La Journée mondiale de la poésie est célébrée le 21 mars 2024. C’est une manifestation culturelle à vocation humaniste. Dans une époque dominée par les nouvelles technologies de l’information, cette journée revêt toute sa signification, il s’agit de se rappeler l’importance de la poésie dans la vie, dans nos vies. Au cours de cette journée ont lieu des lectures, des expositions et des récitations d’œuvres lyriques dans les médias et les institutions culturelles. À cette occasion, Le National propose à ses lecteurs de relire quelques-uns des poèmes écrits par le grand poète haïtien Georges Castera.
Georges Castera fils, né le 27 décembre 1936 à Port-au-Prince et mort le 24 janvier 2020 à Pétion-Ville, est un des plus grands poètes haïtiens contemporains. Son œuvre, écrite en créole et en français, marque toute une génération. Il est dessinateur. Il a aussi travaillé à titre de directeur littéraire aux éditions Mémoire et a dirigé avec l'écrivain Rodney Saint-Éloi la revue d’art et de littérature Boutures. Castera est l’ auteur d’une œuvre poétique immense écrite dans nos deux langues. Dans « L’encre est ma demeure », une anthologie parue aux Éditions Actes Sud , Lyonel Trouillot , qui a préfacé l’œuvre a écrit ceci : « Castera est celui dont la poésie tire encore sur les balles des assassins de peuples, les commandeurs d’usine, les vieilleries poétiques et conjugales qui condamnent à l’immobilisme. Pour nous, Haïtiens, sa langue fut et demeure la force ouvrière de notre résistance à la dictature du capital et à la dictature. Poète moderne et engagé, dialoguant avec les grandes démarches poétiques du XXe siècle, il est aussi celui qui nous a amenés au plus près des écritures croisées qui font les liens entre les peuples ». Le National, à l’occasion de la Journée mondiale de la poésie, publie quelques-uns des poèmes de Castera , grand ouvrier de la plume.
Solèy
Ala yon gwo zafè !
Solèy pa gen manman.
Solèy pa gen papa,
Lan lari l’ rete
Tout tan.
Lan lari
Tout moun an majigridi
Anba solèy cho,
Y’ap tann machin,
Machin ki derefize rete
Pou pasaje.
Fèt de lab
Leta di se fèt pyebwa.
Atò,
Kote pyebwa a ?
Tout kote n-ale
Labim adwat
Labib agòch :
Nou lan fènwa de fwa.
Dlo ap desann.
Se vale san kraze.
Lanmè klere kou soud.
Tire
Bal la fè twou
Pou-l pase rantre
L’ale, li travèse
Depi se trip,
Depi se pye, jizye,
Mwèltèt.
Li pase an boulin,
An boulvès
Li vire antre
Bourade kraze
Wa di
Yon bagay
L’ap chache nan mitan fèy papye.
Bal la kwaze
Ak kat tikatkat
Ki te chita ap etidye
Éléments d’un dossier
Aujourd’hui pêle-mêle
Vulnérable vulve d’encre
Giclée
Mur prisonnier du mur
Brutal mur qui troue la vie
Mur dur entier dans la durete
Mur qui entre à coups de talon
Dans l’indicible
Les maisons ont perdu
Leur bouquet de rues
Quatre murs
C’est déjà un labyrinthe
La tragédie
Le pain qui s’enveloppe de mouches
Puis
D’autres murs
D’autres murs s’accouplant
Au milieu des cris
« Te voici dévêtue dévoilée… »
Te voici dévêtue dévoilée dévolue
Violente par nuées et brassées
Au plus haut de l’écriture
Je t’aime dans la longévité du mot
Je t’aime dans la brièveté de l’acte
Tes rires ont saccagé le basilic du songe
Et ton corps s’est offert blessé
Lourdement contre la masse pluviale qui nomade
Vers le ciel inéclos
Atteint en son milieu d’une épidémie de
Cerfs-volants
La mer répète indéfiniment
Son propos de cendre d’écume
De salive de crépitement
De choses lavées et délavées
Dévêtues dévoilées dévolues
Le temps a des crampes de mort
Qu’on nous laisse le temps
De notre nudité dans l’écume de mer !
Qu’on nous laisse le temps de prendre
Démesure de la sève dans la tranquilité
D’un arbre ossifié
L’aube lisible s’enracine
Dans les amours errantes
De tes draps au soleil
De tes cris dans les rues avoisinantes
La phonétique amoureuse agacée
Sous un masque de fourmis
Je relève le défi de l’éloquence
Du dernier crépitement du sel dans l’eau
Je relève l’empreinte de ton sourire
Dans tous les jeux de l’enfance.
Schultz Laurent Junior