Madan L’Étang et ses nombreuses légendes

« Si w pa moun bò letan

Ou pa benyen

Ladann » 

 

 Autrefois, il y avait, dans les recoins éloignés du pays, un endroit, une dépression naturelle, assez verdoyante, et luxuriante. Cette dépression, elle-même, était unique, incomparable qu’il n’y ait de rien semblable dans la contrée. De toute part, elle était entourée, par des bras de montagnes. Une source, dont les ondes bleues et cristallines rafraîchissaient la verdure environnante, jaillissait, coulait lentement. L’endroit ne connaissait nulle sécheresse même lorsque, la désolation régna sur les paysages environnants, et les dents du soleil s’enfoncèrent profondément dans les arbres, sur les semailles.

Sur les pentes escarpées des montagnes, herbes, lianes, plantes rampantes, arbustes, arbres y croissaient. Très nombreux, que c’était une gageure d’en relever le nombre. En effet, mettre un nom sur tous les végétaux et dénombrer la quantité c’était pour tous un pari difficile pour ne pas dire impossible.

Manguiers, avocatiers, piche-pins, orangers, chênes, mapous, lataniers, palmistes royaux, entre autres, c’était quelques de ces milliers d’arbres et d’arbustes qui fleurissaient aux alentours.

La beauté luxuriante ajouta aux charmes qui berçaient les matins riches de rosée. Ti Kat je Sid, le caleçon rouge, la ouanga-négresse, chère aux trouvères locaux, le colibri au bas-ventre coloré d’un vert particulier, l’oiseau musicien, remplissant le matin de mélodies, chantaient à travers la clairière et les bois, un hymne harmonieux, haut et coloré.

Une vieille femme habita autrefois la région. Son nom n’était connu de personne. Si ce n’était qu’à de rares visiteurs qui passèrent par le chemin. Une nuit rare dans la cabane de deux pièces et le café fumant au petit jour précédent l’aube: Ainsi se résumait le quotidien d’un visiteur chez la vieille. Comme le hasard étant une règle dans la vie, c’est, en fait par le truchement d’une bouche indiscrète, un matin, que le nom de la vieille est parvenu jusqu’à nous. Madan L’Étang, en effet, habitait la contrée depuis les temps perdus de la mémoire, les temps immémoriaux. Et elle était l’unique habitant. Demandez aux arbres, à la source ? La raison nulle ne le sait? Madan L’Étang, peut-être !  

Les années s’enfuirent, s’écoulèrent... La verdure de la zone s’épanouissait. L’atmosphère fraîche du lieu, le calme qui y régnait, l’ombre des sous-bois, la pénombre et la noirceur tombant des feuillages , voilà le cadre parfumé et naturel, le paysage familier dont les reflets parvenaient même au voyageur éloigné, ou à celui ou celle qui passe par le chemin.

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Un soir, toutefois, Madan L’Étang décida de faire toute seule la route. Elle se laissa finalement emporter dans les bras de la nuit. Elle était vieille, couronnée d’ans, disait-on. Ses cheveux gris ou blancs, la preuve trop palpable. Elle était crainte. Pour certains, on ne vendrait pas cher sa peau. Elle demeurait -au propre comme au figuré-, la sorcière qui court, par les nuits sans lune, sur les toits ondulés ou de chaume, afin de boire le sang des tout-petits et des chrétiens-vivants. Elle se métamorphosait, disent les mauvaises langues, en chat ou en d’autres animaux selon l’occasion. Lorsqu’elle rodait dans le voisinage des toitures ou de l’enclos des maisons...

...............

On la disait souffrante. Particulièrement, à la cheville gauche. Les méchantes langues affirmèrent qu’elle avait reçu la blessure sur le toit d’une sage-femme. Au temps qu’elle habitait encore la Plaine des Baconnois. 

On en disait du bien (de celle-ci ); on en glosait aussi tout le mal. Elle figurait, pour certains, la Reine Sorcière de la forêt.  Elle y demeurait toute seule, ce que l’on trouva bien curieux . En effet, seuls une diablesse ou les suppôts d’un Makanda pourraient bien habiter là-bas.

Ainsi un jour, la cuvette entourée de montagnes se trouva subitement remplie d’eau. Des gens racontaient que le malheur advenait trois ans jour pour jour après la disparition de la vieille, Madan l’Étang. C’était après l’une de ces pluies que l’on n’eut rarement l’habitude de rencontrer en chemin. L’une de ces pluies qui s’éternisaient sur le dos de la montagne et portaient la responsabilité de nombreux éboulements de sol et de pierres qui s’enracinaient dans la terre depuis la nuit des temps.

La fable se propagea d’une traînée. Et pendant le long cours de la semaine. Certains déclarèrent sans preuve que la vieille fut attristée de son départ prématuré. Elle espérait fleurir encore ses vieux jours de nouveaux printemps. On argua même qu’elle savait le jour de son départ.

D’autres parsemèrent d’hyperboles, de litotes, leurs paroles. Pour eux, Madan L’Étang cachait à tous un secret. Particulièrement, à ses hôtes qu’elle hébergea certains soirs.

À l’endroit où se trouvait la cuvette entourée de collines et de mornes, il y resta une marre profonde. Et mystérieusement, dans l’eau y abondèrent tilapias, alevins et autres espèces animales vivantes. La pêche en certaines occasions était miraculeuse. Elle remplissait jusqu’aux  rebords les filets des petites barques...

La cuvette profonde, qui était alors une petite marre, devenait peu à peu un lagon, à mesure que les pluies, les averses de novembre déversaient leur surplus d’ondes claires qui chute des nuages. Jusqu’à devenir un étang. D’après le récit d’un vieillard de la zone.

Certaines nuits, on y voyait roder l’ombre de la vieille sur les reflux de l’onde qui venaient mouiller la côte sauvage. D’autres fois, on a prétendu l’entendre chanter, même résonner sa voix, au matin, dans le vent venant de l’Orient:

 

« Bonjou Madan l’Étang 

Sa w fè m la

Sa w fè m la

Hum! Hum!

 

Mwen di bonjou

Madan l’Étang

Sa w fè la

Sa w fè m la

Hum!Hum! » [1]

 

Ces notes enveloppèrent souvent les matins d’après-pluie comme une plainte, une supplique après la désolation traînée par les cyclones. Ces tempêtes, cyclones ou ouragans auxquels on accordait souvent ces doux prénoms de femmes. Inès, Flora, Hazel, Sandy.

Dans l’imagination collective, la vieille dame passa pour la déesse de l’eau. La maîtresse du lac. Elle était vénérée ainsi de tous. Là-bas, on y organisait des jours entiers des cérémonies en son honneur. Les gens y étaient de toutes les couleurs et appartenaient à toutes les conditions. Le politicien trouva facilement sa place ainsi que le paysan en quête des faveurs du lac. Les paysans utilisèrent tous les moyens afin d’avoir la clémence de l’esprit demeurant au fond de l’étang. Des libations et des récoltes se mélangeaient très souvent à l’eau du lac.

Les paroles de certains racontaient la générosité de l’esprit qui habita au fond l’étendue. Les habitants de la région juraient sur leur âme et conscience qu’ils sont les seuls habilités à se baigner dans ces eaux. Existait- il un pacte scellant ces propos? Des baigneurs de passage et imprudents y ont souvent laissé leur peau. Est-ce en raison de leur inexpérience en natation ? Des inconnus de la zone qui s’y aventuraient dans le coin, en se glissant puérilement dans les plis bleus du lac, curieusement n’ont jamais plus réapparu. On y forgea même une légende. Les paysans du coin faisaient un point d’honneur à la raconter à tous les gens de passage et à tout nouveau venu.

 

« Si w pa moun bò letan

Ou pa benyen

Ladann » 

 

«  Si w vle pran dlo

Nan letan

Ou dwe peye l

Davans »

 

Toute personne, n’étant point originaire du lieu, devait donner en retour une pièce de cinq centimes à l’eau. En fait, c’était un gage de libre passage et une dette accomplie envers la maîtresse de l’eau. Les rebelles qui ne s’y acquittèrent pas, ont eu la repartie fatale.

Certaines années, on raconta que Madan l’Étang monta du lac. Simbi à sa façon. Elle porta un peigne d’or enfoncé dans ses tresses de négresse. Elle repart au fond souvent avec un amoureux imprudent se laissant porter par ses chants de sirène.

On disait à propos d’elle que c’était la Reine Simbi. La déesse de l’eau.

Il arriva parfois que le lac, après de longues années, montra ses muscles, ou ses bras. Ces jours-là, l’étendue d’eau grimpa sur la terre plane. Plus d’un racontait c’est parce qu’on n’honorait plus l’esprit qui dort au fond. D’autres affirmèrent que l’eau s’abaisserait au seul cas que Diabolo eut sa part. On l’offre alors une vache qui allaite en rançon.

 Il était rare qu’on ne trouvât pas des gens qui n’y accordent foi à cet imaginaire, à cette fiction. Depuis leur tendre enfance, elles ont vécu ici et ont entendu raconter la légende, ont été bercées par les comptines composées à propos et en l’honneur du lac. Et rien n’est venu jusqu’à maintenant la contredire, leur apporter un démenti même dans la forme.

 Des chefs d’État firent aussi jusqu’ici le voyage. Les curieux habitant le coin affirmèrent que ça devait leur permettre à rester éternellement au pouvoir ou au moins à le garder pour quelque temps.

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Madan L’Étang, ces soirs-là, montait drapée dans de vives couleurs. Elle lisait l’avenir entre les lignes des doigts. Dans les paumes, elle révélait maints présages. Des milliers de bougies brillèrent, à l’occasion, sur l’eau. Certains fabulent de les avoir vu même marcher dessus.

Les mots, à travers le temps, poursuivirent leur cours. Les jours naissaient et mouraient illico. Tous les jours, et c’était ainsi.

Toutefois, arrivèrent, un jour, dans la zone, deux personnages. Un homme et une femme. Ils venaient de nulle part. Les propos des habitants laissèrent fuser qu’ils étaient apparus tel l’éclat fugace de l’éclair, un matin, sous le ciel assombri. Subitement alors.  Ils couraient par les sentiers dénudés de la zone. Personne ne pouvait les rattraper. Ni leurs ombres ni leurs pas. On aurait dit que le vent les portait dans ses bulles et bourrasques. Qu’ils s’enfuyaient même.

Inconnus, leurs visages, on ne voyait jamais leur face. Étaient-ils anges aux trois quarts, et au tiers, des démons? Portaient-ils ou cachaient-ils un message? La journée coulait tranquillement sur la région lorsque Petit-Pierre est venu rapporter à ses amis, les pêcheurs une scène étrange. Il sua à grosses gouttes. Il a dû défier le coureur de marathon afin d’apporter la nouvelle. Son cœur haletant battait à tout rompre, à se jeter hors de sa poitrine, de son thorax.       

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« J’ai suivi sans me faire remarquer les visiteurs, les inconnus cherchant à percer le secret qu’ils cachaient. J’ai essayé au maximum de ne pas me faire surprendre. Caché au dos d’un grand arbre, je me tenais planter là, de longues minutes... Ils marchèrent sans arrêt, portant les pas d’un lieu à l’autre. Ils semblaient prendre les pouls de l’eau, humer le parfum encore chaud de la terre.

Le soleil étendait à mesure ses rayons sur le lac. Il baignait lentement le paysage. Et j’ai porté mes pas à la course de ces inconnus. J’ai essayé de les rattraper lorsqu’au détour, à quelques mètres, je les ai vus subitement tremper les pieds, pénétrer à chaque seconde à l’intérieur de l’eau jusqu’à s’immerger dans les fonds.

Je me tenais là encore une heure. Peut-être, deux !  Mais les deux corps ne sont jamais remontés. Ils ont disparu. »

[1] Paroles empruntées d’une meringue carnavalesque du groupe haïtien RAM.

 

James Stanley Jean-Simon

Email :  jeansimonjames@gmail.com

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