HORIZON--HAÏTI PAR RAY ALEXANDRE

Scénarios pour une sortie de la multi crise haïtienne

N’ayons pas peur ou honte de le dire d’emblée : les scénarios made in Haïti (Accord Montana par exemple) sont très différents des scénarios imposés par les «  Pays amis d’Haïti » (le Premier ministre Ariel Henry nommé par le président Jovenel Moïse assassiné sauvagement par la suite comme remplaçant du Premier ministre par intérim Claude Joseph à partir de l’approbation du « Core group » qui, dans un communiqué daté du 19 juillet 2021, appela Ariel Henry « à la formation d’un gouvernement consensuel et inclusif »). Mais après deux ans et demi au pouvoir, (le scénario) Ariel Henry est certainement plombé d’autant plus que le dernier accord, l’accord du 21 décembre 2022 qui lui sert de boussole prévoit son départ avec l’installation d’un président élu le 7 février 2024, date symbolique qui, avec le retour de Guy Philippe sur le scène politique, sert de fer de lance à la mobilisation des forces et secteurs opposés au gouvernement d’Ariel Henry. Aujourd’hui, les scénarios du « Bwa Kale » ou du dechoukay traditionnel, malgré la colère et les souffrances incommensurables du peuple haïtien harcelé par les gangs, ne font même plus illusion, plus personne n’y croit, ou presque. La confiance des Haïtiens, pris en otage par leurs propres démons (culte narcissique de la personnalité, incapacité à se rassembler autour d’un projet commun mobilisateur, dépendance par rapport à la communauté internationale, sauve-qui-peut individuel, leaders politiques sanctionnés et hors-sol, oligarchie économique corrompue, etc.), dans les solutions nationales en dehors d’une force internationale se trouve anéantie et la sortie de la multi crise avec ou sans Ariel Henry pose problème. Passons en revue les différents scénarios incluant à la fois les forces nationales et les puissances étrangères. N’oublions pas que la dichotomie exécutive monocéphale et exécutif bicéphale bat jusqu’ à présent son plein dans tous les scénarios envisagés.

 

Les scénarios avec Ariel Henry

D’abord il y a les scénarios avec Ariel Henry dont l’un est revendiqué sans arrêt. Le premier scénario sous-tend l’élargissement du haut conseil de transition (HCT) avec deux nouveaux membres. Ariel Henry garde sou poste en procédant à un remaniement ministériel conséquent pour « partager le gâteau gouvernemental » avec d’autres partis et secteurs afin d’arriver à la formation du conseil Électoral Provisoire. Mais ces changements n’auront pas de conséquence véritable si le HCT n’a pas les pouvoirs décisionnels inhérents à l’autorité présidentielle pour enclencher, entre autres, le processus de la réforme constitutionnelle dont on ne parle plus depuis quelque temps.

 

Le second scénario avec Ariel Henry qui a la caractéristique surréaliste d’un changement de fonction ou de rôle peut difficilement envoyer le Premier ministre actuel au sein du HCT et un dernier scénario avec ce dernier tout autant surréaliste, le catapulter à la tête du pouvoir exécutif comme chef de l’État. Ces deux scénarios étant improbables à plusieurs égards, point n’est besoin de mettre l’accent sur les difficultés incroyables de leur mise en œuvre.

 

Les scénarios sans Ariel Henry

Ensuite, les scénarios sans Ariel Henry sont de trois ordres : le premier scénario qui entraîne son remplacement par un ministre en fonction désigné par le Conseil des ministres à titre de Premier ministre par intérim ; le second scénario qui se réfère à l'article 149 de la Constitution de 1987 (non amendée) met en place un exécutif bicéphale (un président, de préférence, issu de la Cour de cassation et un Premier ministre issu d'un consensus national). Dans ces trois scénarios, la question essentielle est la nature de la composition du gouvernement. La préférence pour un gouvernement non partisan, contrairement à celui d’Ariel Henry, renvoie en somme à la formule d’Ertha Pascal Trouillot et de Gérard Latortue dont le gouvernement était composé de technocrates et de cadres compétents. Un gouvernement composé de chefs et de membres de partis politiques ne peut pas garantir en toute confiance l’organisation d’élections libres, équitables et transparentes. L’autre défi fondamental, c’est le processus de formation du (CEP) qui doit être un processus ouvert et intègre pour que ses membres, soigneusement sélectionnés pour leur impartialité, leur moralité et leurs qualités professionnelles, soient au-dessus de tout soupçon et au-dessus de la mêlée.

 

À quoi et comment tient le succès de l’un ou l’autre scénario ?

Pour répondre, il faut se référer aux exemples du passé dont la volonté inébranlable et la qualité des membres des gouvernements d’Ertha Pascal Trouillot et d’Alexandre-Latortue peuvent nous guider aujourd’hui, sans oublier aussi la réussite du gouvernement Privert/Jean-Charles. Comme pour ne pas se suicider ou fuir le pays devenu inhabitable.

 

Les deux scénarios unitaires et radicaux

Quoi qu’on dise, Ariel Henry dont le pouvoir est basé sur un large ralliement de partis politiques, de secteurs de la société civile et d’associations patronales est aussi arrivé à bâtir un consensus manifestement pluriel puisqu’il est encore là, pas seulement grâce au soutien des « Pays d’Haïti » et leurs sanctions controversées. L’insécurité galopante, les incertitudes électorales amplifiées par l’absence d’un CEP, le dossier jamais abordé de la réforme constitutionnelle, la persistance des oppositions, la déshumanisation des conditions de vie, le risque d’une explosion généralisée, la fuite de nos jeunes et cadres comme des immigrants désespérés : autant de manifestations de la multi crise qui ronge le pays.

 

Si tous ces scénarios impliquent une certaine légitimité consensuelle au niveau national, avec ou sans Ariel Henry, leur concrétisation passe obligatoirement par la bénédiction internationale (Nations Unies, OEA CARICOM). Sauf si… enfin, les deux derniers scénarios nous envoient soit à un vaste mouvement populaire et multisectoriel de contestation, de surcroît armé ou violent, capable de renverser le pouvoir actuel soit à une alternative nationale fédératrice, c’est-à-dire Transpartisane et unitaire sous l’égide des forces saines ou religieuses--ce qui en reste--du pays. Peut-on croire en un sursaut national ou solution entièrement haïtienne en ces temps chaotiques dominés par des secteurs nationaux incapables de se surpasser ? À bien des égards, il s’agit d’un « ôté-toi que je m’y mette ». Ces deux scénarios tendent, par le partage d’expériences dispersées dans le temps (départ du président Prosper Avril en mars 1990, départ du président Jean Bertrand Aristide en février 2004), à revivifier la mémoire des uns et l’attention des autres.

 

 

Ray Alexandre

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES