Où trouverons-nous remède à nos maux ?

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J’ai lu avec intérêt la tribune de Yanick Lahens dans Le Monde du 13 mars 2024, intitulée « Trouver un cran d’arrêt à cette chute dans l’abîme d’Haïti ».

Je trouve très pertinente l’analyse que nous livre Yanick Lahens. Il est vrai que nos hommes et femmes exerçant le pouvoir ou y aspirant portent une très lourde part de responsabilité dans la débâcle actuelle. J’applaudis également le diagnostic cinglant concernant la responsabilité de différents acteurs locaux et internationaux dans la montée en puissance des gangs.

C'est bien l'incapacité de ces mêmes acteurs politiques (pouvoir en place, oppositions haïtiennes et communauté internationale) à dénouer, depuis juillet 2021, la crise par un accord négocié, qui a laissé le temps et l'espace à la mafia transnationale de la région, et leurs alliés locaux du secteur des affaires et du secteur politique, de transformer ces assaillants en une «armée de « libération nationale » autoproclamée.

Eh oui, le patriotisme et l’abnégation de l’homme politique chilien Daniel Jadue, que l’auteur cite, font cruellement défaut à nos affairistes politiques et à notre élite économique. Quant à ça !

Des personnalités politiques et du monde des affaires ont instrumentalisé les gangs dans les quartiers populaires pour la tenue d'élections, l'organisation de manifestations intempestives ou pour garantir un monopole sur des installations portuaires, sécuriser des entreprises, assurer la contrebande, les trafics en tous genres, s'enrichir sur la décote vertigineuse de la monnaie, sans oublier la pègre transnationale.

Et je remercie la romancière pour sa conclusion sur une note d’espérance : l’espérance ne consiste pas à prendre d'assaut le pouvoir, mais à construire une offre politique qui ait un ancrage d'abord dans les localités et qui puisse permettre un pays plus juste et plus solidaire.

Mais je voudrais revenir sur deux choses qui me dérangent dans ce texte. D’abord le point d’origine de la crise actuelle et ensuite ce que je ressens comme un procès d’intention.

 

L’origine de la crise

Ce sont bien les élections de l'année 2010 qui ont ouvert ce nouveau cycle d'instabilité, de déroute économique, de désastre social et de violence Je crois que le terrible bourbier de 2024 remonte à un peu plus loin. En partant de 2003-2004 -au moins - on tombe sur de troublantes ressemblances entre ce qui se passe actuellement et le mouvement RPK ; la mobilisation tous azimut de la société civile contre le président Aristide ; le Groupe des 184 et son fameux Contrat Social ; l’adoubement de Guy Philippe en « combattant de la liberté » … etc. Instabilité, déroute, désastre étaient déjà en bonne voie. Aujourd’hui, comme Yanick Lahens le décrit bien, il y a une surenchère de la violence urbaine. Mais le scénario (le statu quo ante) n’a pas beaucoup changé. La crise est-elle vraiment marquée par la nouveauté de sa nature ?

En remontant encore, ma mémoire me ramène pêle-mêle aux terreurs sur la ville orchestrées par le FRAPH, à l’Opération Bagdad, à Grangou Klorox, aux assassinats spectaculaires de hautes personnalités, dont un Ministre de la justice en fonction, sortant de son bureau exécuté en plein jour, en pleine rue... Nos caïds d’à présent ont commencé leurs classes bien avant 2010, avec des maîtres de la génération 1991. Les départs vers le pays de Biden aujourd’hui sont en phase avec la saignée vers le pays de Michelle Bachelet au lendemain du tremblement de terre.

 

Procès d’intention

Mais qu'il est facile quand on habite un quartier préservé de la violence, que ses enfants sont à l'étranger à l'abri ou que ceux sur place peuvent continuer leur scolarité à distance, et qu'on peut encore soi-même fréquenter boutiques et restaurants, ou quand on vit à l'étranger, de refuser toute aide extérieure à la police nationale. Or, réclamer un appui international pour un renforcement de la police, c'est renvoyer l'international à son imputabilité dans la crise depuis 2011. En détruisant l'ensemble des infrastructures policières autour de Port-au-Prince à l'annonce de la signature de l'accord entérinant l'aide du Kenya à la police haïtienne, les gangs armés s'alignaient eux aussi sur ce discours nationaliste.

Bon, alors là, ceci s’adresse à moi directement. Certes dans mon entourage nous ne fréquentons guère les restaurants ni les boutiques, sauf épiceries et pharmacies quand c’est possible. Mais mon fils est à l’étranger à l’abri ; j’habite un quartier préservé (jusqu’à présent !) de la violence ; je continue d’assurer la scolarité à distance de mes élèves. (Il faut bien que quelques-uns gagnent leur vie en exerçant un métier honnête !). Ceci étant, je reste et demeure convaincue, au regard du triste bilan des moult forces d’intervention en balade sur notre terre depuis des décennies - à coup de centaines de millions de dollars - que la panacée ne viendra pas de là. En quoi penser cela c’est comme les gangs armés s’aligner sur le discours nationaliste?

Minustah, Minuha, Miponuh, Micivih, Manuh, Mitnuh … si on applique chaque fois le même remède, et l’état du malade, au lieu de s’améliorer devient comateux, c’est qu’il y a un sérieux problème. Et puis, d’où est venu le choléra qui a fait quelque 10.000 morts parmi les nôtres ? Des casques bleus en mission chez nous ont-ils été épinglés par le mouvement #Metoo pour abus sur mineures ?

Oui désarroi et désespoir sont le lot de celles et ceux qui ont été victimes du kidnapping dans leur corps et leur portefeuille, celles et ceux qui en sont à leur énième déménagement en raison de l’avancée inéluctable des bandits vers les différents quartiers de la zone métropolitaine. Et tout naturellement, ces citoyennes et citoyens, abandonnés à leur sort par des dirigeants vraisemblablement complices des bandits, considèrent que le salut réside dans l’arrivée (toujours reportée) des forces étrangères ou dans l’exode vers les pays de l’autre bord de l’eau, où existe un état de droit. Dans le même temps, il est d’autres Haïtiennes et Haïtiens qui, légitimement, ne se font guère d’illusions sur l’efficacité d’une éventuelle Mission multilatérale d’Appui à la sécurité en Haïti. Est-ce du nationalisme cocardier ?

Je n’ai pas de solution toute faite à proposer face à la violence, l’inégalité et l’injustice systémiques que notre pays traîne comme un boulet depuis la trahison de 1806. Mais il me semble que pour endiguer un peu les actuels flots de violence urbaine qui nous endeuillent, nous appauvrissent et nous mettent au ban des nations, il faudrait pour commencer faire en sorte que moins de cargaisons d’armes et de munitions se frayent (si aisément) leur chemin jusqu’aux patrons des bandits.

 

Nathalie LEMAINE

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