Dans un pays où chaque rupture appelle une renaissance, Nordjino s’avance avec des mots qui cherchent moins à convaincre qu’à éclairer. Ses réponses, nettes et sans emphase, tracent une ligne : comprendre Haïti, c’est regarder au-delà des slogans pour saisir les continuités invisibles qui sculptent nos crises. Avant d’entrer dans l’entretien, une certitude s’impose : ici, la pensée n’est pas un exercice abstrait, mais une responsabilité envers l’histoire.
Avec une maturité rare, il avance sans prétention, certain que les plans du Seigneur dépassent toujours ses attentes. Et dans cette certitude, Nordjino Fortilus trace sereinement son chemin : un chemin où la voix, l’émotion et la foi se rejoignent pour éclairer et impacter sa génération.
Né aux Gonaïves et aujourd’hui étudiant au Campus Henry Christophe de Limonade, Nordjino Fortilus fait partie de cette génération d’artistes pour qui la musique est à la fois vocation, refuge et mission. Lauréat du concours Chante Nwèl en 2019, gagnant du grand concours de chant de la FASE en 2024, nominé au CHCL Awards, il multiplie les scènes du Cap-Haïtien tout en poursuivant un parcours académique exigeant.
Profonde spiritualité, passion pour le Gospel, admiration pour Émeline Michel et John Legend : Nordjino forge une identité artistique singulière, nourrie d’émotions, de foi et d’un attachement indélébile à Haïti. Dans cette interview confiée au quotidien Le National, il raconte son parcours avec une transparence rare et une maturité saisissante.
Elmano : Nordjino, si vous devez raconter votre première rencontre avec la musique, ce serait un souvenir, un lieu, une émotion ?
Nordjino : Difficile d'évoquer un lieu ou un souvenir pour faire référence à ma première rencontre avec la musique. En effet, j'ai grandi dans un environnement où pullulent des activités socio culturelles de toute sorte où la musique occupe une place importante. Ayant grandi dans une famille protestante, la musique est également très présente à l'église.
Pour parler d'une première rencontre je limite par précaution mes propos à l'émotion car au contact de la musique j'éprouve toujours de fortes sensations. Cette énergie qui revient à chaque fois qu' une mélodie parvient aux oreilles , peu importe l' espace temps, j'ose l'assimiler à une émotion et faire d'elle ma première et éternelle rencontre avec la musique.
Elmano : Vos interprétations vibrent d’une force intérieure rare. Quand vous chantez Pè Letènèl ou Kouzen, que cherchez-vous à transmettre ?
Nordjino : - J’ai interprété ces chants dans un concours à caractère social où j’avais remporté le premier prix. Chanter ces morceaux musicaux m'a amené à exprimer cet amour ancré au fin fond de mon cœur que je porte, que nous portons tous vis-à-vis d'Haïti qui, actuellement, traverse d'importantes crises. Cette situation submerge, désole l'ensemble de la population haïtienne qui, mûe par le désir de survivre, se voit obligée de quitter le pays en dépit de cet amour.
Elmano : Votre voix s’élève entre foi et passion. De “Pè Letènèl” à “Kouzen”, vous (ré)enchantez la scène musicale ayitienne par votre sincérité. Rencontre avec un artiste qui chante l’âme avant tout.
Vous reprenez avec élégance Emeline Michel ou John Legend. Qu’est-ce qui vous attire dans leurs univers, si différents mais si proches du vôtre ?
Nordjino : Mes débuts remontent à John Legend et à Émeline Michel. En effet, j'ai aimé écouter Legend pour sa simplicité vocale qui captive et Émeline, icône haïtienne tant à l'échelle nationale qu'internationale, parce qu'elle étale dans sa musique toutes les couleurs locales pour raviver la flamme d’amour et notre histoire.
Elmano : Comment définiriez-vous votre propre son — entre spiritualité, groove et émotion — sans vous trahir ?
Nordjino : - Et pourquoi ne pas dire qu'il englobe les trois? Néanmoins, je placerais la spiritualité en premier puisque l’objectif même consiste à élever Dieu dans sa splendeur glorieuse afin que tout ce qui respire sache que par la mort de Jésus-Christ à la croix du calvaire, nous sommes sauvés, libérés de toute emprise, bénis et plus que vainqueurs dans n’importe quel combat visible ou invisible.
Cette spiritualité se joint au groove, d’ailleurs, la Bible nous recommande de louer l’Éternel en utilisant toutes formes d’expressions: instruments, danses, acclamations et actions de grâce. Le choix n’a pas totalement été le mien mais en partie une proposition du beatmaker SHEGGER BEAT. Le titre même de la musique, d'ailleurs, s'impose tel une célébration qui ouvre un passage en surplus pour la véhiculation de nos messages chrétiens. Les émotions quant à elles, ont suscité le désir de produire ce morceau cependant, je reste convaincu que tant que nous respirons nous trouverons des raisons pour exalter le Seigneur.
Elmano : Lorsque vous créez, que venez-vous chercher : le silence, l’inspiration ou la délivrance ?
Nordjino : Je crée pour inspirer, motiver, donner de l’espoir et du courage et par le même fait, je me fortifie en y puisant ma paix, mon bonheur.
Elmano : Quelle chanson vous ressemble le plus, c'est-à-dire celle dans laquelle vous vous reconnaissez entièrement, sans masque ni artifice ?
Nordjino- Le Gospel.
Elmano : Dans le bouillonnement musical ayitien, comment parvenez-vous à imposer votre signature, votre différence ?
Nordjino : - Tout n’est que grâce et faveur divine! En ce sens, le Saint-Esprit m'aide à me distinguer amplement. Je bénéficie de l'encouragement de mes proches: parents, amis, condisciples de classe et confrères/consœurs d'études.
À l'école classique, lorsque me venait l'envie de chanter, le " ban dèyè" m'accompagnait sans se lasser en guise d'instruments de musique.
Je m'étais convaincu que mon talent devait gagner plus de terrain, dans cette optique, en 2019 j’ai remporté le premier titre du concours "Chante Nwèl" organisé par le Projet HA0371 de la Compassion Internationale. Ensuite, les demandes pour mes performances lors de nombreuses activités au sein de la ville (les Gonaïves) ont afflué.
En premier lieu, après avoir intégré le Campus Henry Christophe de Limonade ( CHCL ) en novembre 2023, j’ai été lauréat du concours de chant organisé par les Beaux-artistes de la Faculté des Arts et des Sciences de l’Éducation (FASE) en juin 2024 dans lequel j’ai interprété Pè Letènèl et Kouzen de Émeline Michel. En outre, le 08 Mars 2025 j’ai été nominé au CHCL Awards comme meilleur chanteur pour l’année 2024 de l'université. Enfin, je chantais notamment dans des restaurants très fréquentés au Cap-Haïtien comme à Cap Deli pendant le Karaoké Night et à Pitiwa Pizza pour Jedi Swam. Aujourd’hui encore, je décide avec ce don de prêter ma voix à ceux qui en ont besoin pour élever Dieu, l'adorer, le psalmodier mais aussi pour avoir un impact positif sur ma génération.
Elmano : Votre musique semble prêcher autant qu’elle apaise. Quel message profond voulez-vous laisser à ceux qui vous écoutent ?
Nordjino : - Mon message se définit en un mot qui est L’Évangile. Il s'agit de l’une des raisons pour lesquelles j'évolue dans le Gospel car il restera et demeurera ce qu’il est. Jésus-Christ est lumière, sauveur, libérateur, ami fidèle et tendre, douceur, bonheur, joie et paix donc, je tiens à envoyer et à perpétuer ce message de lumière et de vie à ceux qui m’écoutent, me lisent.
Elmano : Derrière la scène, l’artiste se tait. Qui est Nordjino Fortilus quand les projecteurs s’éteignent ?
Nordjino : - Quand les projecteurs s’éteignent, Nordjino Fortilus reste cet enfant unique d’une famille nucléaire chrétienne, gérant passions/différents talents et exigences sociales. Un jeune homme au cœur rempli d’amour et joie de vivre pour ses proches, avec la volonté d’investir dans une Haïti meilleure et un jeune chrétien qui se donne pour objectif d’aider les jeunes à mieux comprendre l’amour du Christ.
Elmano : Et demain ? À quoi rêve le chanteur, l’homme, l’âme — un album, une scène, ou une rencontre encore inachevée ?
Nordjino : - Déjà, Dieu m’a fait don de plusieurs talents cohérents. Je rêve de devenir une icône incontournable du cinéma, de la musique chrétienne et surtout un mannequin qui porte la gloire du Seigneur. Je ne sais pas à quoi m’attendre puisque je sais que ni mon attente ni mes rêves ne pourront rivaliser ce que le Seigneur me réserve. Je me contente tout simplement de suivre la route qu’il m’a tracée afin d’atteindre en toute humilité le summum de son échelle.
