Par Jean-Jude Dugé et Noclès Débréus
En Haïti, parmi les racines et tubercules alimentaires, la patate douce occupe une place de choix dans la diète de la population, car elle est généralement consommée dans toutes les régions du pays. Elle est une source alimentaire locale, accessible, riche en énergie et en micronutriments, notamment en vitamine A, essentielle à la croissance, à la vision et à l’immunité. Cette culture vient, tout de suite, après la banane avec une production de 117 345 tonnes en 2019 (MARNDR, 2019). Cependant, elle fait face à d’importantes contraintes comme l’appauvrissement des sols, les périodes répétées de sécheresses et des infestations d’insectes nuisibles comme le charançon. Le Programme d’Innovation Technologique en Agriculture et Agroforesterie (PITAG) développe des solutions en cultivant des patates douces avec des arbres, dans une approche d’agroforesterie dans le but de protéger les sols et d’augmenter les récoltes (Mertilus et al., 2023). Dans le cadre du programme de vulgarisation et de médiation scientifiques de l’Équipe des Partenaires Scientifiques pour la Communication de la Recherche (E-PSi-CoRe), structure rattachée à Haïti Sciences et Société (HaSci-So), cet article voudrait expliquer comment le PITAG travaille à l’amélioration de la culture de la patate douce et à l’identification des obstacles à surmonter pour aider plus de familles haïtiennes.
Ce que le PITAG a fait
Le PITAG a travaillé sur la patate douce entre 2022 et 2024 à travers des recherches présentées lors de trois grandes rencontres scientifiques (Mertilus et al., 2023; Alcindor et al., 2023; Augustin et al., 2025). Les chercheurs du CHIBAS, de l’Université Quisqueya et des agriculteurs ont testé 18 variétés de patates douces dans des champs à Mirebalais, dans le Plateau Central, et dans d’autres régions comme le Sud et l’Artibonite. Ils ont mesuré la concentration de provitamine A (β-carotène) avec un spectrophotomètre, testé des moyens pour lutter contre le charançon, par la sélection de variétés résistantes et la pose de pièges à insectes aux phéromones.
Plus de 600 agriculteurs de cinq régions (Nord, Artibonite, Sud, Grand’ Anse, Plateau Central) ont participé à des enquêtes pour partager et tester leurs résultats (Pressoir, 2023). Ces travaux ont montré des progrès significatifs en ce qui concerne les rendements, mais les chercheurs ont déploré la faiblesse de la vulgarisation de ces technologies aux agriculteurs, ce qui limite dans le temps leur utilisation.
Les progrès réalisés
Le Programme d’Innovation Technologique en Agriculture et Agroforesterie (PITAG) a rendu la patate douce encore plus précieuse pour Haïti en faisant ressortir ses principales caractéristiques alimentaires. Prenons une variété comme «Tikawòt », une patate orange originaire du Sud, elle est pleine de vitamine A, qui aide la vision des enfants et les garde en bonne santé. Une petite assiette de Tikawòt donne une dose significative de cette vitamine, ce qui est extrêmement important, car beaucoup d’enfants haïtiens en manquent (Laraque et al., 2023). Le PITAG a aussi trouvé des moyens de réduire considérablement l’impact du charançon, lequel est un insecte coléoptère qui dévore les patates. Avec la pose de pièges et en couvrant le sol avec des feuilles, les agriculteurs sont parvenus à réduire les pertes en patates d’environ 15–20 % de patates (Pressoir, 2023). A fortiori, les 600 agriculteurs interrogés ont affirmé avoir gagné 15–20 % d’argent en plus en vendant leurs patates aux « madan sara », ces femmes qui assurent l’approvisionnement des marchés publics en produits alimentaires au niveau du pays. (Augustin et al., 2025).
Tableau 1 : Les meilleures variétés de patates douces (adapté de Laraque et al., 2023)
|
Variété |
Région |
Couleur |
Vitamine A (µg/g) |
Utilité |
|
Tikawòt |
Sud (Léger) |
Orange |
99,67 |
Lutte contre la malnutrition |
|
Timoron |
Grand’Anse |
Jaune |
60,30 |
Bonne pour la santé |
|
PAT436 |
Sud |
Jaune |
21,98 |
Bonne pour la santé |
|
Ti Savyen |
Sud (Platon) |
Blanche |
0,30 |
Moins nutritive |
Explication : Ce tableau montre que les variétés orange (Tikawòt) et jaunes (Timoron, PAT436) sont riches en vitamine A, idéales pour la santé. Les variétés blanches, comme Ti Savyen, sont moins importantes sur le plan nutritionnel.
Tikawòt peut changer la vie d’une bonne partie de la population haïtienne. Une famille qui mange cette patate orange donne à ses enfants une meilleure santé, comme au Nigeria où des patates similaires ont aidé des milliers de personnes (Van Jaarsveld et al., 2006). Les madan sara, en vendant ces patates en ville, aident tout le monde à en profiter (Pressoir, 2023).
En dépit de ces avancées, tout est loin d’être parfait puisque le charançon détruit encore jusqu’à 20 % des patates dans certains champs, car il n’y a pas assez de pièges (Augustin et al., 2025). Beaucoup d’agriculteurs ne savent pas comment cultiver la variété Tikawòt en l’associant à la plantation d’arbres selon l’approche de l’agrofosterie, car seulement 3 agriculteurs sur 10 ont reçu des formations (Pressoir, 2023). On ne sait pas non plus si la vitamine A de Tikawòt persiste après la cuisson, vu qu’il y a des possibilités qu’elle soit détruite par la chaleur ce qui ne serait pas bon pour la santé (Van Jaarsveld et al., 2006). Enfin, certains agriculteurs ont peut-être fanfaronné en avançant qu’ils ont gagné plus d’argent que dans la réalité en voulant se donner de l’importance c’est-à-dire, en voulant montrer leur succès (Augustin et al., 2025). En choisissant de présenter et expliquer ces progrès en termes simples au grand public, l’Équipe des Partenaires Scientifiques pour la Communication de la Recherche (E-PSi-CoRe) souhaite non seulement informer les agriculteurs et la population, mais également apporter sa modeste contribution aux efforts déployés par les chercheurs à travers le PITAG pour renforcer la production agricole nationale.
Conclusion et propositions pour l’avenir
Le PITAG a transformé la culture de la patate douce en Haïti avec l’utilisation de variétés plus performantes comme celle de Tikawòt qui est riche en vitamine A. Ainsi, les agriculteurs produisent-ils plus (12–15 tonnes par hectare) et gagnent-ils plus d’argent, environ 15 à 20 % de revenus en plus (Mertilus et al., 2023; Alcindor et al., 2023). La technique de paillage (apport de paille dans les parcelles) a été testée en condition expérimentale pour contrôler le charançon dans les parcelles recherches… (Pressoir, 2023). Mais beaucoup d’agriculteurs manquent encore d’encadrement en matière de contrôle du charançon qui demeure un grave problème qui affecte la culture de la patate (Augustin et al., 2025). Dans des conditions parfaites de sécurité, il faudra penser à aider les « madan sara » en améliorant les conditions de transporter des patates à partir des zones de production vers les villes et voir comment augmenter leur marge de bénéfices tant leur rôle est déterminant dans la distribution des produits alimentaires locaux dans le pays.
Pour aider plus de familles, le PITAG doit former plus d’agriculteurs et utiliser, comme en Afrique, la méthode des champs-écoles pour leur apprendre à cultiver mieux (Akinnifesi et al., 2010). L’intégration d’un volet de vulgarisation et de médiation scientifiques avec l’implication de E-PSi-CoRe peut conduire à la production de vidéos pour expliquer au grand public en général, et aux agriculteurs, en particulier, la place des innovations agricoles dans le développement et la modernisation de ce secteur. Les « Madan Sara » ne seront pas non plus oubliées dans le cadre des séances de formation pour les aider à mieux s’acquitter des tâches de distribution de ce produit dans le pays d’une région à une autre.
Références bibliographiques
Alcindor, E., et al. (2023). Recherche pour la souveraineté alimentaire en Haïti. Deuxièmes Journées Scientifiques du PITAG. https://hal.science/hal-04627845
Augustin, P. G., et al. (2025). Innovations pour une agriculture résiliente en Haïti. Troisièmes Journées Scientifiques du PITAG. https://hal.science/hal-04875682
Laraque, M. L., et al. (2023). Évaluation de la vitamine A dans les patates douces haïtiennes. In Mertilus et al. (2023).
MARNDR (2019). Enquête nationale de production agricole. https://agriculture.gouv.ht/statistiques_agricoles
Mertilus, F., et al. (2023). Recherche agricole pour la sécurité alimentaire en Haïti. Premières Journées Scientifiques du PITAG. https://hal.science/hal-04188972
Pressoir, G. H. (2023). Le sous-programme « Racines et Tubercules ». In Mertilus et al. (2023).
Jean-Jude Dugé
Pôle Haïti-Antilles, Haïti Sciences et Société (HaSci-So)
Équipe des Partenaires Scientifiques pour la Communication de la Recherche (E-PSi-Core)
djeanjude82@gmail.com
Noclès Débréus
Le National
Pôle Haïti-Antilles, Haïti Sciences et Société (HaSci-So)
Équipe des Partenaires Scientifiques pour la Communication de la Recherche (E-PSi-Core)
debreus.nocles@gmail.com
