Une brève histoire du « Konpa dirèk » haïtien

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Le rythme musical de « Konpa dirè» haïtien est issu d’un contexte d’affirmation et de promotion de la musique nationale ; ce, de 1915 à 1950 au regard de la mouvance indigéniste triomphante. Il revenait avant tout au maestro Nemours JEAN BAPTISTE la paternité duquel rythme dans le cadre de l’orchestre Aux Calebasses en 1955, soit l’ancêtre immédiat de l’Ensemble Nemours Jean Baptiste. Le père du Konpa Dirèk a aussi profité de ses observations des animations des bals « Anba tonèl » notamment de ses visites à Saut D’eau qui ont permis de systématiser des notes exécutées d’une guitare simple, d’un tambour, de 2 malaca (tchatcha) et d’une flûte. Il s’agit dès lors de notes simples articulées au tempo 1-2, au moyen des instruments tels l’accordéon, le saxophone, une guitare accoustique, des cordes, des tambours et autres instruments de percussion. Ce qu’a rapporté Frandy JASMIN mémorand de Maitrise en Anthropologie sociale, dans une entrevue avec nous en date du 29 janvier 2024 faisant référence au point de vue de Sylvio Jean Pierre à propos des origines du Compas direct.

 

Le dispositif instrumental a évolué suivant les tendances qui allaient caractériser le Konpa dirèk dont le Mini Jazz (1970) qui a misé sur l’orchestration produite par 2 guitares, une basse, la percussion-conga, un saxophone alto, un keyboard ou lead guitare. Plus tard, c’était le tour de la nouvelle génération de Konpa dirèk qui avait privilégié le tempo de Drum machin, au milieu des années 1980. Le Rap venait s’interposer comme une autre variante de la musique urbaine avec le tonus de l’électronique propulsé par de disc jockers. Le troubadour, en 2000, a refait surface dans la lignée de la tendance « Anba Tonèl » pour donner lieu à une meilleure assise du « konpa dirèk » par rapport au rythme montant du Zouk d’alors . Les musiciens et les fans des groupes musicaux s’approprient le Konpa dirèk en attribuant des dénominations spécifiques aux tendances telles le Konpa Manba (Coupé Cloué), Konpa Kè kal (Bossa Combo), Konpa Matchavèl(Système Band), Konpa Hounsi (Tropicana) etc.

 

L’histoire du « Konpa dirèk » renvoie fondamentalement aux récits et témoignages de musiciens académiques et non académiques et au vécu de ceux ou celles qui ont participé dans l’ambiance musicale des années 1950. Les points de vue anthropologiques sont considérables pour nous aider à faire la part des choses. .Ce qui nous fait considérer la musique comme « un art du moment ». (Schaeffer et Paulme,1989). La musique est aussi une langue des émotions ». Elle sert aussi à développer un sentiment d’appartenance (Muldma, 2009). Mao avait dit: » Seul le peuple est artiste » a indiqué Jean Pierre. En dépit de diverses approches qui ont contribué à situer le « Konpa dirèk », il convient de cerner ce dernier comme une forme de musique urbaine à savoir un genre non conventionnel, improvisé avec de notes simples et exécutées dans un cadre non institutionnel par de musiciens non académiques.

Il s’apparente à une musique populaire. Le « Konpa dirèk » a connu des influences plurielles de genres et de rythmes. Il ne saurait se passer du folkore haïtien non plus des courants musicaux dans la région dont el tipico cibaeno, la contredanse, el merengue, la musique cubaine, le magouline dominicain, le pouse bourèt ou rale bourèt pour Jean Pierre ; il y a aussi le siwèl de travailleurs coupeurs de canne revenus de Cuba qui se joue avec une guitare ou banjo, des maracas ou tchatcha, un manoumba, une basse faite d’une caisse en bois ou cymbale et un accordéon, une flûte et une cymbale . Puis le carabinier et le troubadour dont l’instrumentation n’est pas trop différente  . Fouchard a évoqué le terme Konpa dirèk, qui, pour lui est dérivé de la meringue dominicaine, inspirée elle-même du  carabinier .

Il y a lieu de noter l’avènement et l’accès garantis de nouveaux groupes populaires urbains aux objets culturels, dont la musique et la danse. Ainsi le Konpa dirèk vient s’imposer dans le sillage de la musique dansante « anba tonèl » des milieux paysans. Ce qui devient dès lors une musique dansante amenée cette fois- ci dans les salons.

À tort ou à raison, les clivages dichotomiques musique savante, musique populaire et musique nationale ont caractérisé les discours dominants de la littérature musicale de l’époque. Ce qui aurait justifié le Konpa dirèk accessible à tous à contrario de toute musique dite savante ou importée qui éxige une écoute fine et de mouvements habiles pour être dansée.

Si le « Konpa dirèk » est parti d’une systématisation de notes simples associées au tempo binaire 1-2, il est de plus en plus enrichi et élaboré à l’aune de la musique dite savante. Tout en maintenant le tempo 1-2 comme noyau qui détermine la spécificité du « Konpa dirèk ». La musique du Konpa dirèk haïtien est diversifiée, exploitant des touches d’autres rythmes (folklore, merengue, salsa, Bossa Nova, Jazz, Big Band, Bolero, Hip Hop, disco, rap, Raboday, troubadour, etc.. ). En voici quelques illustrations, dont Les Frères Déjean, Le Magum Band avec ses touches jazzées ; Le Scorpio Universel dans ses influences du Rock ; Le Caribean Sextet associé au Bossa Nova ; Le Tabou Combo avec un tempo Hip Hop ; Mizik Mizik dans ses rythmes de troubadour ; Le Gemini All Stars prisé par le Reggae et plus près de nous le groupe Kaï qui vient de participer à la 17e édition de PAP JAZZ 2024 fait état du caractère de fusion jazz du « Konpa dirèk »..

L’introduction d’instruments modernes, électriques et électroniques a aussi fait l’affaire du « Konpa Dirèk “ La liste des atouts à l’actualisation de ce rythme est longue. Ce qui fera objet d’un autre papier.

 

Hancy PIERRE, Professeur à l’université

 

 

Repères bibliographiques

 

-LADOUCEUR Rosny, ‘Survol du compas direct par Pierre Boncy’in Le Nouvelliste du 30 septembre 2013 https://lenouvelliste.com/article/121932/survol-du-compas-direct-par-pierre-boncy (en ligne, consulté le 29 janvier 2024)

 

-Lettre au professeur Michel Soukar-” Compas Direct » Musique haitienne -Culture haïtienne -Etc par Louis Carl Saint Jean, 13 avril 2018, https://www.tumblr.com (en ligne, consulté le 29 janvier 2024) .

« Petite causerie sur la meringue haïtienne » in https://adrienberthaud.com (consulte le 29 janvier 2024)

 -SCHAFFNER ,André et PAULME Denise « Musique savante, musique populaire, musique nationale » in In: Gradhiva : revue d'histoire et

d'archives de l'anthropologie, n° 6, 1989. pp. 68-89 ; https://www.persee.fr/doc/gradh 8928_1989__1_num_6_1_1198 (consulté le 8 novembre 2023)

 -LIZAIRE Jean Evenson (2016), « des jeunes en débandade: la mise en récit d’une société en perdition » in Cahiers du CEPODE. No 6, Avril 2016, Édition du  CEPODE.p 111-144.

 - DUCREPIN Sindy (2023) . « Le corps de la femme dans les chansons Rabòday en Haïti : Usages et enjeux », Faculté des Sciences Humaines, Université d’Etat d’Haïti.Non publié.

-Hancy PIERRE (2019), « Le festival du PAP JAZZ de Port au-Prinee: de la culture au service d’un rapprochement collectif » in Le Nouvelliste du 29 janvier 2019.

-PIERRE, Hancy (2023) « les femmes musiciennes : une réappropriation des groupes du compas direct en Haïti », in Le Nouvelliste du 7 mars 2023

-PIERRE Hancy (2023), « Les expressions de la musique haïtienne dans le prisme de la culture de masse: dilemmes éthiques et perspectives » in Le National, Port-au-Prince.

-Maia MULDMA (2009) « La musique comme langue de communication dans le dialogue des cultures », Synergie Pays Riverains de la Baltique no 6-2009 pp 249-262, Estonie.

- Dr Gage Averill, “Konpa !La musique populaire en Haïti.-1.La bèl epòk:la musique populaire de la 1ère moitié du 20ème siècle » Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2016-2019http://www.lameca.org/publications-numeriques/dossiers-et-articles/konpa-la-musique-populaire-en-haiti/1-la-bel-epok-la-musique- (consulté le 9 novembre 2023)

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