Les stériles unanimités

Dans les sociétés arriérées où souvent une majorité est sous le joug d’une caste, l’unanimisme toujours avec son pendant religieux est de mise. C’est le cas chez nous. La population réduite à l’état de meute doit penser de la même manière, même s’il est de bonne guerre de donner à la masse l’occasion de luttes fratricides pour qu’on puisse s’entretuer allégrement pendant qu’en haut lieu on assiste autour de quelques bouteilles de whisky à ces querelles qui ne font que creuser notre trou.

L’union fait la force, clame notre légende, mais notre tendance à l’unanimité, le refus du débat et des idées contraires n’a jamais mené nulle part. Dans de nombreuses élections chez nous, le gagnant a eu des longueurs d’avance sur son plus proche concurrent et, chose curieuse, les fraudeurs, de manière névrotique, ne veulent même pas laisser croire à  une lutte serrée. Ils veulent toujours clamer une victoire à 99% des voix. On se souvient des référendums sous la dictature. Dans 1984 de Georges Orwels, on faisait comprendre que le pouvoir ne pouvait tolérer la plus infime contradiction. Tout doit s’aligner sur le discours de Big Brother. Le passé, le présent et l’avenir ne sont que des fictions imposées, des constructions gravées dans le cerveau de chaque citoyen.

Autant on est unanimiste chez nous quand il s’agit de nos mythes - si quelqu’un déclare par exemple que la métamorphose est une simple superstition il se fera ridiculiser - autant il sera difficile de s’unir pour des projets ayant une importance certaine pour la communauté. Nos citoyens des départements du Sud, du Sud-est, de Nippes, de la Grande Anse et de l’Ouest n’ont jamais fait un front commun pour exiger au gouvernement de mettre fin à l’action des gangs à Martissant. Nos citoyens de la diaspora qui avaient marché par dizaines de milliers contre la stigmatisation des Haïtiens au début de la pandémie du Sida n’arrivent plus à se mettre ensemble pour forcer nos dits dirigeants à prendre leurs responsabilités afin de résoudre ce problème d'insécurité qui fait tant de mal à l’économie de notre pays.

Nous vivons de paradoxes. Autant qu’on doive penser et agir de la même manière, autant la méfiance est installée entre les citoyens dans le corps social. Depi nan Ginen nèg rayi nèg, clame ce dicton glauque. L’amitié n’est pas célébrée chez nous. Zanmi se kouto de bò ! Pa fè zanmi konfyans ! On cultive la cassure entre les hommes et les femmes comme sur les plantations pendant la colonie. Le mépris reste la règle. Dans un même quartier, il y a le haut et le bas. Dans un ghetto traversé par ce qui restait des rails d’un chemin de  fer, il y avait sa k ret an wo ray lan e sa  ki ret an ba ray la. Et on s’entretuait allègrement !

Il faudra qu’on découvre à nouveau une missive du Blanc avec des directives visant à notre élimination pour que massacreurs et collabos tournent casaque, et que nous puissions par la force des choses nous unir. Encore qu’après l’avoir chassé une autre fois, on risque de tomber dans les mêmes hallucinants travers.

 

Gary Victor

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