Ethnologie

Une belle louve-garou, ça existe aussi et elle peut même être belle !

Ma mère est originaire de Léogane, tout comme ma marraine, chez qui j’ai passé une bonne partie de mon jeune âge et de mes vacances scolaires.

Ma marraine me dorlotait avec une tendresse sans pareille. J’étais toujours avec elle dans le coin cuisine, composé de trois pierres posées pour le feu, alimenté par du bois ou par diverses pailles, notamment celles de la canne à sucre.

Tous les matins, elle préparait du bon café noir, ce qui attirait chez elle des paysans voisins qui venaient, comme à l’habitude, partager une tasse.

Mais parmi eux, il y en avait un qui était un beau-parleur, que j’aimais particulièrement écouter. Quand il ne venait pas, je me sentais vraiment triste, même si cette affection restait à distance, car à cette époque les enfants n’avaient pas le droit de rester auprès des grandes personnes.

Secret pour détecter un loup-garou

Un beau matin, le voisin déclara à ma grand-mère qu’il savait comment détecter si quelqu’un est un loup-garou.

Dès que j’entendis ces propos, je fus impatient d’écouter la suite, car cela me rappelait aussitôt mes propres expériences et mes rencontres avec un loup-garou à Port-au-Prince, au Bel-Air. Je n’avais pas d’endroit fixe pour me tenir, je faisais un va-et-vient, intéressé, mais sans me faire remarquer.

Je perdais un peu espoir, car j’avais l’impression que ma marraine ne s’y intéressait pas vraiment. Alors que moi, je n’attendais que ça pour satisfaire ma curiosité ! En effet, il y avait une amie de ma mère, une belle dame sur qui les gens de la zone entretenaient des rumeurs de Loup-garou ! » De ce fait, je voulais obtenir les recettes pour voir si les gens avaient raison ou non.

Le silence se brisa. Je fus soulagé quand, soudainement, le paysan dit que je vais te dire comment s’y prendre. À ce moment-là, je faisais semblant de me déplacer complètement, tout en me cachant derrière un arbre.

Je l’entendis dire que le soir venu, tu t’assois bien concentré devant une table, à la maison, la lampe allumée. Et tu dis trois fois : — Monsieur ou Madame X, les rumeurs circulent que vous seriez un loup-garou. Si vous l’êtes vraiment, faites-le-moi savoir.

Test mystique sur Lala

Il était environ huit heures du matin, et j’étais déjà impatient de voir tomber la nuit pour interroger la lampe et découvrir si l’amie de ma mère, une jolie dame qui fréquentait un chauffeur-guide de Port-au-Prince, était vraiment un loup-garou. Ils sont aujourd’hui décédés, mais je préfère taire leurs vrais noms et n’utiliser que des sobriquets.

Toute la journée, je n’avais qu’une seule obsession : attendre la nuit pour poser, à la lampe, les trois questions rituelles à Lala, l’amie de ma mère, comme l’avait enseigné le voisin de ma marraine.

À peine la nuit tombée, je m’installai devant la table, face à la lampe bien allumée. Ce soir-là, moi qui adorais — comme tous les enfants de l’époque — l’histoire de “Tezin nan dlo”, j’ai dû y renoncer lorsque ma marraine est venue me chercher pour écouter le conte. Je lui ai menti en disant que j’avais mal au ventre et que je ne pouvais pas me joindre au groupe.

Dès qu’elle fut sortie, je m’avançai plus près de la lampe et je répétai alors à trois reprises : « Lala, yo di ou se loup-garou. Si w se loup-garou vre, fè m wè. » (« Lala, les rumeurs circulent que vous êtes un loup-garou. Si vous l’êtes vraiment, faites-le-moi voir. »)

Après avoir accompli ma petite prouesse, je suis sorti rejoindre ma marraine qui animait l’histoire de “Tezin nan dlo” avec d’autres enfants. Elle me demanda si j’avais retrouvé ma santé. Je lui répondis, comme un petit innocent : « Oui, marraine ! »

Pour tout dire, il y avait des mots-clés à prononcer. Je les ai oubliés parce que cela fait de nombreuses années, mais je me rappelle l’essentiel de l’événement.

Lala se venge

Quand je suis allé au lit ce soir-là, j’en ai pris pour mon compte : j’ai passé une première nuit blanche. Chaque fois que je fermais les yeux, je voyais Lala venir me frapper sans rien dire.

Le lendemain, je ne dis rien ni à ma mère ni à ma marraine. Je souffrais en silence. Pendant trois ou quatre jours, je n’arrivais pas à dormir, car chaque fois que je fermais les yeux, je voyais Lala, debout face à moi, me regardant dans les yeux.

Durant la journée, j’arrivais à dormir un peu, mais pas la nuit. Fatigué de cette histoire, je décidai alors de tout révéler à ma marraine. Je ne savais pas comment expliquer mes tribulations, surtout à ma mère, car je risquais d’être passé à tabac sur-le-champ.

Mais ma marraine n’accorda pas d’importance à ma plainte, car mes explications restaient confuses : je ne voulais pas tout avouer.

Le lendemain, c’en fut trop. Je fondis en larmes et perdis le contrôle, disant à ma marraine que je « jouais avec Lala ». Elle ne comprit pas tout de suite, mais comme je sanglotais à chaudes larmes, elle se mit à m’interroger. Plus je pleurais, plus elle insistait, et, inquiète, elle me caressa pour tenter de comprendre.

Je finis par lâcher que Lala se montrait méchante envers moi et que j’avais peur qu’elle me tue. Ce simple aveu mit ma marraine sur la piste du loup-garou. Pourtant, malgré ma frayeur, je gardais encore pour moi le fond de l’histoire.

Le temps pressait, car je n’avais pas fermé l’œil depuis cinq jours. Comme si c’en était trop, le sixième jour, je me confiai enfin à elle avec beaucoup d’angoisse : je me mis à pleurer et je dis que je « jouais avec Lala » et que je ne comprenais pas pourquoi elle m’empêchait de dormir.

C’est à ce moment-là que ma marraine eut le sentiment et l’impression que la conversation qu’elle avait eue avec le voisin, au sujet de savoir si quelqu’un était un loup-garou, n’était peut-être pas sans lien avec ce que je vivais.

Elle cria : « au secours ! ». Quelques voisins vinrent l’aider, mais elle n’osa expliquer de quoi il retourne. Finalement, les gens repartirent sans comprendre la raison de son appel. À ce moment-là, elle voulut me tabasser si je n’avouais pas ce que j’avais fait.

Je finis par lui expliquer que j’avais entendu comment savoir si Lala était un loup-garou. Elle répliqua que son visiteur et lui n’avaient pas cité le nom de Lala.Elle ne comprenais pas ce que Lala vient voir ici. Je lui ai dit la vérité. Je lui confiai que j’ai utilisé la « recette » dictée par le monsieur.

Effondrée, ma grand-mère fit aussitôt appel à ce dernier pour savoir ce qui pouvait être fait. Quand il arriva, elle lui raconta l’histoire. Il tomba des nues, mais se félicita quand même de voir le résultat concret de son secret mystique. Fier, il avoua n’avoir aucune solution pour me redonner le sommeil. La seule chose à faire, selon lui, était de m’accompagner pour demander pardon, pardon et encore pardon à Lala. Sinon, ce serait grave.

La punition de ma mère

Ma mère n’était pas à la maison : je crois qu’elle avait accompagné mon petit frère à l’hôpital. À son retour, avant de lui annoncer la nouvelle, ma marraine lui servit un peu d’eau ou du thé — je ne me rappelle plus exactement lequel.

La première réaction de ma mère fut : « Jodi a, map bat ou nan gou chen, nan gou bon Dye ! »

(« Aujourd’hui, je vais te tabasser avec la rage d’un chien ou celle de Dieu ! »)

Sous les conseils de ma marraine et du dépositaire de la recette d’identification des loups-garous, ma mère me prit par la main pour aller demander pardon à Lala. La maison de cette dame se trouvait à environ 300 ou 400 mètres, mais j’avais peur d’y aller. Je suivais ma mère à une certaine distance, et quand elle se retourna, voyant mon geste de refus, elle commença à me frapper sans pitié.

À quelques mètres de la cour de Lala, qui nous vit venir, celle-ci rentra vite chez elle et ferma la porte. Ma mère me lança alors : « W wè nan ki tenten ou mete m ! Ou mèt tounen al lakay. Kite m tann Lala. » (« Tu vois dans quelle bêtise tu m’as entraînée ? Tu peux rentrer à la maison, laisse-moi attendre Lala ! »)

J’étais soulagé de ne pas avoir à voir Lala face à face. Je pris mes jambes à mon cou et filai droit à la maison.

Pour une fois, ma mère me paraissait inquiète.

De retour, je commençai à évoquer avec ma marraine le comportement de Lala, quand ma mère dépêcha une personne auprès d’elle pour qu’elle prépare le matériel de ma punition : une râpe, trois pierres que je devrais tenir une dans chaque main et une sur sa tête, sous le soleil brûlant.

Quand elle revint, elle ne dit rien de l’objet de sa conversation avec le loup-garou. Mais elle me punit de la manière mentionnée. Après vingt à trente minutes, ma marraine ne put plus résister : elle vint me retirer de sous le soleil de plomb, les larmes aux yeux, sans même demander l’autorisation de ma mère.

Emmanuel Charles

Avocat et sociologue

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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