État d’urgence scolaire

Une fois de plus, la réouverture des écoles s’annonce problématique. L’année scolaire 2023-2024 ne s’ouvre pas sous de bons auspices.

Des milliers d’enfants risquent la déscolarisation,  parce que leur famille déplacée, rendue sans logis par la fureur destructrice des bandes armées n’a pas la capacité de leur faire intégrer une nouvelle école dans un nouveau quartier. Pour d’autres, c’est parce que leur école a été fermée, détruite ou incendiée, ou encore parce qu’elle sert de refuge improvisé et misérable à des centaines de personnes déplacées.

Je veux croire que tous s’affligent de cette abomination et que même les politiciens les plus retors n’auront pas la scélératesse de capitaliser sur elle pour poursuivre leurs buts. Cependant des voix s’élèvent déjà, défaitistes (comme je l’ai été un peu ces derniers jours) ou rendues agressives par la frustration que cause le sentiment d’impuissance devant l’injustice. Ces voix s’élèvent donc pour dire que les conditions ne sont pas réunies pour effectuer la rentrée des classes et que par conséquent il faut la reporter à une date ultérieure. Laquelle ? Nul ne saurait le dire car on ne détecte aucun signe précurseur d’un retour à une situation normale dans les prochains mois. Cette option serait donc la pire de toutes.

En effet, elle parachèverait l’action mortifère des hordes sanguinaires œuvrant pour tuer le présent et pour ôter tout avenir à la nation. Comment cela ? D’abord en leur fabriquant de nouvelles cohortes d’enfants des rues, vivier de recrues pour elles. Ensuite, en étendant, par un égalitarisme mal compris, leur action déshumanisante à des régions du pays qu’elles ne sont pas encore parvenues à terroriser. En fait à tout le pays.

 Cette question est délicate et peut-être difficile à comprendre pour beaucoup de personnes victimes dans leur chair, leurs affections et leurs biens. Mais ce n’est pas en commettant une injustice plus étendue démographiquement que l’on réparera celle qui nous révolte légitimement. Il faut donc laisser s’effectuer la reprise des cours partout où elle sera possible et surtout ne pas reproduire les gestes des bandits en s’opposant par la violence physique au fonctionnement des écoles qui travailleront. Ceci s’est vu par le passé. Ceci ne doit plus se reproduire. Pareillement, il faut que les réfugiés eux-mêmes épargnent et protègent les locaux et le mobilier des écoles qui leur servent de refuge.

En retour, ce premier effort pour casser le cercle infernal de la violence implique  pour l’autre partie un devoir de solidarité active. Dans notre société livrée au pire par les luttes de pouvoir entre un gouvernement largement détesté  et une classe politique largement discréditée, il est urgent que la rentrée des classes bénéficie d’une autorégulation citoyenne. Il appartient à la société civile et d’abord, mais pas exclusivement, à ceux de ses membres engagés dans le secteur éducatif, de se montrer tout à la fois généreux et imaginatifs. Une structure légère et dynamique pourrait se monter avec la participation des associations d’écoles privées et autres fédérations du secteur non étatique, des associations de parents, des syndicats d’enseignants, des chambres de commerce, etc. Une fois écoulée la première semaine de la rentrée il sera aisé de dresser un état des lieux et d’élaborer une stratégie d’urgence. Des esprits chagrins joueront la démobilisation en brandissant le cas des enfants jamais scolarisés. Mais encore une fois ce n’est pas  en universalisant  la violation des droits de l’enfance qu’on progressera dans la quête de l’égalité ou de la justice sociale.

Il faut sauver les enfants d’Haïti.

Si notre société ne peut se mobiliser pour cette cause, on peut se demander si elle mérite de survivre.

 

 Pétionville, le 6 septembre 2023

 Patrice Dalencour

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