Lettre ouverte à Kewing : Quand l’absence rampe aux cris d’un cœur oublié entre silences et attentes à la sécurité

Port-au-Prince, le 10 juin 2025

A l'occasion de ce jour de rencontre, je crie alors que je devais t'écrire

Mon Ventre affamé de paix,

 J'ai rêvé de danser la danse de Madan Kolo comme j’ai toujours rêvé de faire le tour de la tour de 2004 avec toi; la danse de tes embrassements en camoisi auprès de nègre marron; celle de l'expression de ton courage fatigué après la mort crue de ton papa, partir trop tôt. J'ai rêvé de tes pas bien matelassés légèrement pour sommer l'école pour pouvoir te donner la libre voie à la découverte d'une voie depuis le Lycée Marie-Jeanne. Celle de la conjugaison bien motivée pour tes études à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l'université d'État d'Haïti (FMP/UEH), mais le destin t'a amené à la FDSE.

La seule chose, mon Kewing, je me sens si seul, je dois te l'avouer, si seul pour soupirer ton absence à chaque fois tu rampes pour voir un autre à la lisière de ton euphorie tourmentée. Si seulement tes textos me parvenaient à temps, la chaleur de ton corps me tiendrait en haleine. Combien cela me ferait plaisir! Parce que j'étais pas auprès de toi dans ce rêve mal logé chez l'autre vaniteux, quand tu ne comprenais pas le danger que tu courais pour s'échapper au corps boiteux de l'autre côté de l'horizon de ce regret absinthe. Et je ne te vois pas non plus fermer les yeux à l'apparence de l'amour de l'autre.

Mon Kewing, tu dois savoir que tu vis dans un pays où les Droits Humains sont bien écrits, mais pas respectés, on le saura au pied du mur. On est témoin de la bureaucratisation de la violence symbolique, de l'institutionnalisation de la mort et de la brutalité de la démocratisation sur la population depuis près de 40 ans. Où porter plainte? Chez qui? Tu sais que Port-au-Prince a déjà fait son paquet ? La hanche de la capitale d'Hayti, Port-au-Prince est parsemée de ceintures : la criminalité, le viol, le vol, la corruption, la misère, etc. Elle crie pour ses jeunes filles violées, pour des femmes assassinées. Combien de familles abandonnées en pleine vue au sud du champs de Mars, et dans les différentes écoles publiques servant d'abris provisoires ? Où sont passés ces maîtres, ces élèves, leur pain quotidien à l'école? Combien de familles font du tralala dans les zones périphériques de Port-au-Prince et dans les provinces pour se reloger ? Combien d'écoles qui ferment leurs portes pour des raisons d'insécurité ? Combien de cerveaux brûlés ? Combien d'avenirs matraqués ? Combien de bois calés mal orientés? Combien de kidnapping inventés ? Combien de corrupteurs dans l'Etat qui demandent de poursuivre des corrupteurs ? Combien de corrompus qui dansent en plein air dans la République de Madan Kolo ? Combien de personnes sont mortes de balles perdues ? Combien de corps brûlés sans raison ? Combien de vies que l'on voit passer sous les nuages des pneus enflammés à Lalue, à Perniers, à Delmas, à Kenscoff, entre autres endroits ? On est sur la lune : Jupiter, Uranus et Saturne se déchaînent, le soleil bat son tambour de vautour sur notre crâne rasé par l'Amérique jusqu'à nous vouloir tous bidenisés puis déportés.

Mon Mitchel, franchement, je voulais dire bonjour à tes câlins immanquablement admirables; donner la main à tes bisous pertinents; embrasser la minceur de tes fesses légères; ressentir l'odeur et la chaleur de ton corps traumatisé des maux de la République d’Ayiti, qui me lèchent. Mais, malheureusement, mon esprit vagabonde vers l'Amérique espagnole, pour voir Elisa et continuer des études approfondies. Je me sens si seul Mitchel, c'est tellement emprisonné par la capitale dépourvue de ses fils et fils. Bien sûr, tu le sais. Je suis au campement de l'avenue Sang à la tête de Port-au-Prince, pour illustrer ma peur de sortir pour marquer les moindres pas aux commissures de la grande rue de champs de Mars.

Tu sais Mitchel, qu'il n'y a plus de route pour aller voir mes parents en Province si ce n'est en Hélico. Chaque contour est fomenté de brigade armée, plus de bain de mer, la ville de Montrouis est entourée d'immondices; des hommes en mitraillette pour théoriser au nom de la révolution la population; des hommes armés qui défendent leur gouvernement et des hommes politiques au nom d'une morale civique, nouvelle : Viv Ansanm.

Mon autre, mon corps est battu, Kewing, arraché de sa terre natale, terre de liberté. Parce que j'ai été forcé de quitter Croix-des-Bouquets; chez des hommes qui offrent la mort sans jour, sans l'heure, à titre gratuit; puis, je n'ai pas pu résister à Tabarre; à Carrefour-Feuilles, j'ai couru et quitté mon caleçon, mes leçons; à l'avenue Ernest, je n'ai pas resté longtemps, j'ai couru pour des balles perdues pour se réfugier à Sciences Humaines, à la salle 24, j'y ai été chassé à nouveau. Quelle poisse ! En tout cas! J'avais vite vidé les lieux. À Carrefour-Feuilles, le vent de la mort crue a failli marcher sur mon dessus. Je sais plus où aller. Maintenant, je ne sais pas où se loger. Où se cacher. Je suis dans ce trou de nulle part. Je gobe les borborygmes des professeurs avec la tête choquée, l'écoute fêlée, épuisée dans des visioconférences mal ponctuées. Les yeux bandés par la peur. Mon ventre creux. Sans pouvoir se déplacer. Sinon aller à Pyepoudre, converser avec des morts vivants. Je consomme les beaux morceaux de la programmation quotidienne de l'État : des rafales de balles partout; des gangs qui s'affrontent sans cesse; la multiplication des territoires perdus de chaque jour; l'odeur des femmes et des filles violées; des étudiants et des professionnels de la classe moyenne kidnappés ou disparus, oubliant leurs sacs de l'école; des familles chassées de leurs maisons; la multiplication des camps de déplacés internes; je respire le parfum des détritus à la bifurcation des rues de madan kolo; j'endure le poids social de l'espoir de vivre une seconde de plus ici qui nous échappe à chaque seconde. Et je résiste à la mort assassine qui nous met les pieds dessus la tête. Celle qui nous fait rire à la place de nos cris, Mitchel.

Tu sais, mon Kewing, les hurlements de ta douce voix dans mes oreilles me théorisent, parfois. J'ai peur, malgré moi, mon Mitchel ! Parce que je ne sais pas comment guérir ma peur ni ma joie mal formatées ni l'avenir mal orienté isit la. J'ai vu les écoles fermées, les universités kidnappées, les trottoirs capturés, les marchés des madan Sara crevés, incendiés.

Franchement Kewing, le chuchotement de ton dévouement pour la Science qui m'atteint encore à chaque fois que les portes des Universités sont fermées. J'ai appris que tu ne fais plus de cours à la FDSE. Tu erres tantôt à Pétion-Ville tantôt à Kanapevè. Alors, pis est, on ne sait pas pour quand mi corazón.

J'adore l'ironie de tes caprices épiques qui te dépeignent le ventre gonflé de mon demain qui me tend la main en toi. Des mains perdues, rongées par la nouvelle politique sociale de l'état de l'État. Quel dommage! J'adore aussi l'euphémisme de tes « oui maquillés de tendresse tranquille : Je ne sais quoi dire mon désordre ... N'ai-je pas le droit de te câliner mon lapin... ? » Tout ce qui me rend si seul : Je m'emmerde de l'Etat. Crois-moi sur parole Kewing !

En fait, tu sais comment dessiner l'image a capella d'un homme spécial comme toi ! Je ne t'oublierai jamais. Je t'en conjure Mitchel.

Mais sache-le bien, si tu m'entends plus pour l'instant, peut-être j'irai à l'autre bout de l'Amérique reversée. Ou, au brin de Le Nouvelliste pour pondre des mots bien nourris ou des mots kidnappés par l'amour pimenté de cette passion journalistique ou des mots rêveurs d'un mieux-être politique alors. Des mots d'actus pris au piège des maux de la politique néocoloniale. Mots de la théorie de la libération des maux entourés d'espoir. Mots de la théorie de la dépendance au développement durable. J'y serai peut-être pour calmer la tempête des mots en vibration, à longueur de journée à lourdeur des journaux, ici et là. Ou du moins, je serais dans les coulisses de Le National au festin de la rubrique culture et société pour vomir des articles en vue de redorer le visage de l'actualité qui se répète sans cesse. Des mots pour implanter la théorie de la décolonialité au camp de Dessalines.

Et pourtant, je n'ai pas oublié le jour de ta visite à Sciences Humaines : ce 4 juin 2024 . Ouf ! Je te laisse des cadeaux d’Elmanito. Si tant est qu'on ne se réveille pas avant ce départ rêveur dont l'empreinte se porte sur l'Amérique postbidenisée, tu les retrouveras sur ton lit d'EDEN, on se retrouvera ailleurs; non dans les parages de ton appartement-Pitit Dessalines; ni, ce ne sont pas des surprises PHTKatisées ni des aides pour dire ASE; ni de la propagande andremichelatisée sous l'égide de «avoka pèp la» de Ansanm Nou Fò d'un accord de 21 décembre ou du moins, ni d'un CPT alcoolique; mais, avec des boules d'or d'Alain Gilles, de Louis Joseph Janvier, de Demesvar Delorme, d'Anténor Firmin, de Jean Fils-Aimé, de Jean Casimir, de Leslie Péan, de Sauveur Pierre Étienne, de Laënnec Hurbon, de Fred Doura; des gerbes de fleurs de Jacques Stephen Alexis, de Gary Victor, de Michel Rolph Trouillot,  de Horcel, de Kettly Mars, de Yanick Lahens, de Jean d'Amérique, de Dany Laferrière, d'Edwige Danticat … pour pouvoir comprendre où cela avait commencé et pourquoi sommes-nous là aujourd'hui. Des cadeaux en or, bien sûr, écrits à l'encre diamantée, de nos hommes d'honneur.

4, 10, 14 juin 2024, annoncent encore la merde diamanté de l'amour pimenté dans l'histoire de ma vie politique, Kewing. Tu te souviens de ces jours de Kewing ? En tout cas !

  Mais ce 4 juin marque un an de face à face est ton jour de rencontre tardive avec moi. Je voudrais t'amener là où tu rêves d'aller depuis longtemps, au Champs-de-Mars. Mais les crocs des chiens de gardes du système nous menacent, des balles perdues, des tirs nourris notre misère. Les faiseurs de 2004 nous empêchent d'y aller, les demoiselles démocrates post 1986 donnent le ton. Ils sont là depuis plus de 38 ans, jouer pieds et mains pour rendre le pays ainsi. Tu comprends peut-être bien, Kewing. Et ce sont eux qui sont là depuis toujours : une partie au pouvoir, une partie dans l'opposition; quand leur légitimité est contestée, elle devient arme de lutte pour eux, ils sont dans l'opposition ; quand leur légitimité fait objet de consensus, est moyen d'intégration : ce sont les deux faces de Janus, la lutte et l'intégration, c'est ce que Duverger m'a expliqué avec amour et patience (Cf. 1964, pp. 275-289 et passim). Ils jouent le jeu d'intérêt : Le Classico du grand Barça et de l'Immaculé, l'intrépide Réal Madid. Ils font de remontada, de La manita. Ça roule. C'est ainsi que ça roule ici. Enpi fout kite peyi yo mache!

Aujourd'hui 2025, comme 2004, sonner le cor de la Révolution. Alors une révolution Viv Ansanm. Tu comprends bien le mot, Mitchel. Il n'est pas innocent. Il est - peut-être - synonyme de dynamisme politique d'autosuffisance pour une catégorie au détriment des laisser-pour-contre, des mères dechèpiye logées dans les camps. Par le fait que ce sont eux, depuis longtemps, qui ont la baguette en main. Ils piaffent. Aujourd'hui, ils sont encore là. Plus tard, pitit yo. Ils proposent. Ce sont des spécialistes toutistes. Des activistes politiques, qui croisent les phénomènes économiques, les faits sociaux, qui défendent l'environnement, qui parlent au nom de la population. Ils savent tout : ce qui a accouché de la crise et ce qui peut la résoudre. Ils sont au timon des affaires. Pourtant les choses vont de pire en pire. De mal empire, Empire des maux de la démocratisation : Hayti de Dessalines. Pourquoi ? Penses-y un jour Kewing, même après la mort brutale de ton Papa?

 Alors 4 juin c'est ta fête, Mitchel ! J'ai failli oublier de t'amener au restaurant et au théâtre. Mais par où passer pour aller à Tiffany, à la grande rue, à la Croix-des-Bossales pour décrocher yon plat aleken? Les allées sont aujourd'hui des territoires perdus... - Tu sais, j'ai appris cela de la belle chroniqueuse de Magic 9, la belle arrangeuse de mots fictifs, la femme à la bouche sucrée, dont j'aime entendre mâcher les mots, devenue Garde des sceaux de la République - responsable de sécurité du pays, le pays de Dessalines dans lequel l'orage des balles perdues nous grondent dessus. Port-au-Prince est devenu l’endroit où les citernes de sang se vident sur les monts de Bel-Air pour étrangler les cris des habitants de Solino, de Delmas 24. La fusée au brouillard des contrées de Carrefour-Feuille, de l'avenue Christophe.

 On est perdu de nulle part Mitchel. Des rivières de sang en crue, de fond en comble dans les deux plus grands départements du pays. L'amour fragile de la fraternité via la nouvelle instruction civique et morale fait couler le sang de nos sœurs et frères dans les rues abandonnées. Sang de nos mères mutilées. Sang de nos cousins déportés. Sang de nos pères décapitalisés, dérobés.  Sang de nos enfants privés d’école. Sang de nos quartiers abandonnés et pillés. Il n'y a plus de porcs, ni de voies publiques. Nos chèvres sont détrempées par nos petits cousins armés par l'État Viv Ansanm. Nos poulaillers sont desséchés, les œufs des paysans sont volés. La sève de nos champs séchée. Nos écoles sont fermées. Nos maisons sont pillées puis brûlées par des hommes armés, des hommes bien disciplinés de l'état de l'Etat. Sang de nos sources paysannes. Seules les églises sont ouvertes, à demi, on prie pour que Dieu puisse tarir la source de l'insécurité. Nos ventres sont meurtris par l'évangélisation. Nos esprits vagabondent, errés par-ci par-là, à la lisière des balles marron. Tu comprends bien maintenant où nous sommes Kewing ? Tu vois, nous sommes exilés dans notre propre pays.

Il n'y aura pas vraiment, ma foi, de fête de rencontre Tifi ! On n'est pas à l'abri, même chez nous. On est perdu sous nos lits.

En tout cas, je te prie de recevoir mes salutations déplacées. Mes cris mal cadrés. Les meilleures, alors. Et mes cadeaux au crépitement des maux de la Révolution annoncée avidement en 2004 et de celle que prônent les vautours du système d'aujourd'hui. C'est juste pour t'assurer que les mensonges à travers l'histoire sont tueux et venimeux pour l'avenir des générations perdues d'avance ici, Mitchel. On nous a pris l'école, notre seule issue. Que doit-on faire Kewing ?

 

Bon rekòt lavi Tifi!

L'homme qui t'embrasse

Elmano Endara JOSEPH

joseph.elmanoendara@student.ueh.edu.ht,

+509 32 32 83 83

Formation : Sciences Juridiques/FDSE, Communication sociale/ Faculté des Sciences Humaines (FASCH), Masterant en Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/ Cesun Universidad, California, Mexico.

 

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