L’expérience de la médiation de la crise politique haïtienne par la CARICOM en interface avec le gouvernement de facto du Dr Ariel Henry et ses protagonistes fait état d’imbroglio dans les pratiques diplomatiques. Du forcing diplomatique du 11 mars 2024 qui a contraint le Premier ministre du Dr Ariel Henry à un « roll back », nous avons qualifié de manœuvre diplomatique des détours du gouvernement en place dans l’application et le suivi des décisions en jeu. En effet l’élégance de tout analyste se basant sur les faits non sur des aprioris peut lui dévier de la vérité. L’analyste est enclin à être qualifié de diplomate dans le sens péjoratif sans l’être en fait. Ce qui nous motive à faire la part des choses dans le présent article qui boucle les deux précédents à savoir : le premier qui s’intitule « La crise politique haïtienne et le forcing diplomatique du 11 mars 2024 : un cas inédit de résolution de conflit et le deuxième « La manœuvre diplomatique du gouvernement de facto du Premier ministre Dr Ariel Henry dans la conjoncture politique post 11 mars 2024 «, parus dans des colonnes de journaux en ligne respectivement le 14 mars et le 4 avril 2024.
En effet, « faire de la diplomatie s’assimile à user d’adresse, de ruse ». C’est le sens figuré du mot diplomatie qui tend à déshonorer une activité si noble qu’est la diplomatie elle-même. De fait, dire à un interlocuteur « je ne suis pas un diplomate » équivaut à l’avertir qu’on se prépare à énoncer une vérité, comme s’il était avéré que, par profession, tout diplomate soit voué à la rouerie et à la duplicité
C’est cet aspect masqué qui est exploité dans le cas des actuelles pratiques diplomatiques par rapport à la gestion de la crise haïtienne après l’annonce de la démission du Dr Ariel Henry en date du 11 mars 2024 à la CARICOM conditionnée à l’installation du Conseil présidentiel de transition et d’un nouveau premier ministre.
Le Conseil des ministres du gouvernement de facto du Dr Ariel Henry a publié en date du 12 avril 2024 le décret portant la création du Conseil présidentiel de transition composé de 9 membres, dont 2 conseillers, amputé de la référence à l’accord du 3 avril 2024, soit « l’Accord politique pour une transition pacifique « qui garantit une cohésion entre les différentes parties prenantes, tout en définissant des mécanismes de fonctionnement dudit Conseil. En la même circonstance, il a été imprimé puis promulgué le décret nommant les 9 membres dudit conseil dont l’acquisition de ce numéro du journal officiel Le Moniteur a été faite par plus d’un. En effet, circulait depuis le dimanche 14 avril 2024, la photo de l’Arrêté « nommant les membres du Conseil présidentiel de transition ». Des tergiversations se sont produites à ce sujet et , par note du 15 avril 2024 , le ministère de la Culture et de la Communication a su dénier la publication d’un tel Arrêté tout en promettant d’effectuer ces nominations dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions possibles ».Des preuves ne manquent pas pour confirmer les deux parutions et au prix du défilé des membres dissidents de l’équipe du gouvernement de facto sortant, dont l’ancien sénateur Sorel Jacinthe et l’ancien député Jean Tholbert Alexis, directeur du cabinet du ministre de la Jeunesse, des Sports et de l’Action Civique (https://www.hpninfo.com , consulté en ligne le 15 avril 2024)
Le chancelier Geneus montait au créneau pour qualifier de » fake news » la nouvelle en question diffusée par le journal en ligne « Gazette Haïti News » -ce qui n’est pas une attitude protocolaire d’un chancelier-Le journal a rétorqué pour maintenir l’authenticité de l’Arrêté avec un reçu d’acquisition d’un numéro correspondant comme preuve. Entre-temps, le forcing diplomatique de l’Union européenne tend à dérouter la pratique de mensonge dans la diplomatie haïtienne. En voici littéralement la position de l’Union européenne : » il est désormais crucial que le Conseil présidentiel de transition soit formellement nommé par le gouvernement sortant du Premier ministre Ariel Henry sans plus attendre. Cela permettra ensuite la nomination d’un nouveau premier ministre par ce conseil ».L’Union européenne renchérit que « le pays a besoin urgemment d’une solution haïtienne pour mettre fin au vide politique, sécuritaire et humanitaire de longue date, nous appelons toutes les forces politiques haïtiennes à coopérer sincèrement a la réalisation de cet objectif », a soutenu le porte -parole de l’UE. » la nomination du CPT est également nécessaire pour ouvrir la voie au déploiement de la mission multinationale de soutien à la sécurité mandatée par la Résolution 2699 du Conseil des Nations Unies pour soutenir les efforts de la Police nationale d’Haïti dans sa lutte contre les gangs, restaurer l’état de droit et la sécurité dans le pays, pour finalement aboutir sur des élections démocratiques tenues dans de bonnes conditions » (Jean Junior Célestin in Le Nouvelliste du 15 avril 2024). À noter que l’Union européenne garantit toujours l’amortissement du déficit de la balance de paiement d’Haïti .
La diplomatie du gouvernement de facto sortant du Dr Ariel Henry s’inscrit dans une tradition ancienne et dépassée. L’Académie, en 1825, dans une vieille tradition, a utilisé la diplomatie comme un vocable analogue à négociation. Au sens propre, la diplomatie est autrement définie comme une activité digne et éthique. Ne peut-on pas se rappeler les tournures de prince Talleyrand en évoquant l’usage du mensonge à savoir : » la parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée « ou bien « le mensonge est une si bonne chose qu’il ne faut pas en abuser »Passons nous de la légende en faisant référence à Machiavel qui conseille à un compatriote en mission pour l’Espagne auprès de Charles Quint en ces termes : « un ambassadeur devrait s’efforcer de ne pas passer pour un homme « qui pense une chose et en dit un autre ».Ce qui nous déballe de la fausse appréciation de Machiavel appropriée par de cyniques politiciens notamment en Haïti qui se croyaient » intelligennnnnnnnt » dans le sens créole équivalent de trompeur .
Il ne s’agit pas de manœuvre diplomatique sinon de pratique du mensonge en diplomatie. Ce que repulsent des Anglo-saxons tels les membres de la CARICOM chargée de la médiation dans le cadre de la crise politique haïtienne. « La diplomatie n’est point une science de ruse et de duplicité. Si la bonne foi est nécessaire quelque part, c’est surtout dans les transactions politiques, car c’est elle qui les rend solides et durables « a dit Talleyrand.Il est donc hors de portée de suivre la vieille tradition d’une diplomatie assimilée à la ruse, contredite par Machiavel déjà au 16e siècle.
Hancy PIERRE, spécialiste en Relations Internationales et professeur à l’Université.
Repère bibliographique
Leon Noel « De la pratique du mensonge en diplomatie » in https://www.revuedesdeuxmondes.fr/wpcontent/uploads/2016/11/1a79219ff1ed708dc017f043d24c282e.pdf (consulté en ligne le 15 avril 2024).
