Crise haïtiano-dominicaine : l'UEH formule des recommandations

La problématique des conflits haïtiano-dominicains, le cas de la Rivière Massacre, tel est le titre d'un document avec la contribution des professeurs James Boyard, Christian Toussaint et Francel Saint Hillhen, publié par l'Université d'État d'Haïti, autour de la crise engendrée par la construction du canal à Ouanaminthe par les Haïtiens / la crise haïtiano-dominicaine.

L'histoire des relations haïtiano-dominicaines est parsemée de moments de tension voire de friction, et cela pour différentes raisons. En plus des questions migratoires et commerciales, la gestion et le partage des ressources hydriques s'invitent souvent dans l'agenda des négociations bilatérales, au point que la Commission mixte bilatérale a jugé nécessaire la création d'une table sectorielle hydrique réunissant les techniciens des deux États.

En effet, la crise actuelle sur la rivière Massacre, dommageable pour l'économie des deux pays, offre l'occasion de poser dans un cadre global et systémique la problématique des conflits entre ces deux États tantôt ennemis, tantôt alliés. «Ce qui se passe actuellement à l'occasion de la construction d'une prise sur la berge ouest de la rivière Massacre est révélateur d'autres crises latentes qui pourront surgir ou rebondir à n'importe quel moment, toujours avec de graves conséquences économiques et diplomatiques importantes. D'ailleurs, la rivière Massacre n'est pas le principal cours d'eau partagé entre les deux pays.»

Selon l'UEH, Haïti aura tout à gagner à promouvoir une nouvelle politique commerciale visant à diminuer sa dépendance vis-à-vis des produits dominicains et à garantir son autosuffisance alimentaire. L'agriculture haïtienne demeure, après les services, la deuxième plus grosse contribution au PIB, soit 20 à 25%, et emploie la moitié de la population active du pays, a souligné l'Université d'État d'Haïti.

Elle dit croire qu'une politique de relèvement et de modernisation de toute la chaîne (agriculture, élevage et pêche) aurait, outre le fait d'assurer la sécurité alimentaire, le mérite de réduire substantiellement le chômage massif en Haïti grâce à la création d'industries de transformation ou d'agrobusiness, de favoriser le retour de l'équilibre de la balance commerciale avec tous ses effets induits sur la performance de la gourde par rapport au dollar et le contrôle de l'inflation.

Pour défendre ses intérêts et obtenir des Dominicains un changement de comportement, le Gouvernement haïtien pourrait recourir à cinq stratégies diplomatiques, dont la Diplomatie publique, le recours à l'advocacy international ciblé, le recours aux organisations internationales, les négociations directes et les procédures institutionnalisées de règlement de différends, lit-on dans le document de l'UEH.

Le recours à la Diplomatie publique, dans le souci de sensibiliser davantage l'opinion publique internationale face au comportement agressif et négateur du droit international de la République dominicaine, les autorités haïtiennes devraient inciter les médias locaux et internationaux, les universités haïtiennes et étrangères, les ONG, les intellectuels publics, à donner échos à la nature inamicale du gouvernement dominicain de fermer unilatéralement les frontières avec Haïti, du déploiement massif de soldats dominicains sur les frontières, des représailles massives contre les ressortissants haïtiens et des tentatives de déviation des eaux de la Rivière Massacre, points de vue du gouvernement haïtien.

Le recours à l'advocacy international ciblé : il s'agit pour les autorités haïtiennes de mettre à contribution les agents diplomatiques haïtiens et les plateformes d'organisations de la diaspora haïtienne autour d'éléments de langage commun établis par le Ministère haïtien des Affaires Étrangères, de manière que ces derniers s'engagent dans une communication d'influence auprès de certains gouvernements étrangers.

 

Renégocier les accords de 1929 et de 1936

Le fait que ces accords aient été conclus avant le système international Post-1945, ils ne sont pas articulés autour des grands principes juridiques qui gouvernent les relations internationales contemporaines, tels le principe du respect de l'intégrité territoriale, le principe du non-recours à la force armée dans les relations internationales, le principe du respect de l'égalité souveraine entre les nations, le principe de règlement pacifique des différends internationaux.

Toutefois, la décision du gouvernement haïtien d'accepter de s'engager dans des négociations directes avec les autorités dominicaines doit viser non seulement le conflit autour de la Rivière Massacre, mais aussi toutes les questions qui n'ont cessé de constituer des points de friction entre les deux pays, notamment la question des violations du territoire haïtien par des soldats, drones, aéronefs ou navires dominicains, la question de violations des droits des ressortissants haïtiens en République dominicaine, la question du protectionnisme dominicain vis-à-vis des produits haïtiens. Sur cette base, le gouvernement haïtien doit privilégier la technique de négociation du Paquet pour obtenir des Dominicains un accord global sur l'ensemble de ces questions, plutôt que d'accepter de limiter les négociations essentiellement à l'affaire du Canal sur la Rivière Massacre.

«Avec les contestations de plus en plus fortes de plusieurs secteurs dominicains, notamment des commerçants contre la décision du Président Luis Abinader de fermer ses frontières avec Haïti, le gouvernement dominicain se retrouve dans une situation politique délicate vis-à-vis de son propre électorat. Aussi, même si le Président dominicain se déciderait à revenir sur cette décision, Haïti devrait garder ses frontières fermées pour forcer la République dominicaine à négocier un accord global.»

 

 

Vladimir Predvil

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