Haïti : éléments de puzzle d’une débrouillardise criminelle

Souvent, on s’attèle à dénoncer une forme de leadership courant en Haïti qui tire son marron du feu de la misère et du désarroi de la majorité. Mais le temps et le grand drame actuel que nous vivons suscitent certaines questions : pourquoi cet acharnement de l’haïtien contre l’haïtien ? Comment nous expliquer cette autodestruction ? Comment expliquer cette impossibilité de consensus en dépit de l’enfoncement ?

Si nous devons nous poser certaines prémisses majeures liées à la survie humaine, les philosophes semblent nous avoir proposé au moins deux bien plausibles :

• L’intérêt est la mesure de toutes les actions humaines ;

• Il nous faut un minimum de bien-être ou de confort pour pratiquer la vertu .

Aussi, tente-t-on par-là de chercher à répondre suivant notre compréhension de cet individualisme sec et hideux pratiqué en Haïti . Il ne semble pas être un choix haïtien, mais un réflexe de survie post-esclavage et pour laquelle survie l’Haïtien est prêt à prêcher la chose et son contraire en même temps, à embrasser le courant, ou la mode qui propulse au-devant de la scène sans changer son fort intérieur .

Les exemples sont multiples : le rural troquant,dès son arrivée en ville, ses us et coutumes pour une posture de chrétien, membre d’une Église offrant une plus grande ascendance sociale. La majeure partie des Haïtiens arrivant aux USA, est encline à devenir chrétienne protestante rapide vite, en Arabie ils peuvent être musulmans fous de Allah en Asie fous de Confucius.

C’est le liquide qui épouse la forme du contenant, il en est de même de nos étudiants à l’étranger souvent convertis en de vulgaires agents des pays boursiers à l’encontre de tout intérêt du pays dont ils sont ressortissants. L’essentiel est de s’inventer sa petite vie en singeant. Voilà comment il peut être plus brillant et plus zélé partout où il passe par rage de survivre.

L’haïtien, là où sont ses intérêts personnels et immédiats, là aussi sera son cœur et toutes ses actions vont converger vers une débrouillardise acharnée sans se soucier de groupe, de communauté, d’État et dans une certaine mesure même de famille. Ce n’est pas sans raison que, souvent, il ne se gêne pas de ce qu’il se trouve sur la liste de faibles cotisants, de débiteurs récalcitrants, de mauvais contributeurs publics … etc.

Il n’a pas d’attache de contributeur avec aucune collectivité, mais de siphonneur et même de pilleur. Voilà pourquoi il lui est quasiment impossible de construire l’espace collectif et de faire des concessions. Continuellement, il est à l’affût de gains, de privilèges et de conquête d’autres cieux . Ce, sans grand engagement :

“se pa mwen kap vin ranje peyi”, se lèt mwen vin bwè mpa vin konte manmèl » .  Donc, pas d’initiative collective pérenne, pas d’investissement, pas de projection d’avenir. Sa gestion politique ne consiste qu’à brader l’État, détourner les pouvoirs et les biens sociaux à son profit.

Les battues, la trahison, la délation semblent imprimer à nos réflexes l’accaparement de l’immédiateté. Un jour à la fois. Donc tout lendemain nous paraît hasardeux, pas question de le prévoir encore moins le planifier et ceci nous est bien encré par des expressions spéciales : « kabrit diw sa ki nan vant ou se li kipaw » , un tiens vaut mieux qu’un tu l’auras . Toute la démarche de l’haïtien va être comment se débrouiller tout seul et tout de suite pour s’en échapper .

Aussi va-t-il s’outiller d’un ensemble d’éléments conceptuels handicapant toute initiative collective voire la construction d’un État souverain. Il est pratiquement impossible de faire des corporations, de la politique, du social avec :

“Se sòt ki bay enbesil ki pa pran”,  “se tòti ki montre jan pou yo koupe tèt li”, “degaje pa peche”, akwoupi m chajew » , chak koukouy klere pou jel . Ces imprégnations nous ont dressé l’un contre l’autre et nous transforment en d’égoïstes goinfres, voraces, voleurs, receleurs et mythomanes anti-patriotes, mauvais pères, mauvais conjoints et sales prédateurs .

On ne peut plus se voiler la face par ces discours politico-religieux creux, improvisés, imprégnés de mythes et d’incohérences historiques, suffisamment agressifs et arrogants pour n’abattre que momentanément sa cible; mais très inconsistants pour une échappée collective voire individuelle durable. Notre débrouillardise devient criminelle et perfide ..

Quelques éléments du puzzle de la débrouillardise criminelle :

L’individu qui sape les structures d’un pont métallique rien que pour aller vendre ses pièces chez un férailleur sous le regard passif et complice d’autres en attente de se créer une filière de portefaix dans la ravine, rançonnant ainsi des passagers de transports motorisés en difficulté, et naturellement encouragés par des politiciens qui s’en servent pour battre campagne contre l’autorité établie ;

Les entrepreneurs touristiques entravés par des entrepreneurs politiques livrant les espaces publics aux bidonvilles pour s’assurer des votes avec un discours populiste « tout bouch fann fòk yo manje » ;

Le commerçant pour entuber le consommateur et tromper la vigilance de la douane et du fisc n’hésite pas à arroser les politiciens, les fonctionnaires et les bandes criminelles;

Des sous-traitants de véhicules blindés qui mettent des vies en périls dans leur compétition déloyale en faisant tirer sur des usagers routiers à balles réelles pour orienter des choix de niveau de blindage, « pam pi bon »;

Des médias, des réseaux et groupes armés qui se radicalisent pour plus de views sur Facebook et YouTube;

La prostitution, la vulgarité, le dénigrement, le cannibalisme, le lynchage médiatique en live sur les réseaux sociaux pour obtenir des views payants.

Alors, comment s’entendre lorsque sa survie se construit au détriment de l’autre et du collectif . Personne n’est dans un créneau normal par choix volontaire - que l’individu soit religieux, policier, professionnel -, mais par faufilage dans des passerelles opportunes pour une échappatoire de survie individuelle. Ayisyen nou mele !

 

Daniel JEAN, Av.

Daniel_jean50@yahoo.fr

13 Mars 2024

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