Les échos mystiques de l'âme haïtienne : L'œuvre de Dominique Batraville

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L’éveil d’un poète aux confins du ressenti

Dominique Batraville, poète, écrivain et critique littéraire, est né en février 1962. Sa formation académique, forgée entre le Petit Séminaire Collège de Saint-Martial en Haïti et les universités de Bruxelles et de Lille, a nourri son esprit curieux et insatiable. Aujourd’hui, il vit au cœur de Port-au-Prince, où il façonne son quotidien avec l’ardeur et la liberté propre aux âmes indomptables.

L’essence de l’œuvre de Dominique Batraville réside dans ce réalisme merveilleux propre à la littérature haïtienne. Il mobilise et fait bouleverser tous les savoirs établis pour façonner un travail artistique d’une rare pureté. Son écriture, à la fois incantatoire et visionnaire, transcende les limites du réel pour créer un univers où l’histoire, la mémoire et le mythe fusionnent en une fresque poétique.

André Breton écrivait dans le Manifeste du surréalisme : « Je veux qu'on se taise quand on cesse de ressentir. » Or, chez Dominique Batraville, l’écriture ne se tait jamais. Elle est un frémissement permanent, une cascade d’émotions qui s’imprègne de l’histoire et des souffrances d’Haïti. Son verbe, nourri par les œuvres d’auteurs qui l’ont façonné, porte la flamme d’une littérature engagée et vibrante.

Les voix tutélaires qui sculptent sa plume

Parmi ses influences majeures, « L’Espace d’un Cillement » de Jacques-Stéphen Alexis, avec la flamboyance de ses phrases, résonne dans son écriture. Il puise également dans « Gouverneurs de la Rosée » de Jacques Roumain, imprégné de réalisme social et de lyrisme poignant. « La Famille des Pitite Caille » de Justin Lhérisson, l’un des plus grands lodyans de la littérature haïtienne, lui enseigne la puissance du langage et la profondeur du vécu populaire.

Mais l’influence qui marque profondément Batraville est celle de Magloire-Saint Aude, qu’il considère comme « l’un des plus grands poètes surréalistes haïtiens ». Dans son œuvre, il célèbre un surréalisme ancré dans la culture haïtienne, où les songes, le réel et l’invisible s’entrelacent en une symphonie mystique.

Le voyage onirique de « L’Ange de Charbon »

Dans son roman « L’Ange de Charbon », publié chez Zulma en 2014, Batraville nous entraîne dans un récit à la croisée du réalisme magique et du surréalisme. À travers un narrateur énigmatique, il explore la mémoire et l’histoire d’Haïti, dans une danse où se mêlent les figures mythiques, les tragédies collectives et les songes hallucinés.

Le personnage de l’ange de charbon, symbole de souffrance et de résilience, incarne la douleur du peuple haïtien face aux injustices, aux catastrophes naturelles et à l’exploitation. Ce roman poétique s’imprègne du folklore, du vaudou et des traditions orales, offrant une écriture lyrique et sensorielle, où la mémoire prend des teintes mystiques.

« L’Ange de Charbon » est une fresque onirique qui célèbre la richesse culturelle haïtienne tout en dénonçant les blessures du passé et du présent.

Le vaudou, une empreinte indélébile

Dans chacune de ses œuvres, Dominique Batraville explore le vaudou, non comme un simple motif exotique, mais comme une réalité ancrée dans l’âme haïtienne. Il confie : « Presque dans toutes mes œuvres, il y a des scènes du vaudou. » Cette omniprésence puise ses racines dans son enfance passée à l’Arcahaie, où les oungans exerçaient leur pouvoir et où la peur de la sorcellerie marquait profondément son imaginaire (Île en Île).

Ce rapport ambivalent, entre crainte et fascination, façonne une écriture où le surnaturel s’infiltre dans le quotidien, où les esprits dialoguent avec les vivants, et où les croyances deviennent le reflet des angoisses et des espoirs d’un peuple.

« Boulpik », l’écho du destin et du hasard

Dominique Batraville entre dans la littérature dès l’âge de quinze ans, publiant son premier ouvrage aux éditions Choucoune en 1978. Dès lors, il est considéré comme une promesse de la littérature créolophone, à une époque où « écrire en créole » prend une envergure nouvelle.

Son recueil « Boulpik » mêle le réalisme et l'oralité pour peindre la vie haïtienne. À travers la symbolique du jeu de hasard (boulpik), il évoque la précarité du destin, la lutte quotidienne, la douleur et la joie du peuple haïtien. Son style lyrique et rythmique plonge le lecteur dans un univers où misère et spiritualité s’entrelacent, où la mémoire collective dialogue avec l’instant présent.

Confidences à la mer : le murmure de l’inspiration

Paul Éluard affirmait : « Les vrais poètes ne sont pas inspirés. » Une idée que partage Batraville, qui voit dans la mer la seule source de son art. « S’il pouvait parler d’inspiration, ce serait la mer. C’est la mer qui   l’a fait poète » (Île en Île).

Le vent et les flots imprègnent ses poèmes et ses récits, omniprésents comme des forces invisibles qui guident sa plume. Il ajoute : « Un jour, je voudrais remettre à la mer ce qu’elle m’a donné » (Île en Île). Car pour lui, l’inspiration ne vient pas d’un élan soudain, mais de la réminiscence, de cette capacité à cueillir des images du quotidien pour les transfigurer en un univers poétique.

C’est le voyage qui constitue sa véritable source créatrice : « Toute sorte de voyage, voyage dans les livres, flâner dans les rues, lui permet de ramasser des images pour produire. C’est cela qu’il appelle inspiration » (Île en Île).

Aujourd’hui, il continue de vivre à Port-au-Prince, où son existence se déploie dans une liberté teintée de folie et de passion. « Il vit dans toute sa folie humaine » (Île en Île). Une folie qui est celle des poètes, de ceux qui transforment le réel en mythe et le mythe en vérité intemporelle.

Dominique Batraville demeure une voix singulière, un alchimiste des mots, un passeur de mémoire dont l’œuvre, vibrante et intemporelle, inscrit Haïti dans un lyrisme incandescent.

 

Feguerson Fegg THERMIDOR

ecrivainfeguersonthermidor@gmail.com

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