L’ultime transition démocratique ?

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Même si beaucoup d’Haïtiens se réjouissent de la démission forcée du Premier ministre Ariel Henry, qui n’a rien réalisé de tangible ni en matière électorale ni sur le plan sécuritaire pendant les presque trois ans passés à la tête du pays, la crise n’est pas pour autant près d’être résolue. Car le problème n’est pas seulement politique : il est aussi économique, institutionnel et humain.

Or, la plupart de nos leaders sont des durs à cuire et surtout des nombrilistes qui semblent ne s’intéresser qu’à occuper la fonction de chef suprême sans présenter de réelles propositions susceptibles de changer la situation désastreuse dans le bon sens. Par exemple, il va leur falloir dans les cent premiers jours, faciliter la production agricole paysanne et la circulation des marchandises et des hommes avec le moindre risque criminel pour améliorer au plus vite la crise humanitaire qui frappe plusieurs millions d’Haïtiens. Cela suppose concrètement que les forces en action devront supprimer dans les meilleurs délais tous les péages des bandits qui extorquent les passagers et transporteurs.

Certains analystes sont d’avis que les problèmes vont s’accroître et ils ont malheureusement raison. La lutte sauvage pour le pouvoir va se poursuivre avec encore plus d’acharnement. Sauvage, car ne se référant à aucune règle démocratique établie et respectée par tous. D’ailleurs, les divergences avaient commencé juste après le discours de démission d’Ariel Henry.  

Se battre pour accéder au pouvoir est en soi légitime. Normal. Mais en Haïti cette lutte ne s’appuie sur aucun principe ni ne se fait sur la base de programmes de gouvernement, mais plutôt aux besoins d’adversaires décidés à en découdre. Comme les politiciens haïtiens ont développé une relation toxique avec la loi, le combat se déroule généralement sans principes et tous les coups sont permis. Même le crime crapuleux. On sait qu’un groupe qui évolue sans normes est proche de l’état nature et, de ce fait, aura du mal à sauter par-dessus son ombre vu que l’émotion, le relationnel et les intérêts particuliers priment sur la rationalité, la loi et l’intérêt général. Et sous la menace des gangs, la politique, qui n’a pas l’habitude du dialogue, mais qui se nourrit d’insultes, de menaces et même de violence corporelle, devient un terrain de plus en plus glissant. C’est à cause de ce climat d’égoïsme, de violence psychologique et physique que beaucoup de citoyens progressistes à l’instar des jeunes du mouvement Petrochallengers ont abandonné l’engagement politique.

Le bilan de ce combat sans merci pour le contrôle des appareils politiques et économiques de l’État est lourd. Beaucoup de crimes impunis, comme l’assassinat de Me Montferrier Dorval, de Marie Antoinette Duclair, de Diego Charles, de Rospide Pétion et de nombreux autres journalistes et de simples citoyens tués pour leurs opinions ou comme victimes collatérales. Sans oublier l’assassinat de très nombreux policiers tués chez par les bandits.

 

Des divergences

On constate dès le lendemain de l’annonce du départ du docteur Henry, les divergences ont surgi au sein des partis politiques censés s’entendre sur la composition d’autorités provisoires. On a vu notamment un Jean-Charles Moïse du parti Pitit Dessalines, qui exige contre toute attente un conseil présidentiel de trois membres avec la participation du repris de justice Guy Philippe. Or sur ce plan, les propositions de la Communauté des Caraïbes sont très claires : aucune personnalité ayant fait l’objet de condamnation, d’inculpation ou soupçonnée d’actes de criminalité, ne pourra en devenir membre. Ce qui rejette automatiquement la participation d’un Guy Philippe et de bien d’autres barons de la classe politique haïtienne à ce processus.

La CARICOM ne propose pas une transition de rupture, comme le souhaitent certains signataires d’accords, dont ceux de Montana. Elle a plutôt réalisé une synthèse des différents accords établis entre 2018 et 2019 sous la gouvernance de Jovenel Moïse à l’occasion des crises politiques ayant à l’époque secoué le pays, y compris celui d’Ariel Henry du 21 décembre 2022. À propos, les politiciens haïtiens auraient pu faire eux-mêmes les propositions formulées par l’instance caribéenne s’ils avaient vraiment la volonté de trouver une solution inter-haïtienne. Mais ils sont tellement obnubilés par le pouvoir personnel et leurs petits intérêts mesquins qu’il leur est très difficile sinon impossible d’accepter des solutions, même bonnes, émanant de leurs adversaires. C’est pourquoi qu’il leur faut toujours l’intervention du Blanc, même pour créditer une solution nationale. Et pourtant ils se proclament tous nationalistes !

Néanmoins, ce ne sont pas tant les divergences des acteurs qui constituent le problème, puisque la majorité des partis politiques présélectionnés acceptent de participer au Conseil présidentiel de la CARICOM. Mais comme à l’accoutumée, ils vont, on peut en être sûr, tergiverser aussi bien sur la composition du gouvernement que sur les personnalités qui composeront le Conseil électoral provisoire. Par ailleurs, même s’ils arrivent à s’entendre sur ces points, rien ne garantit qu’ils vont pouvoir résoudre le problème d’insécurité. Car la CARICOM n’a point parlé dans ses propositions de la participation des pays de la Caraïbe dans la force d’intervention dont il a été question. Rien ne dit que les policiers kényans seront en mesure de le résoudre comme le soupçonne déjà M. Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’ONU. « Il n’est pas juste, commente-t-il avec justesse, de faire reposer l’avenir d’Haïti, la sécurité en Haïti uniquement sur les épaules du Kenya ».

 

Sauf si...

Et si les politiciens décident pour une fois de jouer le jeu démocratique ! C’est-à-dire de se respecter en ayant à cœur de faire leur boulot et en même temps de respecter leurs adversaires. Ce serait LA solution, car cette attitude suppose de permettre à tout le monde (les différents protagonistes) de s'exprimer afin de pouvoir faire ensuite le tri des propositions et opter, ensemble, pour les meilleures solutions susceptibles de sortir le pays de sa descente aux enfers.

Comme on sait qu’il n'y a pas de génération spontanée, on doute fort que nos politiciens soient, d’un coup, conscients de l’enjeu actuel et décident en conséquence de mettre leur égo et leurs appétits du pouvoir au vestiaire et d’œuvrer en faveur du pays qu’ils affirment souvent la main sur le cœur, aimer au-dessus de tout. Il faudrait qu’ils fassent la preuve de leur patriotisme en défendant les intérêts d’Haïti, comme un certain Merten qui a déclaré qu’il n’a pas été envoyé en Haïti pour défendre les intérêts haïtiens, mais ceux des Américains. C’est justement aujourd’hui le moment crucial de le prouver, maintenant qu’on parle dans le monde entier d’Haïti ?

On est bien sûr en train de rêver quand on sait que le pouvoir politique reste le seul domaine où les lettrés essayent de faire leur blé, vu que les emplois privés sont trop inférieurs pour supplanter ceux de l’État. Ils ne peuvent pas non plus piller les caisses des entreprises privées comme ils le font dans l’administration publique. D’où cette ruée parfois sanglante vers l’or que représente l’appareil d’État !

 

Huguette Grenz et Sergo Alexis

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