Hommage au professeur Renaud Piarroux:

colloque international et interdisciplinaire

Un colloque international et interdisciplinaire en hommage à Dr. Renaud Piarroux  se déroulera à Paris en présentiel et en distanciel autour du thème : «  Le covid-19, la santé mondiale, la science et  la politique sécuritaire ».Le choléra comme objet de recherche sera au cœur de ce colloque.

  Qui se  rappelle  des difficultés qu’a éprouvées Haïti à prouver les origines du choléra en Haïti ?Qui garde en mémoire la manipulation d’une cinquantaine de chercheurs réputés des universités nord-américaines sûrs des liens entre le tremblement de terre du 12 janvier 2010 et le choléra en Haïti ? La réponse à ces deux questions renvoie à la faiblesse de l’État en Haïti. Elle éclaire les efforts de René Préval jouant le rôle d’équilibriste : il ne souhaitait pas mettre en difficulté les Nations Unies, non plus renforcer l’humiliation haïtienne. Et c’est l’épidémiologiste français, Renaud Piarroux qui a eu le courage de démontrer, faits à l’appui que le choléra est introduit en Haïti suite aux négligences des soldats népalais. Dr. Renaud PIARROUX est professeur à la faculté de médecine de Sorbonne Université, chercheur à l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique, rattaché à l’INSERM, et chef de service à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Auteur de « Cholera-Haïti 2010-2018, histoire d’un désastre, CNRS éditions,2019, 294p.et « La vague. L’ épidémie vue du terrain »,CNRS Editions,2019,241p. 

 

C’est sans doute l’occasion de rappeler que la reconnaissance de l’Organisation des Nations Unies dans l’introduction et la  propagation du choléra a été très laborieuse. Elle n’aurait pas  fait d’aveu sans les implications des organisations des victimes. En effet, dans un courriel transmis au New York Times, nous informe le quotidien français Le Figaro, Farhan Haq, adjoint du porte-parole du secrétaire général, concède que l’ONU « est convaincue qu’elle doit se pencher sur son implication dans le déclenchement de l’épidémie et les souffrances des victimes affectées par le choléra, ajoutant qu’une nouvelle stratégie pour endiguer la maladie serait rendue publique dans les deux mois. ». Plus loin, le porte-parole de l’ONU précise que « la position juridique de l’ONU n’a pas changer sur cette affaire. »(Le Figaro, 18 août 2016). Plus tard, elle a trouvé la parade : l’Organisation des Nations Unies reconnait « moralement » sa responsabilité dans l’introduction du choléra en Haïti, mais nie toute  responsabilité « juridiquement »

« Au nom des Nations Unies, je tiens à dire très clairement : nous nous excusons auprès du peuple haïtien. Nous n'avons tout simplement pas fait assez en ce qui concerne l'épidémie de choléra et sa propagation en Haïti. Nous sommes profondément désolés pour notre rôle » a déclaré le  Secrétaire général de l’ONU le 1er décembre 2016 au cours d’une réunion en assemblée générale.

« Pour enrayer le choléra en Haïti et nous acquitter de notre responsabilité morale vis-à-vis de ceux qui ont été directement touchés, il faut que la communauté internationale s'engage pleinement et surtout que nous disposions des ressources nécessaires ». « L'ONU devrait saisir cette occasion de mettre fin à une tragédie qui, par ailleurs, ternit notre réputation et compromet notre mission planétaire. Nous continuerons d'être critiqués tant que nous n'aurons pas porté secours à ceux qui souffrent. En bref, pour pouvoir agir, l'ONU a besoin que les États membres agissent. »

Derrière ce déni, c’est un appel à la réflexion sur le rôle de l’ONU dans une société en proie à l’instabilité politique qui espère de l’institution des solutions apaisantes dignes du respect des droits humains. Or, la société haïtienne est caractérisée par un niveau de  pauvreté élevé sous les effets conjugués d’un séisme qui a causé la mort de 200.000 personnes et des rescapés traumatisés (Laënnec Hurbon ed., Catastrophes et environnement. Haïti, séisme du 12 janvier 2010, Paris, Éditions de l'EHESS, 2014, 271 p.) et de la fureur cyclonique dont la dernière en date met en coupe réglée l’économie de trois départements. Cette difficulté de la reconnaissance onusienne, placée dans la situation post-séisme du 12 janvier 2010, est perçue comme un mépris, une honte, une douleur des victimes dont la mémoire garde quelques séquelles du sort réservé aux personnes amputées d’une jambe, d’un bras , aux milliers  de corps déchiquetés, décomposés, laissés sous les décombres. Les inhumations sauvages, les fosses communes improvisées dans un pays où le mort est un être vivant dans l’imaginaire, renforcent l’effroi des victimes du choléra. 

Les droits de l’homme et l’État

 Gardant tout triomphalisme, les haïtiens doivent méditer les ambiguïtés, comme d’habitude dont sont chargés les discours onusiens. Un mélange souvent de cynisme, d’impuissance, d’irresponsabilité et d’attentisme. Ensuite, la seconde ambigüité tient à l’imprécision de l’intervention onusienne quant aux modalités d’indemnisation. Mais ces difficultés de l’organisation internationale à assumer sa responsabilité et prouver les cohérences de ses actions sur des théâtres d’opérations diverses soulèvent la question fondamentale de la conception onusienne des droits de l’homme, appliqués par celle-ci comme étant le résultat des logiques de puissance. Au nom de la défense des intérêts des puissants, les droits de l’homme forgés à l’origine par les États modernes gardent ainsi leur caractère illusoire ou applicable en fonction des États. Comme on le rappelle souvent, il ne saurait y avoir de droits de l’homme sans État, on ne saurait comprendre la légitimité de l’ONU à vouloir imposer des normes, des règles démocratiques en Haïti alors qu’elle les banalise et les piétine. Pour avoir justifié son intervention, militaire, civile en Haïti, l’ONU s’est toujours attachée à associer son action aux valeurs inspirées des droits de l’homme et ce sont ces instruments , appropriés par les acteurs locaux qui se sont traduits par des actions de renversement des régimes à caractère autoritaire, la fabrication des régimes à caractère plus ou moins démocratique.

Haïti est-elle en train de comprendre que sa conception idéaliste et généreuse des droits de l’homme ne soit relayée par l’enceinte onusienne qui aurait pu constituer « une caisse de résonnance » aux revendications d’Haïti, aux exigences de reconnaissance des défaillances commises. L’ONU qui serait l’antidote aux poids méprisants des membres du Conseil de sécurité a déçu Haïti, elle qui comptait sur son aile compatissante. Haïti, membre connue et reconnue pour sa contribution aux travaux onusiens dès l’origine, s’attendait à être traitée de haut, elle a été rejetée comme un État paria, qui aurait commis un acte criminel aux yeux du monde international. L’ultime protection dont Haïti pourrait espérer de l’ONU se trouve paralysée par l’incapacité des autorités nationales à conduire une diplomatie pour la reconnaissance de ses droits.

Le cynisme et la mauvaise foi semble-t-il, sont les maitres mots de la parade onusienne en instrumentalisant ses défaillances, les maquillant par une générosité sans bornes au sort des haïtiens. Et le discours onusien a été dès le départ nourri par l’intériorisation  de la faiblesse de l’État en Haïti. Comment Haïti peut-elle s’engager à faire respecter les principes des droits de l’homme alors que son État en décomposition ne parvient pas à disposer de la puissance que lui auraient conférée des moyens pour se faire connaitre et se faire respecter.

Ensuite, le triple alibi a été observé dans les attitudes et les pratiques onusiennes : alibi de fonction. C’est le séisme du 12 janvier 2010 qui serait responsable de l’introduction du choléra. Cet alibi a été balayé, comme l’ont expliqué   les médecins haïtiens Jean Métellus, Antoine Fritz-Pierre, Daniel Talleyrand, puisque les tremblements de terre de 1842,1952, les inondations qui ont frappé Haïti n’ont jamais jusqu’ici été accompagnés ou suivis par une épidémie de choléra. »(p.145).Alibi de lieu : c’est le second argument des détracteurs d’Haïti et même du groupe d’experts indépendants chargés d’enquêter sur l’origine du choléra. « L’introduction du choléra en raison de la contamination environnementale n’aurait pas pu être la source d’une telle épidémie sans les déficiences simultanées du système d’adduction d’eau, d’assainissement et des soins de santé. »(p.145, Jean Mettellus et le miroir du monde, Les éditions de Janus,2015).Il y aurait un lien automatique entre un séisme et une épidémie du choléra. Alibi misérabiliste : les pauvres habitants d’Haïti ont eu tort de s’approvisionner en eaux de rivières, ils seraient responsables eux-mêmes de leur état de misère, et d’avoir choisi de se donner la mort. Ces trois alibis sont incompréhensibles et incohérents avec le rôle que se sont autorisées les troupes des Nations Unies en Haïti.

Les troupes des Nations Unies sont intervenues en Haïti en 2004 suite aux risques d’implosion des forces publiques. Elles suscitaient l’espoir des Haïtiens. Ils ont été déçus. Dans certains cas, elles se sont montrées peu responsables, n’ayant pas été soucieuses des droits individuels des Haïtiens à accéder à la santé. Cet héritage onusien n’est sans doute pas sans lien avec la méfiance des Haïtiens aujourd’hui envers la vaccination contre le covid-19.

Fédia STANISLAS

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