Insécurité : l’ANMH interpelle les autorités

L’Association nationale des médias haïtiens (ANMH) a présenté pour une seconde fois son émission spéciale contre l’insécurité autour du thème : « Leta kote w, sitwayen reveye w » réalisée dans les locaux de la radio télé Pacific et du journal Le National. Des journalistes, membres des médias de l’association, ont dénoncé la passivité des autorités de l’État face aux divers actes de violence des gangs contre la population. Ils appellent les acteurs à trouver une piste de solution pour rétablir l’ordre et la paix dans la société.

Le PDG de la radio Ibo, Hérold Jean François, président de l’ANMH condamne le mutisme inquiétant du Premier ministre Ariel Henry sur la dégradation du climat sécuritaire du pays, notamment sur la guerre des gangs dans La Plaine du Cul-de-sac. « Le chef du gouvernement est plutôt préoccupé par l’actualité internationale. Il a convoqué les journalistes pour aborder d’autres dossiers sans piper mots sur le calvaire des résidents de La Plaine du Cul-de-sac où des familles ont dû fuir leurs domiciles, environ une dizaine d’enfants ont été tués sans oublier le dernier bilan qui s’allonge à une liste de plus de 70 morts », a-t-il lancé.

Selon les membres de l’ANMH, le Premier ministre traite le dossier de l’insécurité en extra-terrestre. « Les autorités de l’État ont failli à leur mission, il faut les contraindre d’assumer leurs responsabilités. » Herold Jean François s’est aussi félicité de la marche des habitants, qui ont foulé le macadam vendredi dernier, pour dénoncer les agissements des malfrats et exprimer leur attachement à leurs lieux de résidence.

Il a apprécié le comportement  de cette septuagénaire qui s’est exprimée au micro de plusieurs journalistes lors d’une marche organisée le 6 mai 2022 dans le nord de la capitale pour faire pression sur les autorités. Celle-ci a soutenu qu’elle veut continuer à vivre dans son quartier et ne plus céder sa zone sous la commande des groupes armés. Plusieurs journalistes, dont Marie Raphaëlle Pierre, de radio Ibo, Wendell Théodore, de radio télé Métropole et Robertson Alphonse, de Magic 9 et du Nouvelliste, ont notamment pris part à cette émission. Ils appellent la population à ne pas lâcher prise dans le cadre de la lutte contre l’insécurité.

La violence des gangs met en péril le système éducatif

Marie Raphaëlle Pierre, journaliste de la radio Ibo, a dressé le tableau sombre des différentes zones du pays placées sous la coupe réglée des bandits. « Depuis juin 2021, Martissant est devenu une zone de non-droits. Suite à la guerre des gangs, les riverains des quartiers ont fui et se sont installés dans des villes de province, sur des places publiques, au parc sportif de Carrefour et dans d’autres zones avoisinantes. Parallèlement, selon un rapport du Fond des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), au niveau de la plaine du Cul-de-sac, durant la période de la guerre entre Chen Mechan et les 400 Mawozo, 10 enfants ont été tués dont six en une journée.  À travers tout le pays, plus d’un demi-million d’enfants sont privés de l’accès à l’éducation et près de 1700 écoles sont fermées dans l’aire métropolitaine », a - t-elle martelé. 

Pour sa part, le psychologue Pascal Néry Jean-Charles de l’Association haïtienne des psychologues (AHPSY) a indiqué que l’insécurité a des impacts immédiats sur le mental des enfants et leurs activités scolaires. « À court terme, le rendement scolaire de certains enfants a parfaitement diminué. Ils ont des problèmes de concentration, ils sont traumatisés », a-t-il soumis. Par conséquent,  à cause des journées de classe perdues, la formation de ces élèves sera considérablement bâclée et dans le long terme, ils seront des professionnels mal formés, a - t-il souligné. 

Par contre, le psychologue Pascal Nery Jean Charles estime qu’il est urgent de prendre en compte le cas des enfants, surtout ceux qui s’enfuient pour échapper à la fureur des gangs. « Ils ont notamment besoin, au même titre que les enseignants, d’une assistance psychologique par rapport à cette situation anxiogène venue de Martissant, de la Croix-des-Bouquets et d’ailleurs.

La psychologue Vanessa Merceron Gardère, également membre de l’Association haïtienne des psychologues, a abondé  dans le même sens que son prédécesseur déclarant que les victimes de l’insécurité ont été grandement affectées par leur enlèvement .  “L’esprit, mais aussi le corps”, fait l’objet de chocs post-traumatiques » a souligné Mme Gardère qui conseille aux gens de consulter un psychologue en vue de pouvoir surmonter leurs souffrances, le 2919-9000 est le numéro qu’elle a proposé en cas de besoin d’assistance psychologique. 

 

Les activités économiques bousculées

Parmi les secteurs affectés par la recrudescence de l’insécurité dans le pays, le commerce formel, la construction et le tourisme sont entre autres des secteurs d’activités économiques sont entravés par la fureur des gangs. 

La présidente de l’Association touristique du Sud, Linda Chalviré Delain, s’insurge contre la crise sécuritaire qui bloque depuis près d’une année l’entrée sud de la capitale. « Après le cyclone Mathieu en 2016, la guerre des gangs à Martissant qui a coupé le grand Sud de Port-au-Prince, le séisme du 14 août 2021 a compliqué davantage le sort des habitants. La cherté de la vie ne cesse de perturber les familles, les prix du transport terrestre et aérien ont augmenté. L’insécurité a mis à genoux tous les potentiels du grand Sud », a-t-elle justifié. 

Du même coup, le responsable de l’entreprise Euro Ceram, Manuel Desquiron, a aussi dénoncé la détérioration de l’environnement sécuritaire du pays. « Des camions de l’entreprise sont exposés au risque d’être détournés par les bandits, nos employés, venus des zones fragiles, se trouvent dans l’impossibilité de donner de bonnes performances au travail », a déploré l’homme d’affaires. En conséquence, il appelle les autorités à agir dans un bref délai afin de rétablir la sécurité à Port-au-Prince et ses périphéries. 

 

Parallèlement, Pierre Wilfrid Sanon, président, directeur général de l’entreprise de construction PISACO explique que son entreprise est exposée aux conséquences néfastes de la situation sécuritaire du pays.  « On se trouve dans l’incapacité de réaliser quelques contrats dans certaines villes de province du pays. Pas assez de fonds pour rembourser nos prêts bancaires et nous sommes obligés de licencier certains de nos employés », à assuré l’ingénieur. Une situation également dépeint par le chef de l’entreprise Matpar, Philippe Mathon. 

 

Piste de résolution 

Outre les actes de banditisme que subit la population, particulièrement les victimes des cas de kidnapping,  les étudiants qui ont fui leurs zones pour sauver de la violence des gangs soit à Martissant ou à la Croix des Bouquets. Les participants à l’émission ont tous levé la voix pour exiger à l’État de prendre en main sa responsabilité.  

Néanmoins, le spécialiste en sécurité James Boyard, qui a participé à la deuxième série de cette émission spéciale de l’ANMH sur l’insécurité, a conseillé aux autorités de prendre des mesures exceptionnelles pour combattre le phénomène de l’insécurité. « Pour trouver une solution à la crise actuelle, s’il faut violer certains droits fondamentaux, il faut le faire. Les gangs nous démontrent clairement qu’ils sont en guerre contre eux-mêmes et contre la population. Le gouvernement doit sortir de l’ordinaire et mobiliser une force spéciale de sécurité pour contrecarrer les malfrats », a déclaré M. Boyard. 

 

Ainsi croit-il qu’il est important de déclarer un état de siège dans le pays et appliquer la méthode des 3 C de la sécurité : le confinement, la confrontation et la consolidation. Par ces mesures, les forces de l’ordre doivent priver les gangs de leur approvisionnement en toutes sortes de munitions, les affronter 24/24 et consolider la vie sociale des gens en vue de leur garantir leurs droits à la vie et des privilèges sociaux.

En fait, l’ANMH rappelle que l’objectif de cette deuxième série d’émission « Leta kote w, sitwayen reveye w », a pour objectif de mobiliser les acteurs des différentes couches sociales du pays pour un éveil de la conscience citoyenne sur la dégradation sécuritaire du pays. Le journaliste Roberson Alphonse de la radio Magic 9 et du journal le Nouvelliste indique que d’autres émissions peuvent suivre dépendamment de l’évolution de la situation sécuritaire du pays.

Oberde Charles

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