La problématique des fausses informations sur les médias sociaux et l’enjeu d'une reconnaissance communicationnelle du contemporain

« Depuis toujours, le concept de censure  est assimilé au pouvoir autoritaire, dont elle est, en effet, un élément constitutif majeur. »

Ignacio Ramonet, La tyrannie de la communication, 2017

Les médias sociaux forment un lieu d’expression de soi par excellence où prévaut la pluralité des perspectives et où la parole revendicative peut s’imposer. La possibilité de placer son Je sur ces plateformes en ligne est libératrice dans la mesure où elle participe à constituer un terrain où le sujet socialement méprisé peut lutter pour une reconnaissance quoique putative. Cette possibilité de placer son Je sur les médias sociaux permet de se livrer à de libres confrontations des discours l’un contre l’autre et contre les déclarations officielles véhiculées par des personnes physiques ou morales au travers des médias traditionnels ou par l’affichage d’une note de presse ou d’un communiqué ou encore d’un tweet sur les médias sociaux. Fondamentales pour l’exercice démocratique et pour la construction de l’opinion publique, ces libres confrontations des discours dans le monde virtuel ont pour effet d’entraver les processus de manipulation classique des médias traditionnels et de permettre la contestation des politiques, lesquels ne sont plus en mesure de faire croire ou de faire agir comme avant. En disant ça, je ne m’oppose guère à l’idée qu’en même temps les médias sociaux participent à renforcer des formes de propagande qui s’appuient sur la circulation de fausses informations et le harcèlement médiatique qui s’ensuit. Mais comment comprendre les fausses informations et leurs implications sur les médias sociaux ? Faut-il superviser les publications, afin d’en sanctionner les dérives ? 

 

Combattre les fausses informations sur les médias sociaux…

Dans un article sur les fausses informations dans le monde virtuel, Vaval (2020) identifie le sensationnel, l’émotionnel et les réactions rapides comme étant la pierre d'achoppement du souci de vérification des sources et d’authentification des faits, qui offre ainsi un terrain propice à l'infox. Il précise que les fausses informations existaient bien avant l’émergence du web, mais que c’est la culture de l’information rapide avec des flux incessants, échappant « au contrôle difficile en termes de supervisions sur les contenus » qui est nouveau. Pour lui, la problématique des fausses informations est un défi du monde contemporain. Mais le contemporain ressemble de préférence au règne de la communication, que ce soit par l’interactivité technique, que ce soit par l’intercompréhension humaine. Pour Ferry (2020), le contemporain s’établit sur le principe du Logos, dont la sécularisation dans la communication de tous les jours ouvre la voie à la reconnaissance réciproque des personnes qui se constituent en tant que des êtres dignes d’être reconnus, constituant la communauté qui les constitue en tant que tels. À cet égard, un enjeu de reconnaissance est substantiel à la communication, autant que la communication est substantielle au monde contemporain.

Par ailleurs, il ne s’agit nullement d’aborder la problématique des fausses informations sans se soucier même un peu de l’enjeu d'une reconnaissance. Si le combat contre les fausses informations est un défi du monde contemporain, la reconnaissance en est l’enjeu. Cet enjeu a tendance à être occulté, lorsqu’il est question d’informer un récepteur collectif. Qu’elle soit vraie ou qu’elle soit fausse, l'information risque donc de porter atteinte à l’Autre. À cause de son caractère unidirectionnel et bien souvent arbitraire, elle n’offre ni la possibilité de négocier ni l’éventualité d’une concertation. Alors que la communication est de nature intersubjective et se décrit comme la lecture d'une grammaire commune que Je reconnaît pour sienne en Tu (Ferry, 1991 : 144).

Wolton (2022 : 16) nous invite à penser qu’un défi du monde contemporain réside plutôt dans la création « des espaces de négociation entre identité, altérité et cohabitation. » C’est là toute la difficulté de la communication qui fait que le choix d’une censure éditoriale semblable à celle des médias traditionnels est inapproprié, dès qu’il s’agit de combattre les fausses informations sur les médias sociaux.  La voie qu’il faudrait emprunter en lieu et place des supervisions sur les contenus des médias sociaux serait plutôt celle de la négociation, laquelle n’est pas possible sans la communication et inversement. Ceci étant, il importe de s'engager dans les libres confrontations des discours sur les plateformes en ligne pour contester, et non de les contrôler. Puisque l’idée de superviser les contenus sur les médias sociaux implique de priver l’Autre de la possibilité de placer son Je sur les plateformes en ligne, afin qu'il puisse témoigner des souffrances infligées à sa personne, des offenses figées dans son histoire, que seuls les médias sociaux lui permettent de crier sur les toits.

 

Les libres confrontations des discours et les jeux de perception

Par ailleurs, lorsqu'il est question de libres confrontations des discours sur les médias sociaux il est aussi question des jeux de perception. Et si tant est que les libres confrontations des discours sur les médias sociaux constituent une activité démocratique, les jeux de perception se trouvent ainsi renforcés.  Par jeux de perception, j'entends la pratique pour une personne, un influenceur, un média traditionnel, un acteur social sur-représenté, une communauté, de s’engager à utiliser la persuasion, des moyens officiels et officieux, ses capacités à agir sur les perceptions et de faire circuler de fausses informations, afin de présenter un autre, une situation ou un évènement selon un point de vue ou un ordre de la réalité qui ne s'oriente que dans le sens des intérêts à soi contigents. Ce peut être un processus de manipulation qu’on exerce pour construire une image à autrui, afin que n’importe qui le perçoive de la manière dont on a voulu qu’on le perçoive. Les données pertinentes sur autrui sont immergées par un océan de commentaires infondés, injustifiables et la plupart du temps non argumentés, qui le font et le défont. Et le plus souvent, on est plus intéressé par ces commentaires contingents que par l’essentiel qui décrit autrui. Évitant de rejoindre les théories du complot, je dirais que le stratégique a toujours sa place dans les jeux de perception qui font et défont un autre, une situation ou un évènement, si ce n’est le politique. Et il n’empêche que les campagnes de dénigrement existe, aussi bien que des apologies gratuites en faveur de personnes non prestigieuses ou qui ne publient rien qui vaille d’être jugé en tant que tel. Le paraitre se fait passer pour une valeur cardinale du monde social, essayant tout à la fois de remplacer le prestige.

 

Références bibliographiques

Ferry, J.-M. (1991). Les puissances de l'expérience. Essai sur l'identité contemporaine. Les ordres de la reconnaissance (Tome II). Paris : Cerf.

Ferry, J.-M. (2020). Écrits philosophiques. Paris : Pocket.

Vaval, J. (2020). Déformation de l’information sur les réseaux sociaux et l’enjeu de la manipulation. Le nouvelliste. https://lenouvelliste.com/article/217360/deformation-de-linformation-sur-les-reseaux-sociaux-et-lenjeu-de-la-manipulation.

Wolton, D. (2022). Communiquer, c’est négocier. Paris : CNRS Éditions.

 

Williamson Ornéus

Spécialiste en communication | Mastérien en Histoire, Mémoire et Patrimoine

Licencié en Communication sociale

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