Haïti- Justice populaire: Symbole de vengeance ou manque de confiance en la justice ?

Quand la justice n’est pas au rendez-vous, la vindicte populaire devient la norme.  Malheureusement, c’est ce qui se passe dans plusieurs villes du pays depuis  le 24 avril 2023. La population apeurée et victime des cas kidnapping suivis de rançons ou d’assassinats recourent à la défensive.  Car, tout appel à la peur se caractérise ainsi par trois éléments (Witte & Allen, 2000) : une menace, une recommandation et la peur. La menace renvoie à l’ensemble des conséquences négatives causées par le maintien d’un comportement risqué. La recommandation correspond à l’ensemble des moyens permettant de se protéger de la menace.

Pour se protéger, certains membres de la population recourent à  la justice populaire en lynchant, brulant vifs les bandits qu’ils attrapent. Si l’émergence rime avec l’insécurité, la recrudescence des braquages, vol à main armée, viols,  assassinats constituent cependant un véritable casse-tête  aussi bien pour les forces de l’ordre que pour la population dont elle est censée assurer  la sécurité. 

En conséquence, la population a pris l’option de se rendre justice surtout face à la lenteur  manifeste de la justice. Ce qui a malheureusement provoqué la vindicte populaire comme une solution à la crise. 

Ce qui nous permet de définir  la vindicte populaire comme la punition d’un crime par le peuple et non par la loi. Cependant, l’analyse des violences libératrices s’est très longtemps limitée au seul champ des exécutions sommaires c’est-à-dire des exécutions qui sont faites en dehors de toute justice rendue par un tribunal régulier. Mais, ce qu’il faut comprendre, on ne trouvera personne pour prétendre que les abus doivent cesser ou punir, mais en même temps cette vindicte populaire a plusieurs effets indésirables :

1) Cela risque de se retourner juridiquement contre les victimes dans le cas où une ou plusieurs personnes innocentes sont tuées, brulées vives, brutalisées.

2) Ce déferlement risque de banaliser la problématique des abus orchestrés sur des personnalités publiques ou politiques.

Ce qu’il faut relater, c’est que certains membres de la population n’ont aucun problème ni aucun regret  avec l’application de la vindicte populaire puisque d’après eux c’est de la légitime défense ce qu’on  pourrait appeler la loi du Talion « œil pour œil dent pour dent » (m pa gen poum pran pitye pou nèg sa yo pou mizè yo fè moun pase, volè afè yo, vyole yo, boule kay yo,  fè yo dòmi nan lari). 

Force est de constater depuis quelques jours ces actes identifiés à la vindicte populaire sont très récurrents. Par ailleurs, il ne faut pas non plus ignorer les faits que ces comportements sont punissables par la loi en vigueur, car le droit international applicable en Haïti protège le droit à la vie  . La responsabilité de l’État est engagée lorsque l’État lui-même au travers l’action de ses agents prive arbitrairement toute personne de son droit à la vie ou encore lorsque l’État n’a pas pris de mesures nécessaires pour garantir que toute personne ne sera pas privée arbitrairement de son droit à la vie.  

À rappeler que la vindicte populaire n’est pas expressément prévue dans le Code pénal, mais ce qui n’empêche pas que ces actes (lynchage , brulés vifs  ou autres faits ) qualifient de crime même quand il y a mort d’homme puisqu’il est commis avec préméditation ou guet-apens. La peine encourue est les travaux forcés à perpétuité. Toutefois et la plupart des cas, cela se passe sous le regard des représentants de la loi par manque de moyens ou de volonté des autorités étatiques, la police est souvent peu réactive face à la violence de la vindicte populaire.

Quoi qu’il en soit, les membres de la population n’ont aucune pitié pour les bandits. Ce comportement reflète la colère ambiante et des frustrations dans lesquelles vit quotidiennement la population face à une crise sociale pouvant entrainer le stress et d’autres réactions incontrôlées. 

Par ailleurs certains choisissent de se défouler sur ces présumés malfrats et même font le choix de ne pas faire  appel à la police non seulement parce qu’ils estiment que la police prend trop de temps pour arriver, mais aussi pense que la police sera trop clémente envers les bandits si ces derniers ont de grands patrons puisque la population soupçonne les responsables d’être de connivence avec les bandits ou encore ils sont de pair.

Ainsi, une population qui n’a pas foi en sa justice ne trouve mieux que se faire justice elle- même. Il est temps pour que les autorités réagissent et mener de vrais actions, et ce,  dans l’immédiat afin que la confiance de la population à leur égard puisse renaitre, car la vrai question qu’on devrait se poser « quelle société pour les générations à venir » ?  Pour la simple et bonne raison que l’État n’est pas en mesure de garantir la protection  aux  enfants de ces scènes de violence puisque ces dernières se trouvent sur les réseaux sociaux que fréquentent des adolescents allant de 10 à 17 ans.  

Face à cette non-protection est-ce que  l’Etat peut garantir dans 5 ans il y aura une meilleure génération. Dans le principe de responsabilité de Hans Jonas : Il propose une transformation de l’essence de l’agir humain en prenant compte la dimension temporelle qu’il est nécessaire d’ajouter pour cerner l’influence étendue des actions de l’homme sur ce qui le dépasse (en l’occurrence la nature). Il a dit : agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. 

En ce sens, il est impératif de fonder sur une réalité à venir et doit donc s’appliquer aux politiques publiques, car ses actions touchent désormais la nature étendant de fait le champ  de la responsabilité. Ainsi il faut une nouvelle éthique pour prendre en compte les champs d’action de l’homme (la population).

 

 

D’Jenny René ROCHEFORT

Sociologue, Juriste

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