Le cauchemar de Martissant

Certains peuvent avoir les moyens de se payer un billet d’avion pour éviter le territoire dit perdu de Martissant. Mais quelqu’un qui n’a pas effectué la traversée du Portail Léogâne à Fontamara n’a vraiment pas une idée de ce que l’absence de gouvernance, la folie du pouvoir et le mépris social peuvent produire. Si Martissant est vu comme un territoire perdu, la zone qui commence à partir de Fontamara semble tout aussi abandonnée. Au niveau de ladite Marine haïtienne pour aller jusqu’à Gressier, la Nationale numéro 2 est dans un état de dévastation qui devrait faire honte à un État en l’an de grâce 2023. La chaussée en plusieurs endroits n’existe pas. Les détritus sont partout. Une pluie de quelques minutes et pire de quelques heures comme l’averse qui s’est abattue sur la région dans la soirée du 16 au 17 mai a rendu presque la route impraticable. Il fallait partout manœuvrer dans la boue et les ordures en priant Dieu qu’on ne s’abîme pas dans un fossé caché sous les eaux.

 

Pour effectuer la traversée, car c’en est bien une, la population y est bien obligée, car on habite Fontamara, Bizoton, Thor, Mahotière etc. et son gagne-pain est souvent à Port-au-Prince. Ce tronçon de route relie plusieurs départements. Il faut donc avoir recours aux services d’un transport public de fortune, délabré souvent, qui fonctionne on ne sait par quelle volonté, celle de Dieu, du Diable ou des lwa. L’atmosphère dans l’un de ces grands autobus jaunes, le moyen le plus prisé pour effectuer le trajet, est toujours houleuse. Les passagers, la plupart avec un sac à dos, doivent se trouver une place sur des sièges en mauvais état, pendant que des vendeurs dans la cohue  tentent d’imposer leurs produits. Ceux qui encaissent aux portières à l’avant et à l’arrière ne plaisantent pas. Quand l’autobus démarre, sa carcasse jacasse son agonie prochaine. Avant d’aborder Martissan, le véhicule est comme une embarcation traversant l’étang nauséabond tapissé d’ordures qu’est devenu le Boulevard Jean Jacques Dessalines. Un spectacle que n’imaginent certainement pas nos pseudo dirigeants dans leur confort et leurs privilèges nullement mérités.

 

L’autobus s’arrête au poste de péage des bandits de Village de Dieu avant de continuer. La route au niveau de Martissan n’existe plus. C’est une sorte de piste couverte de remblais, de boue et d’ordures. Des deux côtés de la rue, on peut constater l’abandon, la dévastation des lieux, pire que ce que pourrait causer un tremblement de terre ou un bombardement. On n'arrive pas à croire que la sortie d’une capitale à moins de dix kilomètres des centres de pouvoir peut être dans un tel état. C’est une gifle à tous les rêves de la nation. La preuve irréfutable du naufrage et de l’ignominie de tous ceux qui ont eu à diriger ce pays durant ces dernières années et ceci toutes tendances confondues.

 

Pourtant, dans l’autobus, les passagers ne semblent pas avoir conscience de l’enfer qu’ils traversent. Peut-être à trop souvent côtoyer la violence, la saleté, la folie, la malfaisance, on parvient à fermer les yeux dessus. Une sorte de défense de l’âme. Pour une gouvernance saine de notre pays, la population devra exiger à ses dirigeants qu’ils prennent régulièrement un transport en commun dans différentes directions, pour ne pas être détachés de la réalité, pour toucher du doigt les privations, les souffrances d’un peuple. Il y a à réinventer une autre démocratie, à penser une autre gouvernance si nous arrivons à sortir de ce chaos. Surtout pour barrer la route à tous ceux qui pensent encore pouvoir garder ce système en place afin de venir encore jouir des malheurs de nos sœurs et frères.

 

Gary Victor

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