La force multinationale agira-t-elle comme auxiliaire de la justice haïtienne ?

Cette question évoquant un paradoxe que Blaise Pascal a transformé en synthèse axiomatique pour l'application en symbiose de la force et de la justice. En effet, il s'agit de la nécessité d'une justice forte, faisant appel aux véritables compétences de l'État haïtien dans un contexte politique marqué par la faiblesse du droit en Haïti.

La force n'étant pas la justice, l'inverse du raisonnement s'impose au lecteur, dans toute communauté politique, les acteurs se doivent de tracer la limite de chacun des champs où ces instruments de la politique exercent leur influence pour moraliser la vie collective civile et politique. Reprenant la formule prescriptive du philosophe, il serait toujours dans l'intérêt de la paix et la concorde nationales qu' aucune force ne soit injuste, et qu'aucune justice ne soit faible pour ne pas être sans effet contre les crimes et les délits.

Mais, il s'agit de postulats très théoriques qui, s'ils ont été expérimentés dans la société haïtienne, n'ont jamais pu aboutir à la synthèse pascalienne. Car, tantôt s'offrait à l'observation le constat de la force qui agissait sans l'ordonnance et la prescription de la justice, tantôt on déplorait le non-effet des décisions de la justice vassalisée  par la volonté politique des acteurs marginalisant l'éthique du champ politique. Et les divers phénomènes sociaux de violences criminelles et illégitimes ayant réduit les serviteurs de la justice et ses auxiliaires en fuyards ou fugitifs des gangs et les populations civiles en victimes sans réparation en sont très illustratifs. Cela amène à la déduction que la force s'est dénaturée pour être incapable de tyranniser dans les frontières où d'autres forces illégales lui sont devenues des concurrentes. Tandis que la justice s'est dénaturée aussi pour avoir perdu le soutien de celle-ci qui aurait pu contribuer à lui donner les effets de ses décisions proclamées contre les forfaits criminels et pénaux.

Ces dénaturations de ces deux entités de la politique ont eu comme conséquence la nécessité urgente de la coopération internationale, dont la forme expressive est la demande et l'envoi d'une force multinationale, afin d'aider l'État haïtien dans la recherche d'une solution à la crise de l'insécurité nationale haïtienne. Mais, il s'agit d'une conséquence qui ne contribuera pas à fortiori à réaliser la synthèse de Blaise Pascal :  rendre la force juste et la justice forte pour diriger. Car, nul n'est certain de trouver une réponse à la question qui a ouvert cette réflexion.

Dans l'esprit originel de la déclaration française des droits de l'homme et du citoyen, les révolutionnaires bourgeois ont prévu l'institution d'une force qui puisse aider à l'application des lois de cette déclaration et les faire respecter par toutes les autorités légales et légitimes. L'impartialité et l'indépendance de cette force mise au service de la loi que la nation souveraine pour se diriger par des représentants constituent la philosophie qui est au fondement de la création des armées et des forces policières dans les Républiques démocratiques. Il s'agit d'institutions pérennes par rapport au mandat temporaire des dirigeants siégeant au sein des trois pouvoirs, séparés et autonomes. Mais, d'institutions nationales, et donc régulées par des normes constitutionnelles et nationales. Donc, qui n'ont pas la nature, la légalité et mode de fonctionnement des forces multinationale.

Au fait, affirmer que la police et l'armée sont des auxiliaires de la justice, c'est appliquer la formule de la philosophie politique de Blaise Pascal dans un discours plébiscitaire, susceptible de se matérialiser en acte de coercition : arrestation et répression. Mais, le droit international qui crée et régule les forces multinationales peut interférer dans l'application de l'idée de la formule pascalienne, et créer donc des conflits dans le domaine des compétences étatiques, dont le pouvoir de légiférer.

On convient que les actions de l'INTERPOL peut exiger une intersection entre les lois nationales des États qui s'engagent dans les traités et conventions pour coopérer et lutter contre les crimes transnationaux et internationaux:  traffic de drogue et d'armes. Cependant, les traités ne dispensent pas les États de veiller à leurs intérêts nationaux stratégiques, quand les zones d'incertitude se précisent dans la lutte contre les crimes.

De ces considérations, il faut déduire que l'État haïtien se doit de définir une politique de coopération conditionnant le déploiement et les actions de la force multinationale que dirigera le Kenya. Une force qui ne devrait pas moins être, comme la Police nationale d'Haïti (PNH) et les forces armées d'Haïti (FAD'H), un auxiliaire de la justice haïtienne qui doit protéger tous les droits citoyens, sur tout le territoire national. Mais, on peut s'interroger : qu'est-ce que la justice haïtienne ? Est-ce les hommes et les femmes occupant des fonctions dans le pouvoir judiciaire ? Où est-ce les institutions judiciaires et la culture qui s'y est développée au cours des décennies, à la faveur des justiciables ? Au constat de la détresse et des cris des populations que les violences criminelles ont délogées dans les quartiers de non-droit, que doit-on répondre ?  En tout cas, Haïti a besoin d'une justice forte et de force juste et légale pour soulager ses populations aux abois et fuyant les quartiers que l'État ne peut plus réguler dans l'exercice du contrôle social.

 

Cheriscler Evens

Journaliste, Professeur

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES