À qui profite l’opacité de l’État haïtien?

Nous sommes à l’ère de la démocratie en Haïti. Tout le monde le répète et l’accepte comme tel. Pour plus d’un, c’est le fruit des combats menés contre la dictature des Duvalier. En 1986, après le départ de Jean Claude, on chantait : Haïti est libéré. C’est notre deuxième indépendance. Cela nous a permis avec la plus grande euphorie d’adopter par referendum une nouvelle constitution. On croyait qu’on n’allait plus avoir de troubles politiques. Mais, ce rêve n’a pas pris trop de temps pour se transformer en cauchemar. Depuis lors, nous sommes en face d’une crise multiforme. Nos décisions et nos actions nous conduisent davantage vers le sous-développement. Notre économie est ultra libéralisée. Nous devenons la risée des autres peuples. En conséquence, beaucoup de jeunes, de cadres ont migré vers d’autres pays à la recherche d’un mieux-être. Le désespoir s’est installé de plus en plus chez les plus pauvres. Pourquoi sommes-nous là aujourd’hui ? En quoi sommes-nous responsables de nos malheurs ?

De manière étymologique, la démocratie est le pouvoir du peuple. C’est lui qui choisit ses dirigeants pour répondre à ses aspirations, ses besoins. Étonnamment, ceux et celles qui sont élus ici se moquent de leur mandant. Ils s’en foutent du bien-être collectif. Ils utilisent leur pouvoir pour s’enrichir. L’intégrité, l’éthique et la moralité sont donc bannies de leur action. La construction d’un État moderne, d’une économie prospère, d’une société égalitaire, est substituée par de petits projets « bidon » qui n’ont pas vraiment d’impact sur le milieu. Selon Alexis de Tocqueville, la démocratie peut favoriser, par perte du lien social, les comportements individualistes contraires aux intérêts de la société en son ensemble. En Haïti, l’espace public au sens habermassien est inexistant. Le lien social est fragile. Le débat public est absent. Cela ne fait qu’affaiblir le processus démocratique ici. Celui qui est élu se déconnecte parfois avec son milieu, il ne rend pas compte à sa communauté de ce qu’il fait comme travail.

On ne cesse pas de vanter la vertu de la démocratie. Parce qu’il préconise la participation, l’implication et l’intégration des plus vulnérables dans les prises de décision. Dans une optique de transparence démocratique, l’accès à l’information doit être garanti. Ce droit favorise la participation du public aux décisions politiques. En ce qui a trait à l’accès aux archives, il vise à faciliter le travail des chercheurs. L’inaccessibilité et la non-disponibilité des informations importantes relatives aux engagements de l’État, au fonctionnement de l’administration publique, aux traités, aux conventions, aux décrets font de l’État haïtien une véritable « boite noire ». Tout s’inscrit à notre avis dans le « secret d’État. » Mais où est passé notre droit à l’information. Un État qui fonctionne dans l’opacité ne sera pas en mesure de gagner la confiance du citoyen. Le fait par l’Etat de ne pas rendre disponible des informations relatives à son propre fonctionnement pourrait favoriser des corruptions.

La Déclaration universelle des droits de l’homme stipule en son article 19 que «  tout individu a le droit de chercher, de recevoir et de répandre les informations et les idées par quelque moyen que ce soit ». Et la constitution haïtienne de 1987 fait obligation à l’Etat d’informer la population. Elle précise à l’article 40 que : «  obligation est faite à l’État de donner publicité par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langue créole et française, aux lois, traités, arrêtés, décrets, accords internationaux, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale. » Donc, le droit à l’information est reconnu par la constitution. En quoi la non-disponibilité et le non-accès aux informations posent- ils problème ? L’information est à la fois un droit et un besoin. Elle permet aux citoyens et aux décideurs de mieux décider, de savoir ce qui se passe au niveau de l’environnement, des structures... Elle est un élément incontournable pour l’évaluation de la transparence, de la gouvernance. Elle peut aussi favoriser un climat de confiance entre les gouvernants et les gouvernés. En théorie de l’information, il est noté que : « celui qui détient l’information détient le pouvoir. » C’est pourquoi dans un régime démocratique, on parle de la démocratisation de l’information. Partant de cette hypothèse, peut-on admettre que le peuple a de pouvoir en Haïti ? Est-ce qu’il est toujours informé des grandes décisions de l’État ? De l’utilisation des fonds publics ? Nous sommes dans un pays où l’impunité constitue une stratégie pour les dirigeants de ne pas rendre compte de leur responsabilité. Le statut d’individus représente souvent un paravent pour eux. Ils misent sur la faiblesse et l’opacité des institutions pour commettre leurs forfaits.

Aujourd’hui, on parle de société de l’information et de la communication. Nous sommes à l’époque où dominent les TIC (Technologies de l’information et de la communication). Ces outils permettent de rendre accessibles les informations. Des citoyens, des organisations voulant savoir ce qui se passe au sein des institutions (DGI, Douane, Ministères, Primature, Présidence, Parlement, ONA, OFATMA, EDH, OAVCT…) ne devraient pas être privés de certaines informations importantes. Les informations pertinentes relatives au Budget, aux rentrées et sorties de fonds, aux réalisations, aux dépenses…) ne sont pas publiées sur les sites de ces institutions. Elles s’intéressent dans la majorité des cas à publier des informations basiques ayant rapport à leur mission, leur valeur, leur objectif, certaines activités qu’elles exécutent ou qui sont en cours.

L’État haïtien vit de scandales. À chaque instant un dossier lié soit au détournement soit à la corruption fait surface. Les mécanismes de contrôle sont presque inexistants. Les institutions ne peuvent pas remplir leur rôle. Elles sont inefficaces. Elles sont généralement accaparées par des hauts fonctionnaires et des élus les transformant en des biens quasiment personnels. La mission de fournir des services à la population est donc substituée par celle de garantir l’intérêt d’un petit groupe. C’est une administration publique fermée aux usagers et sur le monde, alors qu’elle devrait être le contraire. C’est un combat à mener par toutes les forces vives de la société afin d’avoir accès aux informations relatives à la gestion de la chose publique. Trop de laisser-faire. Le peuple a un État qui travaille contre lui, qui l’appauvrit continuellement. Comment peut-on évaluer les actions d’un État, d’un gouvernement, de l’administration publique si les informations ne nous sont pas accessibles ? Si notre droit à l’information comme citoyens n’est pas garanti?

Trop de passivité, d’insouciance chez les différentes couches de la société, fait de l’État une véritable vache à lait pour les dirigeants de ce pays. Si on se tait sur les gaspillages, les vols des fonds de l’État, sommes-nous des complices ou des victimes ? Avons-nous le courage de rester toujours dans l’inaction ? L’effondrement de la société ne nous concerne-t-il pas ? Avons- nous un autre territoire pour y vivre ? Quel avenir souhaitons-nous laisser pour nos progénitures ?

Misons-nous maintenant sur nos potentiels. Cessons donc de vivre comme des résignés, des spectateurs. Impliquons-nous davantage. Soyons donc vigilants. Sortons-nous donc de notre zone de confort. Exigeons désormais à l’État de respecter nos droits comme citoyens. Voici le bon combat à mener pour enfanter l’autre Haïti où la construction du bien-être collectif devient une priorité pour l’État, un idéal de société.

 

Saintony FANFAN

Doctorant en économie du développement saintonyfanfan@yahoo.fr

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