La nature du régime politique haïtien :le rôle du pouvoir législatif

« Nul n’est censé ignorer la loi ». Malheureusement en Haïti, nos lois sont mal connues. Voilà pourquoi nous inaugurons cette rubrique juridique. Dans un premier article, le juriste Alain Mondésir définira le rôle du pouvoir législatif. Il s'attachera ensuite à décrire le rôle du pouvoir exécutif, en analysant les liens entre les deux pouvoirs et ce qui doit fondamentalement les distinguer. La question qui servira de fil conducteur à cette série de publications est la suivante : les rapports entre le législatif et l’exécutif sont-ils équilibrés ?

Les démocraties reposent sur la séparation des pouvoirs. Le degré d’équilibre entre le législatif et l’exécutif détermine la nature du régime politique. Quand ces deux piliers de l'État sont confondus, comme c’est le cas sous une dictature et/ou en cas de parti unique, on n’est plus en démocratie et la question de savoir si on a affaire à un système présidentiel, parlementaire ou mixte devient sans objet. En revanche, quand la constitution d’un pays prévoit séparation des pouvoirs et pluralisme politique, comme en Haïti, cette question est centrale.

Un juste équilibre des pouvoirs est nécessaire pour le bon fonctionnement d’un gouvernement dans une démocratie. Sans cela, de graves problèmes de gouvernance peuvent surgir allant de l’autocratie à l’anarchie. Haïti, malheureusement pour nous, connaît depuis la chute de la dictature des Duvalier le 7 février 1986 des problèmes récurrents de gouvernance qui s’aggravent d’année en année au point que le pays devienne de plus en plus ingouvernable. Certains analystes rendent la Constitution du 29 mars 1987 responsable de cette situation, d’autres pensent au contraire que le problème est ailleurs.

Pour mieux cerner la crise politique haïtienne actuelle et y apporter des solutions, il est important de comprendre la répartition des pouvoirs entre le Législatif et l’Exécutif afin de qualifier avec justesse la nature du régime haïtien, car, comme dit le vieil adage, un problème bien posé est à moitié résolu.

Qu’en est-il des rapports entre le Législatif et l’Exécutif ? Sont-ils équilibrés ? Pour répondre à cette question, on doit procéder à la radiographie de la nature du régime politique haïtien à travers ses composantes législative et exécutive.

Le Parlement haïtien comprend deux branches : la chambre des députés et le Sénat. Les députés et les sénateurs sont élus au suffrage universel direct ; les premiers au niveau des communes, à raison d’un député par circonscription et les seconds au niveau des départements à raison de trois sénateurs par Département.

Le pouvoir législatif haïtien fonctionne soit en un seul corps, soit en deux branches distinctes. Sa fonction diffère selon qu’on est en présence du parlement en sections réunies ou du parlement en branches séparées.

La réunion en une seule assemblée de la chambre des députés et du Sénat est ce que la Constitution du 29 mars 1987 qualifie d’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale est présidée par le président du Sénat, le président de la chambre des députés fait office de vice-président de l’Assemblée et les secrétaires du bureau du Sénat et du bureau de la chambre des députés en sont respectivement secrétaire et secrétaire-adjoint.

Le parlement se réunit en Assemblée nationale pour l’ouverture et la clôture de chaque session législative et pour exercer ses attributions constitutionnelles. Celles-ci consistent à recevoir le serment constitutionnel du président de la République, ratifier les traités internationaux, amender la Constitution.

Les deux branches du pouvoir législatif ont aussi des attributions qu’ils exercent séparément. On se limitera à mentionner leurs principaux pouvoirs. Le premier et le plus important est de faire des lois sur tous les objets d’intérêt public ; l’initiative appartient à chacune des deux branches du Parlement ainsi qu’au pouvoir exécutif.

La chambre des députés ou le Sénat ne peut être dissous. En revanche, tout membre du Parlement a le droit de questionner et d’interpeller un membre du gouvernement ou le gouvernement tout entier. La demande d’interpellation doit être appuyée par cinq membres du corps intéressé. Elle aboutit à un vote de confiance ou de censure pris à la majorité de ce corps. Ce vote entraîne la démission du Premier ministre et de son gouvernement.

Ces vingt dernières années, le Parlement haïtien ne s’est pas privé d’interpeller des Premiers ministres pour faire tomber des gouvernements. La durée de vie moyenne d’un Premier ministre haïtien est de six mois renouvelables, et s’il veut faire long feu, il a intérêt à satisfaire les caprices de certains parlementaires. Des scandales ont éclaté au niveau de la chambre des députés et du Sénat ces dix dernières années. Dans des médias de la capitale, certains parlementaires ont même dénoncé des collègues qui auraient marchandé leur vote en faveur de ministres ou de Premiers ministres en acceptant de l’argent ou d’autres avantages comme la nomination d’un proche à une haute fonction. Comme toujours en Haïti, il n’y a pas eu d’enquêtes. Par conséquent, il est difficile de confirmer la véracité de si graves accusations.

Tout compte fait, le Parlement a souvent abusé de sa « toute-puissance » pour déstabiliser le gouvernement de la République au lieu de défendre l’intérêt général. Ce n’est pas surprenant, car, comme l’avait constaté Lord Acton en son temps : « Le pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument. »

 

Jacques Alain Mondésir

Doctorant en Droit public

Université de Lorraine

IRENEE

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