La qualification d’Haïti a provoqué de grandes émotions, tant dans le pays qu’à l’étranger. Dans la diaspora certes, mais aussi dans la presse internationale. Partout — dans les bars, les cours de récréation, les quelques lieux publics non encore affectés par l’insécurité — le sujet de la qualification d’Haïti est inépuisable.
Le football est, dans notre pays, le sport « national ». Mais son importance affective ne s’accorde guère avec la quasi-inexistence des investissements publics et privés dans un sport pourtant adulé par la majorité des Haïtiens. L’unique stade national est aujourd’hui capturé par des groupes armés, qui ont érigé autour de lui un immense champ de ruines s’étendant des faubourgs du Champ-de-Mars au Portail Léogâne.
Mais derrière la qualification d’Haïti, il faut témoigner de l’existence d’un esprit conquérant plus fort que les forces obscures qui abîment le pays. Quand les terrains sont pris en otage et que les jeunes ne peuvent s’adonner à leur sport favori, la diaspora prend le relais. À ce propos, comme le disait Alain Jean-Pierre, qui a longtemps milité pour que le pays se dote d’une législation sportive encore inexistante : « Il est venu le temps d’une prise de conscience nationale pour que cessent les exercices en futilités, les détestations stériles ». Les divisions noirs/mulâtres, diaspora versus habitants de l’intérieur.
Haïti a besoin de réparation et d’une nouvelle fraternité, inspirée par l’esprit des combats à mener contre l’insécurité et la misère. Aujourd’hui, la violence des gangs fait un tort immense au pays. Nos élites doivent prendre conscience que l’âme haïtienne elle-même se perd dans le claquement des fusils des massacreurs et dans les titres « ensanglantés » que relaie la presse mondiale.
Il ne nous reste que les prix remportés par nos écrivaines et écrivains, le succès de nos chocolatiers, l’éternité de notre art et… la qualification pour la Coupe du monde, fruit des efforts de nos fils de la diaspora. Que ces petites lucioles, nées de notre génie, de notre courage et de notre diaspora, éclairent notre sortie du tunnel. Qu’elles deviennent les premières lueurs d’un renouveau national. Qu’elles nous rappellent que, malgré les déchirures, Haïti porte encore en elle une force de création, une capacité de résistance et une dignité qui n’attendent qu’une chose : que nous les rassemblions pour reconstruire, pas à pas, la maison commune.
Roody Edmé
