L' Autobus Magique

Avertissement

 

Ce récit n'est que pure fiction. Les noms cités, les lieux nommés et les réalités apparentes, vrais qu'ils puissent paraître, ne sont que pure coïncidence et le fruit de l'imagination.

 

Avètisman

Istwa sa sòti drèt dirèk nan imajinasyon otè an. Tout non moun, non zòn ak lokalite, ak kèk reyalite fil an egiy ki ta sanble kou dlo kòk ak istwa ki nan lodyans lan konnen se yon senp koyensidans, sa pa gade otè an.

Des rafales sifflaient sous le ciel noir du village. Comme les étincelles de feux d'artifice dans le noir. Les mitrailles déchiraient la nuit fauve. Les armes crépitaient sans fin, fauchaient à travers le village. Et la vie s'immobilisa, s'arrêta, et les charnières étaient debout. La journée s'obscurcissait et la nuit couvait sous une peur bleue même trop bleue. Et les jeux et les rires avaient cédé place à la mort et aux cris, livré la bourgade à la terreur rouge des éclats de plomb cueillant des fleurs rousses sur les poitrines des villageois.

Le village avait pris ce pli sauvage dans le jour. Le truand Ti-Nènèl semait partout la détresse et la mort. Il flinguait, payée une misère la peau des gens. La chasse aux oiseaux, il le laissait aux gamins du village. Son véritable terrain demeurait, selon lui, la chasse à l'homme. Et comme la grue de la fable, il dépeuplait à sa guise le village, la ville proche, et le monde d'alentour.

Boss Yawèl, un ancien du village, affirma prenant les dieux à témoin que le village autrefois était un havre de paix. Il a été notamment l'un des premiers à y habiter. Le village Les Rachetés était à ses débuts, les premières cahutes sortaient de terre. Ce bout de terre lequel sera connu sur le nom Village Les Rachetés naissait tranquillement aux pieds de la grande ville sur un bout d'espace vert planté d'arbres et baigné de gazon. Au temps où le Bicentenaire faisait la fierté de tout le peuple, avec sa fontaine lumineuse, le Quai Colomb, l'hôtel Beau Rivage.

Autrefois tous les dimanches les enfants et autres gens y venaient donner route à leurs rêves et mieux savourer les mangues de la vie. À quelques pas bruissait la mer, calme, limpide dans le golfe bleu du Bord de mer.

Boss Yawèl était charpentier. À ses heures, et pour tuer le temps, il s'amusait à fabriquer tables, chaises, portes et fenêtres et mêmes des cercueils pour les déshérités de son village, selon les dires de Gros Bibit, le farceur patenté du village. Il argua par ailleurs que le nom de Boss Yawèl cacha en lui quelques secrets. En effet, Boss Yawèl n'était pas né de la dernière pluie. Le nom de Yawèl lui est venu de son arrière-grand-mère comme une mise en garde aux bizango, aux champs-poils des sentiers nus de la campagne. Yawèl restera au devant eux un os redoutable, un «zo bouke chen » dans le sens local de notre savoureux créole, qu'ils n'auront qu'à regarder sans y toucher.

Au village, plantées les maisons sortaient de terre comme des herbes folles, des champignons sauvages laissés au bord de la route, et le bourg prenait lentement, patiemment forme sous les toits de ce bout de ciel de la Caraïbe. Malgré le dénuement qui y sonne, le village Les Rachetés roulait sa barque entre la mer rouleuse qui l'entoura.

L'amitié, l'entente, la solidarité furent des coquilles pleines où prenait source la vie. Le village Les Rachetés demeurait un refuge, un reposoir des grands jours où prenait forme l'espérance. Les “Bocors”, sorte de devin dans les campagnes haïtiennes, dont l'art se résume à percer les secrets que cachent les lignes des mains. Les prêcheurs du Christ, tous d'un commun accord, ont lié leur destin pour la concorde et l'harmonie dans la bourgade.

D'après les mots du charpentier, le Village Les Rachetés était un bien exemple à dupliquer sur grand format. Les gens vinrent de partout admirer la merveille, rêver en plein jour leur havre de paix, parfum de l'amour et de l'entente.

La vie coulait tel un fleuve tranquille à travers les ruelles sablonneuses du Village. Cependant, un jour, le temps s'arrêta brusquement. Sous le village, l'existence avait pris ce pli amer, sauvage dans le jour et semait à chaque heure la mort à tous les vents.

Tout ce qu'il y avait de gens: petits et grands, éclopés et moitié-aveugles, frères du Christ  et bizango des grandes nuits, les fous et même les animaux, tous se recroquevillèrent apeurés sous la menace meurtrière de Ti-Nènèl et de sa bande.

Le brave soleil sous les toits avait l'allure d'un grand œil froid sous le bourg. Le soleil avait beau renversé sa coupe de lumière aux quatre coins de la région, l'ambiance demeurait terne, froid, blême aux portes du village.

Et Ti-Nènèl et ses hommes écumaient le village Les Rachetés, le boulevard de la ville sous la mitraille. Ils semaient le désastre dans tous les lieux, à  tous les carrefours.

La vie mondaine demeurait absente. Les tombeaux fleurissaient à travers la ville. La mort avait pris des galons, on ne sait plus à quelle guerre.

La faucheuse n'était ni homme ni femme, elle  n'était ni par ailleurs née de la dernière pluie sur la ville. Elle ne paraissait ni vieille ni jeune... Mais elle terrassait le village, Ti-Nènèl et ses cohortes amères chantaient leur gloire funeste, invectivaient les dieux, les prenaient à témoin à l'instar de Nimrod.

Le seigneur de guerre Ti-Nènèl mit ainsi sous coupe réglée le village. Nulle ombre ne sortait et n'y pénétrait sans avoir son autorisation ou sa permission. Personne ne discutait «la loi » du méchant homme. Le village couvait sous la détresse et le poids de la mort.

Ce qu'on ne savait pas, seul Boss Yawèl, peut-être, Ti-Nènèl pouvait y mettre un nom et un caractère sur tous les visages des habitants du village. Il connaissait de mémoire les visages, les prénoms, ce qui apeuraient pour de bonne raison toute tentative de dénonciation qui pourrait partir de la bourgade. La dernière preuve est le passage au trépas d'un pisteur de la police locale, Jean Sifrayis... On le disait un ange, au trois-quarts un démon, Ti-Nènèl exerça une domination cruelle sur la vie des gens.

Les jours avaient chaussé des sabots de vent, coulaient pareilles aux eaux du fleuve Artibonite. Sur le village, la faucheuse moissonnait à grande enjambée les mauvais grains et les souffles qui y habitent encore.

Le soleil étendait ses griffes dorées sur le jour, et la journée avait ouvert les bras. Les véhicules avaient pris la route. Motocyclistes, camionneurs, etc. Le ciel bleu était saupoudré de quelques nuages qui musclaient leurs bras gazeux sur le village.

La route du sud droit devant, les concerts de klaxon rythmaient le trajet au fur et à mesure qu'un lent ralentissement  opéra.  Un long blocus s'installa.

Les automobiles filaient patiemment vers le sud. Ti-Nènèl sembla avoir chômé puisque le trafic était fluide étonnamment ce matin. Le vent joua à la balançoire lente aux branches. Le jour éclaté de soleil monta doré  sous les rayons. Et le trafic coulait lentement  pareil au geste patient de la fourmi.

 

                                   ***

Ainsi, un jour, un autobus attaqua la route bordant le village. Bariolé d'un arc-en-ciel  mille couleurs, l'autobus était une petite merveille qui força l'admiration de tous. Son nom: “Bon Dieu Bon”. Il faisait pâlir la moindre automobile concurrente, sauf une rivale “ Voix du peuple”, un autre autobus assurant le trajet entre la Capitale et Les Anglais, une petite ville sur la côte sud de l'île. Mais c'est une autre histoire!

“Bon Dieu Bon” tirait sa popularité sur les routes. On l'a attribué ce sobriquet : « fann wòch, fann wout». Une redoutable terreur des pierres. Certains ont affirmé que l'autobus a eu des ailes! D'autres dans leur indifférence arguaient sans preuve qu'elle était sorcière, une méchante, un loup-garou. D'autres faiseurs de paroles claironnèrent que le camion roulèrent certains soirs dans une calebasse. Loin de faire un procès à toutes ces paroles, l'autobus “ Bon Dieu Bon” partait bien le dernier à la station, il arriva toujours curieusement le premier à destination.

L'autobus Bon Dieu Bon assura le trajet Port-au-Prince - Les Irois, le dernier point de l'île où la mer demeure un miroir infiniment bleu pour tremper les rêves. On ne lui connaissait cependant aucun propriétaire. Certains arguaient que l'automobile fut la propriété de tous. D'autres rapportaient qu'à certains jours le camion dédoubla: on y dénombrait dix, vingt, et même trente camions.

Ce matin, l'autobus partait, tournait le dos à la capitale. Sa carrosserie bariolée. Ses six roues roulaient à merveille. La destination matinale : la commune de Bonbon. À l'intérieur de l'autobus, on retrouva de jolies femmes, des hommes, des enfants, des vieux... L'avertisseur du bus anima à chaque arrêt le trajet. L'autobus filait. Tout à coup, au carrefour menant à l'entrée du village, il se déroula une drôle de situation. Des rafales d'armes automatiques crépitaient, déchiraient la voile du jour. En un clin d'œil,  trois automobiles bifurquèrent par l'entrée du village. La quatrième fut Bon Dieu Bon. Un groupe de jeunes hommes encagoulés gueulaient à tout-va, tout en faisant résonner leur gros calibre.

Un adolescent bondit aussitôt, une mitraillette trop lourde pendue à son cou. Il ne devait pas avoir encore douze ans, selon les mots de Boss Yawèl. Il dut à cet âge se retrouver sur les bancs.

 

Le petit, le corps amaigri, sautait d'un point à l'autre, déclara:

« Papa Nènèl bèl gason!

Tonton Nènèl bon flannè!

 

Si lanati pat kale w!

Nou t ap kale l,

kale l pwòp»

******

“ Papa Nènèl beau gosse!

Oncle Nènèl bon coureur de jupe!

 

Si tu n'étais pas né

On foutrera bien à la Providence

une bonne raclée”

 

Et le petit entonna son ariette sans vraiment en saisir le sens.

D'après le charpentier seuls l'État, les politiques et la bourgeoisie sont ici les vrais coupables...

L'autobus “Bon Dieu Bon” avait fini par s'arrêter au beau milieu du village Les Rachetés. Descendus, les passagers. Le truand Ti-Nènèl avait séquestré et le chauffeur et le travailleur-compteur dans une vieille bicoque tout près de la mer. Il avait par ailleurs emporté et les clefs et autres effets personnels de l'autobus.

Ti-Nènèl était revenu aussitôt. Avec lui ses compères. Il s'approcha. Les clés du véhicule entre ses mains. Il s'approcha encore. Le camion était vide. Il se passa alors quelques choses d'étrange. L'autobus vide, et sans clés. Subitement, le moteur du bus se mit seul à tourner, démarra. Les feux arrière et avant se mirent à clignoter. L'avertisseur hurla, hurla, hurla encore. Certains témoignent que le Palais National entendit les bruits. D'autres prétendirent que même les habitants de l'île La Tortue eurent vent de ces effets sonores. On rapporta sans preuve qu' Agoué et Reine Simbi écoutèrent attentivement.

Ti-Nènèl et sa troupe s'approchèrent plus près. Certains de la bande, secrètement eurent très peur. De peu, quelques-uns se seraient enfuis... Ne récolte-t-on pas ce que l'on a semé comme dit si bien l'adage? Le moteur du bus tourne, tournait, tourna encore. Même le chef de bande commença à s'inquiéter. Son cœur battait à un rythme étonnant. Parmi eux, certains déclarent:

 

« Patron, cher Patron, grand Patron, laisse partir ce bus»!

 

Gros Siro ajouta :

«Bis sa s on zo grann»

 

Dread Sirik claironna :

« Bis sa s on bwa nan nen,

Bis sa s on pèlen rat,

Bis sa s on pèlen tèt»

                                 ***

La scène ici narrée, nous le tenons d'un certain Chantal Blagè, farceur de son état, aujourd'hui passé de la vie à trépas. Grand farceur devant l'éternel, il apportait la joie à toutes les portes mais le récit qui y fera suite, il ne le tenait point pour une blague.

On prétendit que l'autobus “Bon Dieu Bon” eut un frère jumeau. Le récit que l'on tient à propos ressembla comme deux gouttes à celui dont nous fera Chantal, la narration.

“Il faisait encore nuit, le jour tarda à poindre lorsqu'un autobus sortant de la commune des Anglais atterrit brusquement sur une grande barricade de jeunes en armes. Le choc créé sous l'impact avait renversé l'autobus. Il atterrit au fond de la rivière surplombant le pont Caïman, un cours d'eau qui traverse la ville de Petit-Gôave”.

“Il y eut quelques morts, et de nombreux blessés. Un rien de temps, et le propriétaire était sur place. Se cacha-t-il quelque part? Se retrouva-t-il dans le bus quand il s'est renversé? Ce qui demeure vrai : la dame propriétaire ramassa tous les débris que laissa le terrible accident sur son passage: tessons de verre, vis, ferrailles”... Et elle est repartie on ne sait par quel chemin!

“ Avant de disparaître dans un éclat lumineux, la dame déclara à qui veut bien l'entendre, « j'ai déjà dans mon garage aux Anglais dix autobus flambants neufs, payés argent comptant».

“L' un après l'autre, les têtes brûlées ont pris chacun à sa manière, le chemin vers la tombe, sans  avoir même été malade. Le dernier coupable, un certain maître Jeanjean Ti-Mizik, quelques habitants de la zone avouaient le voir souvent passer sous le toit d'un camion très chargé, faisant curieusement le salut à certaines connaissances.”

                                 ***

L'autobus “ Bon Dieu Bon” accéléra, s'anima, s'agita... Et à l'intérieur du bus, il n'y avait personne! Cela inquiétait tous. Y compris les malfaiteurs de Ti-Nènèl. Ils tremblaient, suaient à grosses gouttes...

Certains affirment que Ti-Nènèl réclama une forte somme afin de relâcher l'autobus. Mais la propriétaire ordonna d'envoyer à la bande trois fois plus que la somme... Et ceci avant midi! L'un des malfaiteurs toutefois, Gérard Larron-Gauche, fin clerc à sa manière, rétorqua que « se yon kado pyeje, yon ja lajan trangle k ap fè lavi yo siy.»

 « c'est un cadeau piégé, un attrape-nigaud, commandant »

L'autobus“ Bon Dieu Bon” a été relâché sur le champ, sans même avoir à payer la caution. Il a repris la route librement vers sa destination. Surprenant!

D'après les mots de Boss Yawèl, la propriétaire, Madame Maître-Minuit selon certains, jura sur sa tête de faire payer cette impertinence”... La suite...,  ne le demande pas surtout au charpentier...

 

James Stanley Jean-Simon

 

•® Petit-Gôave,  30 oct et 1,2,3 novembre 2019, 1h 05 Pm

★Traduction française de l'audience : « Gwo Manman Kamyon Mèt Minwi an» de l’auteur

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