique.

Mais, penser qu’un président fêtard, jouisseur des ambiances carnavalesques voulait, dans un environnement politique de tohubohu ou de gouvernement par le chaos, organiser des élections pour une alternance des dirigeants politiques c’était, de prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages?

Ainsi, en fin de mandat, malgré lui, il organisait une mascarade électorale.  Comme résultat, le CEP ne faisait qu’inscrire des candidats sans compétences académiques, expérience de la fonction publique, aussi bien des repris de justice ou des individus au passé douteux qui, à travers un poste électif, cherchaient à se couvrir de toute immunité.

 

Les élections de 2015

Le lancement du processus électoral avait suscité bien des remous au sein de la classe politique, particulièrement chez les membres de l’opposition. Parmi ces problèmes, plus d’un était resté insoluble quant à l’avenir de ce scrutin dans le processus démocratique.  Des questions se posaient... celles qui avaient obtenu des réponses et d’autres sur lesquelles il faudrait bien s’attarder durant encore bien des années. À dessein, certains se demandaient quelle serait la composition de la prochaine législature ? Deviendrait-elle le repaire des « bandits légaux » ou des narcotrafiquants? Déjà, la crédibilité de celle-ci était soumise à rude épreuve. Mais le plus important de tous ces questionnements restait dans la liste des candidats inscrits à ce scrutin.

Dans un rapport sur les élections de 2015, publié le mardi 2 juin de cette même année, le Réseau national de Défense des Droits Humains (RNDDH) questionnait la moralité de certains candidats, dont 35 candidats (4 au Sénat et 31 à la députation) en lice pour les législatives, seraient de moralité douteuse. « Trente-cinq candidats aux législatives sont pointés du doigt dans ce rapport non exhaustif du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) qui a révélé certains faits troublants portant spécifiquement sur la moralité des candidats aux législatives et qui est de nature à inquiéter tous les citoyens haïtiens. En effet, certains citoyens en conflit avec la loi se sont portés candidats en dépit du fait que le décret électoral leur fait exigence de se munir d’un certificat prouvant qu’ils sont de bonne vie et mœurs. Les candidats mentionnés dans le rapport ont été contraints par la justice pour des motifs divers tels qu’assassinat, escroquerie, abus de confiance, cas de violence, agression et voies de fait, enlèvement, vol, viol, usage de faux, association de malfaiteurs, trafic illicite de stupéfiants, détention illégale d’arme à feu, corruption, vol de propriété, entre autres. »

De ces élections étaient sortis, malheureusement pour Haïti, des dirigeants incompétents, immoraux et sans expérience pour régler les problèmes très complexes qui minent le pays. 

 

Tèt Kale deuxième version

Imposé par l’international et le statu quo national, comme son prédécesseur, le chef de l’État issu du parti Tèt Kale était arrivé au pouvoir dans un contexte très difficile. Et, vu les problèmes de légitimité et de crédibilité du poulain de l’international, suivis de son incompétence dans la gestion de la chose publique du pays, pour quelqu’un qui avait entretenu des liens d’amitié et de rapports avec des anciens hauts dirigeants du PHTK et des hommes et femmes d’affaires du secteur privé, le chef de l’État pataugeait dans la corruption.

Critiqué dès le tout début par l’opposition politique, le projet « Karavan chanjman » du pouvoir « Tèt Kale » deuxième version n’a été qu’un prétexte pour le président et ses alliés politiques et économiques de continuer à dépenser l’argent d’investissement d’autres projets du pays comme s’il ne devait pas rendre compte au peuple haïtien.   

En dépit des problèmes d’implications graves de malversations et d’inculpation reprochés au président PHTK par la justice haïtienne, apparemment, tout allait bien pour Jovenel Moïse, quand, subitement, les 6, 7 et 8 juillet 2018, à Port-au-Prince, avait commencé un mouvement violent de protestations contre son régime.  

Ce mouvement ayant révélé la vulnérabilité du locataire du Palais national, dès lors, a permis aux acteurs de l’opposition, que ce soient des parlementaires en fonction, chefs de partis politiques et des organisations de jeunes, d’organiser une série de manifestations de rues plus fréquentes dans tout le pays afin de réclamer le départ du chef de l’État. Ces derniers stigmatisent Jovenel Moïse comme un président, non seulement inculpé, mais aussi en panne de crédibilité et de légitimité.

Après plusieurs jours de mobilisations et de paralysie dans presque tout le pays, l’opposition qui, antérieurement, était incapable de mobiliser le moindre mouvement de masse était, en quelques semaines, passée rapidement comme une grande force de nuisance qui fait peur non seulement au président de la République, mais aussi à l’oligarchie économique locale et aux alliés de l’international qui l’avaient porté au pouvoir.

C’était exactement pendant ce moment de grands troubles politiques dans le pays que Kenneth H. Merten, ancien ambassadeur américain en Haïti, lors d’une interview, s’est, en donneur de leçon, référé à son pays pour indiquer que c’est dans le cadre d’élections que les leaders sont choisis. « Nous autres aux États-Unis, nous allons aux élections pour choisir nos leaders. En Haïti, j’ai l’impression que la majorité des gens aimeraient aller aux élections pour choisir, changer leurs leaders. Cela donne moins de travail à faire. La violence empêche l’accomplissement de bonnes choses, de bonnes choses comme l’investissement. »

Dans l’intervalle, les élections frauduleuses « made » par le CORE Group continuaient de faire beaucoup de tort au pays. Puisque, s’il y avait le 12 janvier 2010 comme catastrophe naturelle, ceux qui étaient présidents après le séisme, donc on peut dire sans langue de bois que les élections post séisme sont définitivement d’une magnitude diabolique qui a pulvérisé les institutions du pays.  Car le 12 janvier, c’était une partie du pays qui était secouée, mais avec ces élections frauduleuses, c’est tout le pays qui est touché par des secousses. 

 

Chronique d’une crise de déstabilisation annoncée

Le tremblement de terre du 12 janvier, le choléra, les élections frauduleuses de mars 2011, 2015 et 2016, l’ouragan Matthew en octobre 2016 sont des exemples majeurs de catastrophes qui ont accéléré la descente en enfer de ce pays.  Mais c’est chaque jour qu’Haïti fait face à bon nombre de difficultés qui ne sont pas seulement de catastrophes naturelles et d’élections frauduleuses, encore d’ordres institutionnels d’un État failli pris dans un piège du grand projet macabre de l’international, qui n'est autre qu'un processus de « gouverner par le chaos ».

Mais de toutes les préoccupations dans l’Haïti post séisme, la propagation des armes dans les zones défavorisées ne fait qu’ajouter une crise dans une crise dans un pays ou l’État était déjà en mauvais état de putréfaction. 

 

La prolifération des armes dans les quartiers populaires

Quand les armes sont distribuées à des jeunes dans les quartiers populaires, Haïti est secoué à chaque second au point que le pays est devenu un vaste champ de tir. Leur magnitude peut être évaluée à partir des calibres utilisés et des cartouches tirés par les gangs et hommes de main des dirigeants qui sont des anciens membres du mouvement paramilitaire durant le coup de force de septembre 1991.

Ces anciens membres de FRAPH qui ont aujourd’hui un mandat légal pour frapper peuvent faire trembler La Saline, Cité Soleil, Carrefour-feuille, Pont Rouge, Bel-Air et Martissant et aussi bien d’autres.

Après le tremblement de terre, qui avait détruit certains édifices publics, écoles, hôpitaux, magasins, maisons, et tué des centaines de milliers en quelques secondes, les dirigeants haïtiens post séisme 2010 n’avaient pas trouvé des moyens plus efficaces pour prévenir une ruine totale que de distribuer de l’argent et des armes aux gangs pour continuer à massacrer dans les quartiers populaires. 

Chaque jour, à chaque seconde, avec le bruit des armes automatiques dans tout le pays, le peuple vit les secousses des tremblements de terre avec une magnitude si forte capable d'ôter la vie en quelques millisecondes. La différence entre celui du 12 janvier et le bruit au quotidien de cartouches et des tueries, c’est que ces derniers visent tout le pays .

Si le tremblement de terre du 12 janvier 2010 avait détruit, physiquement, bon nombre d’édifices publics de Port-au-Prince, par contre les élections volées et imposées des parlementaires de la cinquantième Législature font, pendant plus de quatre ans, à chaque séance, trembler non seulement la capitale, mais tout le reste du pays. Et c’est la grande différence, puisque le tremblement de terre avait, en quelques secondes, frappé Port-au-Prince et certaines villes proches, mais la corruption et autres actes de malversations impliquant bon nombre de parlementaires de la 50e ont secoué nationalement tout le système de l’éducation, de santé, de l’emploi, de sécurité, et tout le reste.  

N’en déplaise à un petit groupe de parlementaires qui sont dignes du nom d’honorables, le reste n’est qu’une troupe de déshonorables qui ont leurs places dans les poubelles de l’histoire.

 

Prof Esau Jean Baptiste

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