La conformité juridique et les enjeux géopolitiques d’une nouvelle mission étrangère en Haïti

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Depuis environ 30 ans, soit, de 1993 à 2022, Haïti a déjà fait l’objet d’à peu près 8 missions onusiennes en commençant par la Mission des Nations Unies en Haïti (MINUHA), établie par la Résolution 867 du Conseil de sécurité en date du 23 septembre 1993 pour aboutir à la mission de politique spéciale actuelle qui est le Bureau intégré des Nations Unies (BINUH), créé par la Résolution 2476 dudit Conseil le 25 juin 2019. Il y a lieu de mentionner également la Mission civile internationale en Haïti (MICIVIH, 1993-1994), la Mission d’appui des Nations Unies en Haïti (MANUH, 1996-1997), la Mission de transition des Nations Unies en Haïti (MITNUH, 1997), la Mission de Police civile en Haïti (MIPONUH,1997-2000), la Mission internationale civile d’Appui en Haïti (MICAH,2000), la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH, 2004-2017), le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH, 2017-2022).

Hormis certaines nuances, ces différentes missions avaient quasiment le même mandat qui consiste notamment à établir un environnement sécuritaire et stable, à stabiliser la politique de la bonne gouvernance, à instaurer l’État de droit et la justice dans le pays, à renforcer la démocratie et restaurer et protéger les Droits humains... Plus que 12 milliards de dollars sont dépensés pour l’ensemble des missions onusiennes dans le pays au cours de cette période, dans l’objectif global de créer un climat stable et un état de droit dans le pays. Tout cela pour quel résultat ? Car, la situation globale du pays ne fait qu’empirer. Aujourd’hui encore, la question de l’intervention étrangère refait surface. Les premières missions sont-elles réussies leur agenda ? Qu’est-ce qui justifie une nouvelle mission internationale dans le pays ?   Il y a lieu d’apprécier la question sur la base de la conformité juridique (I) et les enjeux géopolitiques d’une mission étrangère en Haïti (II).

I. – La conformité juridique de la demande.

La démarche est légale. La demande formulée par l’État haïtien sollicitant l’intervention d’une force étrangère dans le pays est légale. Haïti est membre des Nations Unies et la demande est formulée conformément aux articles 39 à 47 de la charte des Nations. Une résolution a été adoptée en conseil des ministres le 6 octobre 2022 autorisant le premier ministre Ariel Henry à adresser la demande. Et dans une correspondance datée du 9 octobre, la demande a été officiellement adressée au secrétaire général des Nations-Unies. Cet acte du gouvernement haïtien n’est pas une violation du droit international. Il n’y a pas non plus de violation de la constitution haïtienne du 29 mars 1987, amendée le 9 mai 2011. Car l’article 276-2 prévoit la signature et la ratification des accords internationaux. De plus, en dehors de la demande formelle de l’État haïtien, le Conseil de sécurité est en droit de s’autosaisir pour intervenir dès que la situation l’exige. Et dans le cas actuel d’Haïti, la situation est intenable et l’intervention d’une force étrangère répond à une double justification, une justification politique (A) et une justification sociale (humanitaire ?) (B).

A. — Justification politique

La charte des Nations prévoit le règlement pacifique des différends. Même si le problème d’Haïti n’est pas un conflit international, mais il est clair que les acteurs sur le terrain n’ont pas pu trouver une entente à la crise. Et le règlement pacifique défini au chapitre VI de la charte de l’ONU peut se faire sous forme de négociation, d’enquête, médiation, arbitrage et entente judiciaire. Les négociations entamées n’ont pas pu aboutir à une solution et la crise perdure. Plusieurs envoyés spéciaux des États-Unis se sont succédé en Haïti pour rencontrer et discuter avec les acteurs des différents accords aux fins d’une sortie de crise. Aucune entente n’a été trouvée. Les acteurs n’arrivent pas à se joindre sur une seule proposition et s’accusent mutuellement. La crise perdure et la situation sociale de la population se dégrade.

B. — Justification sociale (humanitaire).

Port-au-Prince est encerclé par les gangs armés. L’entrée sud de la Capitale est bloquée depuis environ trois ans. Aujourd’hui, c’est le même cadre figure à l’entrée Nord. Toutes les routes nationales sont bloquées, occupées par des gangs. Et certaines des villes de province sont en train de vivre la même situation. Des gens sont tués, kidnappés et violés. La question est beaucoup plus complexe quand on accuse surtout le gouvernement d’être de mèche avec les gangs. La police se confond entre un problème de volonté, de capacité et de moyen. Les gangs règnent en maîtres et contrôlent le territoire. Le gouvernement n’octroie pas à la Police les moyens matériels lui permettant de faire face aux gangs. Les malfrats ne sont jamais en rupture de stock d’armes et de munitions, ils s’approvisionnent régulièrement. La mort prochaine de chaque Haïtien est inévitable.

II. — Les enjeux géopolitiques des missions étrangères en Haïti.

Faut-il admettre l’idée d’une mainmise de l’international sur Haïti ? Faut-il accepter que les pays impérialistes ne pardonnent pas Haïti pour avoir rompu le système économique fondé sur l’esclavage ? Peut-on être d’accord que le racisme systémique est un blocage au développement Haïti ? Faut-il croire qu’il existe une volonté de l’international d’étouffer la fierté haïtienne ? On ne pose pas toutes les questions. Nous ne prétendons pas non plus les répondre. Les relations entre les pays doivent être existées. Mais ces relations existent en fonction des intérêts particuliers de chaque État. Les intérêts divisent et rassemblent les puissances. Les pays pauvres de chaque continent fonctionnent suivant les caprices des grandes puissances. La conférence de Berlin a partagé l’Afrique. Et la situation est pareille aujourd’hui. Les pays impérialistes définissent, établissent leur zone d’influence. Cet état de fait met en veilleuse la souveraineté des pays non industrialisés et met en évidence la politique des puissances (A) et inaugure l’échec du droit international (B).

A.­-La politique des puissances.

Il existe une sorte d’accord tacite de zones de dominance entre les grandes puissances. Et nous devons préciser que les relations internationales sont axées sur des guerres en permanence. Ce ne sont pas des guerres dans le sens classique du terme. Mais des situations de guerre hégémonique   et d’équilibre des puissances. Les puissances se surveillent. Chaque puissance gère, contrôle sa zone d’influence par tous les moyens. Dans ce contexte, la politique des puissances se déroule dans l’anarchie. Les relations internationales résident dans l’équilibre des puissances. Et, il n’existe pas une autorité supranationale qui pourrait intervenir en cas de conflit ouvert. L’équilibre des puissances prévaut et se justifie par la force de dissuasion. La guerre russe contre l’Ukraine est déclarée sous une forme classique. Mais, elle est au fond une meilleure illustration de guère hégémonique. La Russie veut maintenir sa zone d’influence. Et la riposte occidentale va dans le même sens.   

 La guerre russe en Ukraine est condamnable et on le condamne. Car aucune convention interventionnelle ne justifie une pareille attaque. Mais, au fond, l’attaque russe peut se disculper par la politique internationale. Il y va de la survie de la puissance russe.  L’Amérique a connu la doctrine de James Monroe de 1823 : « l’Amérique aux Américains ». Et cette situation se confirme  par la conférence de Berlin  en 1884 où quatorze pays européens avaient décidé de partager l’Afrique. Et, depuis le continent africain se trouve placé sous la domination européenne empêchant ainsi son épanouissement politique et économique.

 Il faut être réaliste et comprendre qu’Haïti ne peut se séparer des États-Unis. Ce qu’il faut, c’est de trouver des dirigeants pouvant jouer le jeu. En établissant de très bonnes coopérations avec les États-Unis dans l’intérêt des deux États. Il faut être capable de négocier avec les Américains et prévenir de les rendre responsables de tous les malheurs d’Haïti.

Les solutions aux problèmes de l’insécurité doivent venir  des Haïtiens, de nos gouvernements. Tandis que, certains Haïtiens vivants aux États-Unis pratiquent le commerce des armes et de munitions. La douane haïtienne n’exerce aucun contrôle sur ce qui sort et rentre au pays. Des hommes politiques, des hommes d’affaires seraient impliqués dans le trafic et  la distribution des armes et des munitions. À propos, il ne faut pas imputer la responsabilité au gouvernement américain. Ce n’est pas le gouvernement américain qui doit contrôler nos ports, nos frontières et  nos aéroports. Il ne faut pas non plus chercher la responsabilité des dignitaires américains dans la mauvaise gouvernance du pays. C’est aux dirigeants haïtiens de prendre leurs responsabilités. Les autorités haïtiennes doivent être en mesure de négocier les partenaires internationaux. On dit bien négocier.  Négocier dans l’intérêt supérieur de la nation.

  B. — L’échec du droit international.

Les traités de Westphalie du 24 octobre 1648 ont consacré le principe de souveraineté et d’égalité des États et inauguré le processus du droit international moderne. Ces traités jettent les fondements juridiques du droit international. Les États sont souverains et égaux. Aucun État ne peut prétendre aucune autorité sur un autre État. Dès lors, le droit international est un droit de compromis et émane de la volonté des États.  

Cependant, la politique internationale tient le droit international en échec. En ce sens que les relations internationales sont des relations de  deux poids et deux mesures. Tandis que le droit international se base sur la conception et l’application des traités internationaux. La politique internationale se conforme aux intérêts. L’une des causes de l’échec du droit international est le fait que les États sont à la fois concepteurs et décideurs des conventions internationales. Ils conçoivent la création et coopèrent à la l’application. Les conventions sont discutées, négociées, signées et ratifiées, mais leurs applications dépendent uniquement des intérêts et de la volonté des États. Les intérêts des États passent avant tout. Le droit international évolue et s’applique en fonction de la conjoncture internationale. La politique internationale saisit le droit international et le noie. Et, il est impossible d’avoir une autorité supranationale pouvant intervenir et recadrer les États puissants.

Me. SISTANIS Jean Ronel, avocat au Barreau de Port-au-PrinceS

pécialiste en droit International des Droits de l’HommeD

octorant en Droit International Public

 

          Sources

Missions des Nations unies

1. - Mission des Nations unies en Haïti (MINUHA), Résolution 867 du conseil de sécurité, 1993.

2.-Mission d’Appui des Nations unies en Haïti (MANUH), Résolution 1063 du conseil de sécurité, 28 Juin1996.

3.- Mission de transition des Nations Unies en Haïti (MITNUH), Résolution A/52/818.

4. - Mission civile internationale de l’ONU en Haïti, Résolution AG/524, ce 29 août 1996.

5.-Mission de police civile des Nations Unies en Haïti, Résolution du Conseil de sécurité 1141, 28 novembre 1997.

           7. - Mission internationale civile d’appui en Haïti ; 1. À/54/93, Haïti (MICAH), février 2000.

8. - Mission des Nations-Unies pour la stabilisation en Haïti, MINUSTAH, Résolution15 42 du conseil de sécurité, 1er juin 20024.

              9. - Mission des Nations-Unies pour l’Appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH,), Résolution    2350 du conseil de sécurité, 13 avril 2017.

10. - Bureau intégré des Nations-Unies en Haïti, Résolution 2476 du Conseil de sécurité, (2019). 

Ouvrages.

       1.- Cédric Milhet, les indispensables du droit international Public, éd. Ellipses, 191 p.

        2. -11. - David Ruzié, Droit International public, 19éd. Dalloz, 2008, 299p.

        3. - Jean-Claude Zarka, Droit International Public, 3éd. Ellipses, 2 015 191p.

        4.- MARTIN, Pierre-Marie. Les échecs du droit international. Paris, Presses universitaires de France 1996, 128p.

         5.-Théories des relations internationales, 6éd. Dario Battistella, Jérémie Connut, Élie Baramets, 6éd, 2019, Presses universitaires de la fondation des sciences politiques, 800p.

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