Conflit haïtiano-dominicain : un sociologue haïtien recadre le président dominicain dans une lettre ouverte

5
3499

Monsieur Luis Abinader  

Président de la République dominicaine

Monsieur le président,

Depuis votre accession à la présidence de votre pays, il est indignant de constater que vous vous amusez aveuglément à souiller le nom du peuple haïtien. Aveuglé par l’arrogance et l’orgueil, consumé par l’ignorance et le désir de vengeance, vous vous immiscez dans les affaires de la République d’Haïti comme bon  vous semble. Une tendance qui ne fait que porter atteinte à la souveraineté et la dignité de la première République noire indépendante. Un peuple ayant, lui seul, écrit l’histoire, dans un contexte où la liberté n’a été aperçue que dans les contes de fées. Le premier ayant changé le cours de l’histoire en défiant l’esclavage, le principal mode de production orchestré par les puissances colonisatrices (l’Espagne, le Portugal, la France…), les belligérants de l’époque.

 

Au vu et au su de son histoire, tout État civilisé, je dis civilisé et non industrialisé, sait que parler d’Haïti exige de la plus grande RÉVÉRENCE. Vouloir ainsi discréditer Haïti pour un président d’un petit pays comme le vôtre relève du façonnage d’image. Choix rationnel. Car, il n y a pas de meilleure stratégie pour vous faire reconnaître sur la scène internationale. Cependant, ce conflit né de la construction du canal d’irrigation sur la rivière du massacre, en raison de vos propos délirants et blasphématoires, dévoile à quel point vous représentez un déshonneur et une menace, non seulement pour l’île, mais la région caribéenne, toute entière. C’est une honte pour un homme qui se dit président, une fonction de noblesse. J’estime, en tant que citoyen haïtien, qu’il est temps de vous réveiller de vos fantasmes.

Monsieur Abinader, contrairement à ce que vous croyez, Haïti ne représente pas une menace pour votre pays, mais un atout historique et économique. Cela aurait dû être un honneur pour vous de côtoyer Haïti. Le monde se rend compte de votre existence pour avoir partagé la même île avec la République d’Haïti. Un peuple qui, après trois siècles rythmés d’incessantes luttes orchestrées par des hommes de valeurs, mesurés à l’aune de la bravoure, de l’intrépidité et du sens de l’existence, a fini par accoucher le 1804 que l’histoire elle-même ne cessera jamais de couronner. À ce stade, vous n’étiez même pas encore nés.

Au travers de vos fades discours peut-on lire des remords d’avoir été notre arrière-cour ou placé sous notre protectorat pendant presque un quart de siècle. Mais au cas où vous l’auriez oublié, Haïti vous a sauvés, à maintes reprises, de la servitude des Blancs. L’arrogance ne saurait effacer l’histoire. Votre ignorance vous soumet sous la bannière de la violence. Puisque l’ignorance est sœur de la tyrannie. À noter que le chef ignorant ne dirige pas, il est plutôt dirigé par le pouvoir qui le blesse du même coup, et qui, malheureusement, essaye de panser sa plaie par les mêmes larmes qui l’ont tranché. Ses erreurs sont compensées par son propre orgueil.

Monsieur le dictateur, je vous rappelle qu’à travers tous les pays du monde, le premier devoir de tout État qui se respecte consiste à protéger son territoire qui est l’expression même de sa souveraineté, sans que cela puisse porter préjudice à un autre. Puisque l’autodétermination des peuples est un principe garanti par le Droit international public. Aucun, absolument aucun État ne peut se vanter d’être plus souverain qu’un autre. Peu importe son niveau de développement, il ne saurait vivre en autarcie et aucune disposition internationale ne lui confère le droit de contraindre un autre. C’est pourquoi le volontarisme est la condition première de toutes les conventions passées entre eux, du fait que les clauses doivent être librement définies et les engager réciproquement. 

En effet, l’utilisation de la rivière du massacre doit être faite de façon équitable suivant le traité de paix, d’amitié et d’arbitrage, signé le 20 février 1929, qui n’a jusqu’à présent fait l’objet d’aucune irrégularité formelle ou substantielle. N’ayant pas été dénoncé, il est d’usage obligatoire à nous deux États conformément au principe de « Pacta sunt servanda ». Vouloir priver la République d’Haïti de ce droit renvoie à une violation du traité et l’autorise, du coup, à faire autant, au regard de l’exception de non-accomplissement cadrant tout traité.

 En outre, votre réaction remet en cause l’honnêteté et la compétence de votre propre gouvernement. On est convaincu que vos décisions ne relèvent pas d’une simple hydrostratégie. Elles reflètent fidèlement l’attitude d’un valet loyal au service de son maître.  Néanmoins, partant du principe de la non-ingérence, aucune instance internationale ne saurait contraindre ce peuple souverain à faire retrait dans son projet.  J’ignore si vos règles de droit vous y autorisent, mais je vous rappelle que nous sommes dans un contexte international et que le « jus cogens » l’emporte.      

           Comment un président ose-t-il traiter de barbare le premier peuple ayant fait flotter l’étendard de la liberté ? Le peuple haïtien est plutôt le peuple des humanités. La barbarie conviendrait le mieux à votre pays. Laissez-moi vous rappeler qu´entre le 2 et le 4 octobre 1937, vos semblables ont massacré plus de 20 000 Haïtiens, y compris même les femmes enceintes, les nourrissons, les vieillards, les handicapés, les hospitalisés. Les cadavres de nos semblables ont jonché vos rues et leur sang était servi d’engrais à vos plantations et à alimenter la rivière devenue, depuis lors, la rivière du massacre. Entre le peuple haïtien et la rivière du massacre, il y a donc une histoire. Elle symbolise le sang de ces milliers Haïtiens assassinés. Un acte funeste et odieux, l’un des plus vils crimes que l’humanité n’ait jamais connus commandité par l´un de vos ancêtres despotes, le dictateur Rafael Trujillo.

86 ans depuis, votre école de formation, voire de professionnalisation aux carrières criminelles porte encore ses fruits. Les Haïtiens continuent à être victimes de vos crimes les plus ignobles. Vos concitoyens violent nos femmes et nos enfants, décapitent, bastonnent, lapident les ressortissants haïtiens au prix de leur distraction. Ils sont exploités, discriminés et font l´objet de diverses violences en tant qu´étrangers. Vous n´êtes rien d´autre qu´un peuple raciste, barbare, une nation aux humanités abimées qui aurait dû être diplomatiquement bannie de la région. Vous n´avez jamais fait preuve d´une quelconque compassion envers Haïti. La migration n´est qu’une valeur ajoutée profitable au pays receveur, ce n´est que main d´œuvre à bon marché, comme l´a dit notre frère, l´illustre rappeur Kery James. Ce qui porte à croire que le crime contre les étrangers est officieusement légalisé par votre État. Seul un idiot penserait le contraire.      

Je sais que l’histoire ne suffit pas, mais aucun peuple ne saurait construire une identité en dehors de son passé. C´est l’âme même de la nation. Nous sommes indignés de voir Haïti gangrénée ainsi par la corruption, quoiqu’il y en ait partout. Mais, savoir que même la République dominicaine s´y contribue, nous inonde de remords. Un peuple sans histoire.

Monsieur Abinader, parler mal  d’Haïti ne fera pas de vous un grand président. La grandeur ne réside point dans l’ignorance et l’insuffisance. Assainissez vos propos. Ne comptez pas sur le peuple haïtien pour flatter votre orgueil, en l´évitant de vos produits de pacotilles et cancérigènes. Ne réduisez pas le peuple haïtien à ces soi-disant dirigeants marionnettisés par la « société démoniaque ». Le peuple haïtien est un peuple de prestige et d´honneur. Pour finir, étant liés par une interdépendance dans ce voisinage mondial, nous avons besoin des alliés humbles et non des hypocrites et racistes comme vous. Car, le racisme est le mal le plus pernicieux et nocif de l’humanité ayant causé, par la suite, sa plus grande infirmité.

                                    Serge BERNARD,         

                                                    Sociologue & activiste politique,

               Un Nègre.

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

5 COMMENTAIRES