Les porcheries dorées

À vivre dans une porcherie, on s’y habitue. La boue, la crasse, l’ignorance, reconditionnent toutes capacités cognitives et finalement votre cerveau. Dans la porcherie, on peut prendre son pied à forniquer et à ripailler. Une traversée de la route du Canapé-Vert vers lesdits beaux quartiers est une belle étude pour un sociologue qui voudrait commencer à comprendre le fonctionnement mental des utilisateurs de cette voie.  Presque un sentier dégradé que les politiques oublient, préférant s’enfoncer dans leurs jeeps aux vitres fumées, refusant les embouteillages au grand mépris du code de la route et de la sécurité des citoyens – les chefs ont tous les droits- à grand renfort d’avertisseurs à crever les tympans. 

 

Après avoir pris de la hauteur sur cette route en très mauvais état, on franchit un marché public qui cache difficilement ce qu’il est. Marchands de nourritures, de légumes, de fruits, des deux côtés de la voie publique. On peut remarquer aussi des marchands de vêtements usagers,  de souliers, des réparateurs de pneus, des vendeurs de borlette. Une grande barque à ordures du SMCRS déborde et des chiens faméliques rôdent autour. Une libraire de fortune entre quatre semblants de murs en blocs qui montrent trois livrets sur une ficelle tendue. Boulangeries, Blanchisseries…. Des petits étalages de bidons d’huile de moteurs… Marchands de minutes téléphoniques et de confiseries. On travaille le fer sur les trottoirs et les piétons ont bien du mal à avancer entre les multiples commerces et les citoyens qui attendent un tap-tap. Studios de beauté, écoles, dépôts  de matériaux de construction, maisons de transferts, école, bar dansant aguichant à la nuit tombée leur  clientèle avec des jeunes filles en tenue agressive.  Affiches publicitaires hors temps. Le clou ce sont les averses qui déversent des tonnes des gravats sur la chaussée. Il est difficile pour l’élite dans sa porcherie ici d’accepter des territoires perdus. Il y a une grande école américaine dans la zone, des hôtels, de beaux quartiers vers Juvena. Le ministère des Travaux publics se dépêche toujours d’envoyer ses tracteurs pour déblayer la route à défaut de pouvoir dégager les versants que les pauvres ont colonisés.

 

En effet, il suffit de  lever les yeux en passant pour s’apercevoir du spectacle pitoyable des masures en blocs sur la montagne. Une montagne ravagée par le dénuement des humains, mais surtout par l’absence de l’État. Le décor a la couleur à la fois blanchâtre et rougeâtre de la terre des entrailles de cette terre. Ces bidonvilles ont le grandiose du chaos. Le vertige du rien. Une fausse couche de l’ignorance. Un pied de nez aux discours nuls des politiques et aux références névrotiques à un passé d’où nos héros doivent regarder nos gesticulations avec écœurement et dédain.

 

Le morne l’Hôpital a sa ceinture de constructions lépreuses qui part des hauteurs de Pétion-Ville et qui aboutit presque jusqu’aux sources défuntes de la tout aussi défunte Rivière froide. Il y a eu plein de projets pour les habitants de ces quartiers,  dont l’un consistait à peindre ces maisons pour faire de ces agrégats de constructions des reproductions des œuvres de Prefete Duffaut. Même là , notre délirante logique n’a pas pu suivre son cours pour aboutir peut-être à un étrange serpent arc- en –ciel couché au-dessus de Port-au-Prince, une sorte de frontière artistique séparant  la pauvreté étalée du bas au mitant de la montagne de la richesse étalée au sommet.

 

C’est ainsi que l’agglomération urbaine de Port-au-Prince grandit telle un cancer incontrôlable aux quatre points cardinaux. Les jeeps à immatriculation gouvernementale sillonnent à toute allure les rues sans que leurs occupants ne se soucient de rien. Une ville qui piège déjà des millions de gens. Un enfer qui a dépassé le stade du devenir et qui est tout simplement une apocalypse urbaine avec l’insécurité  rampant dans les venelles de la cité. Il suffit d’entendre les coups de feu chaque soir dans certains quartiers sans que la police ou le gouvernement s’en préoccupe. Les armes, on les a distribuées. Les coupables, les fraudeurs, les assassins sont dans leur décor. Comme les poissons dans l’eau. Mais il n’y a  que des malades mentaux qui peuvent penser être à l’abri dans des  porcheries dorées.

 

Gary Victor

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