Par Jean Ricot Dorméus,
Coordonnateur du Mouvement de Prière pour Haïti (MPH)
Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais surmonte le mal par le bien. Rom 12:21
La crise chronique d’Haïti affecte globalement la vie nationale, en particulier dans ses composantes politiques, économiques et sécuritaires. Elle révèle des causes sous-jacentes, des blessures qui, négligées trop longtemps, continueront à entraver les efforts vers le progrès collectif et à saper notre standing moral et social. Comme dit notre proverbe : « Ti bwa ou pa wè, se li ki kreve zye’w ».
Les divisions, les rancunes, les violences quotidiennes, la méfiance entre frères et sœurs du même sang, classes sociales ou opinions politiques sont autant d’agents corrosifs qui érodent le tissu national. Dans ce contexte, le choix de la non-violence est impératif pour reconstruire la dignité, la cohésion et l’espoir.
C’est précisément dans cette perspective que le Mouvement de Prière pour Haïti (MPH) et ses partenaires ont lancé la campagne « 100 Jours pour le Pardon et la Réconciliation », du 1ᵉʳ novembre 2025 au 8 février 2026, date de la 6ᵉ Journée Nationale de Pardon et de Réconciliation. L’objectif est clair : mobiliser Haïtiennes et Haïtiens de tous horizons, universités, églises, associations, organisations de base, diaspora, pour amorcer une transformation culturelle, une véritable révolution du cœur et de l’esprit.
Car il s’agit d’adopter la non-violence, le pardon et la réconciliation tout en rejetant résolument la vengeance, la brutalité et la haine. Pourquoi ? Parce que la non-violence nourrit la paix, le pardon libère, et la réconciliation reconstruit.
Cultiver la non-violence pour semer aujourd’hui les graines de demain
La non-violence active est la marque distinctive des braves et des âmes courageuses. Elle élève la dignité humaine au rang de principe national sacré pour la défense duquel aucun sacrifice n’est trop grand. La non-violence galvanise la confiance et impulse la créativité. Elle nous oblige à regarder au-delà de la réussite individuelle immédiate, souvent obtenue au détriment du bien commun, pour embrasser une vision de long terme : celle d’un pays où nos enfants pourront vivre dans la sécurité, la justice et la prospérité.
Concrètement, cela signifie :
- refuser les cycles de vengeance,
- rejeter la culture des armes, de la peur et de l’intimidation,
- remplacer la culture du combat par la culture du débat,
- mettre l’amour, la foi et l’espérance au centre de notre agir quotidien.
C’est aussi apprendre à reconnaître l’image de Dieu dans les yeux de nos compatriotes. En les voyant comme des sœurs et frères, nous sommes portés non à détruire, mais à protéger ; non à humilier, mais à valoriser ; non à exploiter, mais à servir.
C’est enfin établir une justice réparatrice, qui restaure sans alimenter la haine, qui traite les causes des conflits au lieu d’en entretenir les conséquences.
La discipline de la non-violence ne vient pas comme par enchantement ; elle exige d’investir dans l’éducation, l’équité et l’offre d’opportunités. Le chemin commence dans les familles par les habitudes de respect, douceur, valorisation, affection. De proche en proche, ces habitudes imprègneront la société et porteront des fruits à la dimension des rêves de liberté et de bien-être.
Pardonner pour briser les chaînes du passé
Le pardon, tel que promu par le MPH et ses partenaires, n’est ni oubli naïf des torts subis ni complaisance avec le mal et les malfaiteurs. L’idée n’est pas de fermer les yeux sur les injustices ou les crimes, mais plutôt de refuser que le passé plombe les ailes de notre avenir. Pardonner, c’est faire le choix de la liberté intérieure, d’alléger son cœur du poids des blessures physiques et émotionnelles.
Quand un Haïtien arrête de nourrir de la rancune contre un proche, un voisin, une institution, un leader, ou même lui-même, il pose un acte fort de dignité : il refuse de rester l’otage de la douleur. Le MPH et ses partenaires proclament que pardonner, c’est offrir à l’autre une chance de changer, mais c’est surtout s’offrir à soi-même une chance de guérir.
Dans un pays marqué par des traumatismes historiques, les blessures familiales, le pardon devient un acte de courage et d’audace: celui de transformer la colère en paix, le désespoir en espoir, la douleur en résilience.
Se réconcilier pour reconstruire les liens et refonder la fraternité
Le pardon seul ne suffit pas toujours. Pour qu’un pays se relève, pour qu’une société se reconstruise, il faut la réconciliation, cette force qui permet de réparer les ponts effondrés, de recréer la confiance, de bâtir ensemble un avenir commun. Le pardon libère, la réconciliation reconstruit.
La réconciliation exige de transcender les différences, qu’elles soient de couleur, d’idéologie ou de position sociale. Elle exige un devoir de mémoire pour non seulement reconnaître la souffrance, dialoguer, écouter, témoigner, mais aussi s’engager ensemble pour la justice, la dignité et le bien commun.
Par le truchement de la campagne des 100 jours, le MPH et se partenaires invitent chaque Haïtien, en Haïti ou dans la diaspora, à se sentir concerné, responsable, porteur d’espérance : « Chak Ayisyen, chak Ayisyèn dwe santi l’ap patisipe nan gerizon nasyonal la. »
Vers une transformation culturelle : un appel à chaque Haïtien
Si Haïti doit renaître, ce ne sera ni par les armes, ni par la force extérieure, mais par la force du cœur et la responsabilité nationale. Les muscles et les fusils doivent se soumettre à l’esprit du bien, au respect de la vie, à l’amour du pays et des siens.
Le MPH et ses partenaires lancent un appel vibrant : le moment est venu de guérir plutôt que de blesser, de bâtir plutôt que de détruire, de créer des écoles, des hôpitaux, des entreprises plutôt que de rester embourbé dans la pratique de la terre brûlée.
La non-violence, le pardon et la réconciliation sont un verger à planter, arroser, protéger. Seule la mauvaise herbe pousse sans effort. Le bien, lui, demande discipline et engagement.
Imaginez…
- si les jeunes des quartiers abandonnaient la drogue, les enlèvements, le trafic illicite pour entrer dans la productivité et le progrès ;
- si ceux qui bénéficient indûment des ressources publiques renonçaient à la corruption pour servir la nation ;
- si tous ceux qui portent des blessures intérieures répondaient par la non-violence, le pardon et la réconciliation…
Haïti changerait radicalement.
La route est longue. Les défis sont immenses. Mais si nous semons aujourd’hui les graines du pardon et de la réconciliation, demain nous pourrons récolter une Haïti pacifiée, unie et digne, bref, une Haïti capable de faire rêver le monde à nouveau.
Le Mouvement de Prière pour Haïti (MPH) mène cette démarche en collaboration avec la Fondation Lorquet pour une Nouvelle Haïti (FOLONHA), Ayiti Nap Bati Ya (ANB) et plusieurs autres partenaires engagés dans la construction d’une Haïti plus juste, plus paisible et plus fraternelle.
