Rentrée des classes en Haïti: Et si chaque école organisait une exposition thématique pour raconter son histoire… ?

Depuis plusieurs années, en particulier dans les premiers jours de l'année 1986, la réalité sociopolitique en Haïti, est pratiquement partagée entre les crises, les catastrophes, et un complot contre le savoir et l'intelligence collective. En dehors de ces trois facteurs néfastes et  chroniques, l'instabilité  impose une culture de rêve brisé et d’espoir bafoué, de progrès en revers, des illusions et des mirages comme perspectives d'avenir. A chaque rentrée scolaire dans le pays comme pour le nouvel an, la majorité des familles rêvent d'une nouvelle ère, de changement et de progrès. Plus que jamais, chaque rentrée des classes se confirme à la fois comme un défi et un acte de foi.

Dans ce pays où l'école se bat chaque jour pour rester debout, il est urgent de redonner du sens à ce moment symbolique. Et si, au lieu d'une rentrée purement administrative ou académique, partagée entre la résistance de cette institution sociale et la résilience des familles autour du savoir, chaque école devenait un espace d'exposition vivante ? 

Défendre la mémoire institutionnelle est un droit sacré. Une exposition simple, thématique,  permettrait ainsi d’informer les élèves sur l’histoire de leur établissement, tout en survolant l'histoire des familles, l'histoire de chaque ville, et l'histoire des relations d'Haïti avec le savoir et la science. Cette initiative offrirait également la possibilité d'inspirer la jeunesse autour de leur avenir, tout en les impliquant activement dans la vie de leur école et de leur communauté respective. Plus que jamais, les écoles en Haïti ne doivent pas se détacher de la vie quotidienne et de la dynamique sociale de leur ville d’accueil et d’attache. 

Dans le chaos que connaît la capitale haïtienne et plusieurs autres villes et régions du pays : Combien d'écoles qui se sont délocalisées ? Combien d'autres établissements, qui ont dû fermer définitivement leurs portes ? Comment inviter les élèves à occuper des anciens anciens espaces survivants ou de nouveaux locaux reconvertis, sans prendre le temps de leur montrer l'intérêt manifeste de certaines forces vives dans la société, déterminées  à investir dans l'éducation ? Comment le faire savoir sans prendre en compte la place de l'histoire et de l'éducation et la mémoire des institutions dans ce secteur en particulier ?  

Dans ce plaidoyer que je tente de renouveler une fois de plus à chaque rentrée des classes,  pour l’organisation d’une exposition dans chaque école, j'invite encore une fois  les responsables concernés à investir dans ce simple geste, parti de quelques impressions et des affiches à accrocher sur les murs de l'établissement, destinées à  apprendre aux écoliers, à  leurs parents et d’autres visiteurs, que cette institution à une belle et digne histoire à raconter, et des fragments de la mémoire collective des familles, des parents, des professions, des autres institutions à partager. 

De l'importance de rappeler les noms des fondateurs de l'institution, les différentes générations de professionnels et des personnalités de référence (anciens élèves, professeurs, intervenants, parents, officiels), qui ont servi et fréquenté ce lieu ont aussi leur place. Les dates et les faits marquants en particulier sur l'évolution, la transformation et la délégation des bâtiments dans beaucoup de cas désormais, sont parmi les informations et les anecdotes à ressusciter à la rentrée. 

D'une pierre à plusieurs coups, cette démarche qui vise à valoriser la mémoire de l’institution propose ainsi les trois piliers fondamentaux, à la fois simples et puissants qui pourraient grandement servir à informer,  inspirer et impliquer l’ensemble des membres de l’institution et de la communauté.

Pourquoi une exposition pour informer les élèves sur l’histoire et la mémoire de leur école ?

Dans chaque salle de classe, sur la cour de récréation, dans les couloirs, les toilettes et d’autres espaces communs, il y a les ombres de plusieurs générations qui se croisent en permanence. Comment demander à un élève d’aimer son école, de protéger le mobilier et le patrimoine si sa connaissance de l’institution se limite qu'aux programmes, professeurs, camarades, et tous les éléments factuels et présents ?   Parce qu’on ne peut pas aimer ce qu’on ne connaît pas. Les élèves ont besoin de comprendre l’histoire de leur école, les réalités du pays, et les enjeux de l’éducation pour se sentir concernés. C'est par l'enseignement de l'histoire de l'institution qu'il sera possible de construire des repères et des symboles. 

Devant une modeste exposition partagée entre quelques pages imprimées, des images d’archives retrouvées, et des noms des plus célèbres figures, parmi anciens élèves et employés, et d’autres personnalités, il sera possible de valoriser la mémoire locale entre des photos, témoignages, et des dates marquantes. La rentrée des classes offre une belle occasion pour transmettre des savoirs oubliés, des savoirs ignorés, des savoirs éclatés, et non partagés.

Dans le contexte actuel, les responsables de chaque établissement ont pour obligation de présenter le sens et l'importance de leur investissement dans ce secteur.  Rappeler les sacrifices et les luttes engagés pour maintenir l'école ouverte et la rendre utile à la communauté, sont des messages obligatoires pour sensibiliser les élèves sur la place de l'éducation dans l'avenir de notre société.  

Pourquoi organiser une exposition dans chaque école pour inspirer les élèves ?

Dans le contexte mondial actuel, l'école ne détient plus le monopole du savoir au sein de la communauté en dehors des bibliothèques largement dépassées ou déphasées. Autant rappeler que si les savoirs spécifiques à ces modestes établissements académiques, qui, dans la majorité des cas ne disposent pas d’un site internet ou des comptes dans les médias sociaux, ne sont pas partagés et diffusés au début de la rentrée des classes, l’histoire de ces écoles en Haïti risque de se voir enterrer par l'actualité quotidienne et l’absence de programmation consistante sur l'éducation dans les médias traditionnels du pays. Notons que ces derniers n'attendent dans la plupart des cas que l'annonce de la prochaine grève, d'un éventuel  scandale, ou la confirmation de la prochaine victime ou d'un drame dans le secteur pour faire écho.

De l’importance d’inspirer les écoliers sur l’histoire de l’endroit au sein duquel ils vont passer une partie importante de leur vie durant les dix prochains mois. Parce que dans un contexte souvent difficile, l’école doit rester un espace d’espoir. Les élèves ont besoin de se projeter, de rêver, de croire en un avenir meilleur.

Donner la parole aux élèves est l'une des opportunités offertes dans les échanges et les débats qui accompagnent une exposition. Comment souhaiterais-tu qu'on associe à l'avenir ton nom avec l'histoire de ton ancien établissement scolaire ?  Que veux-tu devenir ? , À quoi ressemble l’école de tes rêves ? 

Dans une exposition, plusieurs outils, supports, approches et techniques sont disponibles. Chaque école ou responsable est libre d'utiliser  l’art, l’écriture, le théâtre, le dessin comme outils d’expression pour raconter son histoire. Il est possible d'inventer des jeux pour attirer l'attention du public sur l'importance de chaque image ou information partagée sur l'histoire de l'école.  Montrer des modèles positifs (enseignants inspirants, anciens élèves qui ont réussi), tels sont parmi les objectifs ou les finalités que l’organisation d’une exposition organisée dans chaque école du pays pourrait offrir.

Pourquoi impliquer les élèves dans l'écriture de l’histoire de leur établissement ?

Devant les contraintes politiques, économiques et financières, sociales et structurelles, en dehors des questions académiques, pédagogiques et administratives, qui ne permettent pas à la majorité des responsables d'établissements scolaires (privés et publics) de trouver du temps et des ressources pour renforcer, developper et moderniser la qualité des offres et services scolaires offerts au pays, l’organisation d’une exposition paraît certes comme une activité de trop, inutile ou un défi, et pourtant.  Si seulement, ces responsables pourraient comprendre qu'une exposition représente avant tout un levier de communication et d'information. Dans tous les sens, et à un faible coup,  elle sera capable de renforcer la reconnaissance et la visibilité, la promotion et la publicité gratuite autour de l’institution pendant toute l'année.

Dans l'impossibilité pour l’école de tout faire seule. Il faut mobiliser la communauté éducative élargie : parents, enseignants, anciens élèves, autorités locales…dans une telle démarche. Chaque exposition dans chaque école,  permettra ainsi  d’encourager une participation active : chacun peut apporter un objet, une photo, un témoignage. Chaque exposition permettra aussi de créer un événement fédérateur autour de l’école, en dehors de la date officielle de sa fondation. Cette exposition enfin permettra parallèlement de développer un sentiment d’appartenance et de responsabilité collective. Quand une école implique, elle rassemble. Et quand elle rassemble, elle transforme.

Découvrir une exposition thématique à chaque rentrée de classe est une action pédagogique forte, accessible à toutes les écoles, même avec peu de moyens. Défendre la mémoire de l'école et celle de la ville par extension, offrira l'occasion unique et inoubliable de rappeler à tous : qu'informer, c’est éveiller les consciences. Inspirer, c’est allumer des rêves. Impliquer, c’est bâtir une école vivante, portée par tous.

Dans l’activation de ces trois leviers dès le premier jour de classe, on transformera ainsi  la rentrée en un moment fondateur, où chaque élève comprend qu’il fait partie d’une histoire, d’un projet, et d’un avenir à construire. 

 

Dominique Domerçant

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