Quel sera le rôle des acteurs nationaux dans la coopération policière et militaire du Kenya en Haïti ?

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Le concept qui résume la situation de crise sociopolitique en Haïti est celui de l’exclusion ; il appert qu’il doit se compléter par les adjectifs social, économique, politique, et culturel. En effet, la mise en marge des droits fondamentaux de certaines couches de la population haïtienne par les mécanismes de la reproduction des acteurs sociaux, depuis les décennies post-Duvalier, est la définition de cette forme d’exclusion multidimensionnelle, dont les violences urbaines des gangs armés constituent l’expression la plus symptomatique pour la sociologie haïtienne. La constitution de mars 1987 n’a pas favorisé la promotion et la protection des droits sociaux, économiques, culturels liés aux droits civils et politiques. Mais, celle-ci a été plutôt la cause des discordes entre les acteurs politiques qui s’entredéchirent pour le contrôle du pouvoir, au détriment du bien-être des populations souffrant des différentes formes de violence qui fragilise le territoire national.

Donc, la volonté politique d’envoyer une force de répression militaire et policière pour combattre les symptômes pour éradiquer des maux enracinés dans des pratiques culturelles, sociales, économiques d’interaction ne peut être qu’une erreur absurde en gestion sociale rationnelle des rapports sociaux entre gouvernants et gouvernés. C’est rester dans la logique de l’analogie de l’iceberg dont on ne voit pas la partie immergée, mais qui représente le continuum du danger que l’on veut éviter en mettant l’accent sur la partie visible.

En effet, il ne s’agit pas de monter et d’appliquer des politiques de répression par la mobilisation des ressources financières, techniques, et humaines en provenance de l’international. Bien que cela puisse être envisagé comme un point important des solutions à court et à long terme. Mais, il importe de corriger les modes traditionnels de la coopération entre les pays du nord et du sud, et les effets pervers de la socialisation afin de favoriser une (ré) intégration des acteurs de la déviance criminelle, qui doit se faire conséquemment en amont. Aussi, l’envoi d’une force multinationale dirigée par le Kenya ne doit pas s’inscrire dans la seule perspective d’une mission de chasse aux gangs des quartiers soustraits à l’autorité juridique et policière de l’État haïtien, dont les principales décisions et actions se relèveraient de la seule compétence des acteurs internationaux.

Il y a environ 5 décennies que le sociologue français Jean Pierre Cott critiquait une forme de coopération des acteurs internationaux excluant la véritable participation des acteurs nationaux dans son ouvrage « Le Tiers-mondisme : Pourquoi faire ? ». Au fait, négligeant les éléments des cultures nationales, des besoins socioéconomiques, des traditions politiques, et de la perception que ces peuples ont du monde international, après avoir connu  l’histoire coloniale et s’être forgé le sentiment du nationalisme d’existence, les modes d’intervention des missions contribuent plus souvent à faire plus de dégâts dans ces sociétés et créer des hostilités, selon l’analyse de ce penseur. Aussi, la décision votée à l’ONU d’envoyer des policiers et des militaires en Haïti doit-elle se coupler d’autres objectifs de coopération internationale pour renforcer et aider l’État haïtien : à réformer son système judiciaire en l’autonomisant  et en améliorant les compétences de ses acteurs, donner les moyens logistiques et techniques aux forces nationales de répression,  tracer une cartographie définissant une géographie de la violence pour l’efficacité du contrôle social exercé par la police et l’armée et proposer à ces forces des salles d’observation des images satellites des zones contrôlées par les gangs (leur mobilité, leur effectif, leurs réseaux de communication), élaborer un programme d’ingénierie sociale pour soutenir l’élaboration et l’application des politiques sociales d’intégration et lutter contre les exclusions, bâtir sur le terrain national un programme d’intervention contre les déviances criminelles en concertation avec les acteurs locaux compétents, et définir une date butoir pour le départ de cette force multinationale en collusion avec l’idée constitutionnelle de la  souveraineté nationale.

Ce qui pourrait donner aux acteurs nationaux l’impression favorable à la réussite de cette mission de participer à la résolution de leurs propres problèmes et de n’être pas en train de subir les décisions et les actions des forces du néocolonialisme et de l’impérialisme, avec la participation d’un pays africain dans un pays de l’Amérique anciennement colonisé.

Rappelons que la mémoire historique des différentes interventions militaires qu’a connues le pays depuis 1915 ne favorise pas toujours une perception positive chez les Haïtiens sur l’envoi des militaires sur le sol national. Le nationalisme explique cette attitude de méfiance, autant que les actes et forfaits que la nation reproche à ces forces coutant des sommes financières, qui auraient pu équiper et organiser les forces armées nationales, justifient cette méfiance. Aussi, faut-il lancer ces slogans qui justifient, et font une mise en question de la nouvelle et éventuelle mission des Nations unies en Haïti : Plus de coopération efficace internationale ! Plus de participation des acteurs nationaux dans les prises de décision ! Moins de violence pour la démocratisation de la société haïtienne.

 

6 octobre 2023

 

CHERISCLER Evens

Journaliste et Enseignant

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