La valorisation de la formation professionnelle au cœur du fonctionnement de l'école professionnelle des Gonaïves (EPG)

Le National s'est entretenu avec Ezéchiel Jean Baptiste, avocat au barreau des Gonaïves, éducateur, diplômé supérieur en droit des affaires et actuellement directeur de l'École professionnelle des Gonaïves.

 

Le National : Vous êtes, depuis 5 ans, directeur de l'EPG. Présentez-nous, en peu de mots, l'École professionnelle des Gonaïves.


Ezéchiel Jean Baptiste : L'École professionnelle des Gonaïves fut fondée en 1926 sous l'occupation américaine dans l'objectif de permettre aux jeunes d'avoir un métier et être actif sur le marché du travail. Cependant, depuis sa fondation jusqu'en 2016, cette école n'a jamais réussi à remplir sa mission convenablement. Pour ne pas dire qu'elle était quasi inexistante. Quand je suis arrivé à la tête de l'institution avec une nouvelle équipe, nous avons fait un diagnostic pour comprendre pourquoi l'école n'est pas fréquentée. C'est alors nous avions découvrir qu'il y a avait une énorme confusion entre la formation professionnelle traditionnelle et la formation professionnelle moderne. Les gens se sont mis en tête qu'après la philosophie, on ne doit pas apprendre un métier professionnel. Pourtant, dans la conception moderne, tous les jeunes devraient avoir un métier avant d'entamer une étude universitaire. En ce sens, nous avions travaillé sur deux axes. D'une part, un projet d'établissement qui relatait un ensemble de constats qui ont empêchaient aux jeunes d'apprendre un métier.  D'autre part, élaborer un plan d'action. Organiser des séances de porte-à-porte et médiatiques où nous avions expliqué aux gens ce que c'est la formation professionnelle et son importance. C'est en fait une sorte d'orientation et de valorisation des métiers professionnels. Bien entendu, après quelques années cette école a bien grandi. Quand je suis arrivé, il y avait 98 étudiants et en moins d'un an, nous sommes passés au 1500 étudiants. Aujourd'hui, nous sommes en 2021, et l'EPG est devenue l'une des écoles publiques les plus demandées et qui fonctionnent mieux sur tout le territoire national. Nous sommes passés de 6 à 13 options reconnues et très demandées par la communauté. Nous avions revalorisé les anciennes options. Puisque nous avions estimé que c'étaient des métiers en disparition. Maintenant nous avons une école qui fonctionne très bien avec une forte demande. Je peux dire que l'EPG est devenue l'une des meilleures écoles publiques du pays. Comme preuve, nous venons d'organiser le 24 septembre dernier, une cérémonie de graduation pour 1200 jeunes en présence certaines personnalités de la ville et du pays. Notamment le maire de la commune. Ça a été une occasion d'envoyer un signal aux partenaires et au marché d'emploi de la disponibilité de ces professionnels.


LN : Comment fonctionne l'EPG?


EJB : L'EPG est une institution publique de formation professionnelle. C'est l'État qui paie les professeurs et fournit  les matériels. Cependant, certaines options que nous avions intégrées dans l'école sont pris en charge grâce aux frais payés par les étudiants. Malheureusement, cela fait des années que l'État n'arrive pas à nous soutenir normalement à cause de ses faibles moyens. Tout ce qui se fait à l'EPG est totalement public. Car l'école n'est ni subventionnée, ni privée.


LN : Aux Gonaïves, beaucoup de jeunes vous considèrent comme un visionnaire. Comment comprendre cette reconnaissance?


EJB : Quand on parle de l'EPG qui est devenue l'une des plus grandes institutions publiques de formation professionnelle, je ne parle pas seulement de moi, comme directeur, des étudiants et des formateurs. Nous parlons de préférence de partenaires qui nous encouragent à travailler. Parmi lesquels, le professeur Didier Pierre. Nous utilisons ici la règle des trois P. (Partenariat-Public-Privé). Chacun des nos partenaires nous soutien d'une façon ou d'une autre. Par exemple, professeur Didier nous soutient dans la mise en place la formation en ligne. Nous avons aussi d'autres partenaires dans l'international. Je crois que les gens regardent les progrès de l'EPG. Avant ils n'avaient pas l'habitude de parler de l'EPG. Aujourd'hui, les services sont disponibles. S'ils nous félicitent, je trouve cela tout à fait normal par rapport aux efforts de l'équipe. Et nous voulons leur rappeler qu'ils sont eux aussi des acteurs. Car quand parle de l'EPG, on voit les étudiants, les formateurs, le staff administratif et la communauté gonaïvienne ou haïtienne en général. 


LN : Vous traînez derrière vous une longue expérience. En cela vous aide dans vos nouvelles fonctions ?


EJB : Premièrement, il y avait un appel d'offres et je croyais avoir les compétences recherchées. Du fait que j'ai étudié les sciences de l'éducation, l'informatique et je travaille comme professeur depuis 2003  au niveau secondaire. Il est vrai que je ne travaillais pas encore dans la formation professionnelle. Mais les acquis nécessaires pour être directeur d'une école professionnelle c'est à peu près la même pour un directeur de lycée. Car un directeur est un gestionnaire quelque part. Et j'ose croire c'est à partir de mes études et les expériences que j'ai fait que j'arrive à faire de cette école, l'une des meilleures. J'aime ce que je fais et je me suis toujours considéré comme une victime. Parce que, bien souvent, nous faisons partie de la masse silencieuse, nous sommes des victimes. C'est pourquoi nous devons faire bouger les lignes quand nous avons l'occasion. C'est exactement ce que je fais. Je considère en fait que la satisfaction de la population comme mon salaire et c'est l'une des raisons qui me poussent à aimer davantage ce que je fais. À mesure que les jeunes viennent apprendre, je considère que j'accomplis ma mission. Premièrement je suis dans un domaine que je connais, deuxièmement j'aime ce que je fais et enfin je me considère comme une victime qui se donne justice.



LN : Quels sont les objectifs à long terme pour l'EPG?


EJB : Tout d'abord, c'est arrivé qu’une école soit apte à desservir toute la population haïtienne. Pas seulement octroyer des diplômes aux jeunes, mais permettre qu'ils puissent utiliser les connaissances qu'ils ont acquises pour préparer leur avenir et changer le pays. Car, nous avons la conviction que la formation professionnelle est l'un des piliers qui peuvent aider le pays à s'en sortir. Si chaque jeune a un métier, leur avenir est assuré. Il y aura une baisse du phénomène de l'insécurité, du kidnapping, du viol et vol. Parce que ces phénomènes sont la conséquence de la négligence de l'éducation et même la formation professionnelle au plus haut niveau de l'état. De notre côté, nous travaillerons à diminuer ces phénomènes en permettant beaucoup plus de jeunes de faire leur entrée sur le marché d'emploi, créer des entreprises et faire en sorte que les jeunes aient en tête que la formation professionnelle est un levier qui peut les aider à être indépendants.

Pour atteindre ces objectifs, nous avons besoin de bons témoignages, l'EPG a quatre-vingt-quatorze (94) ans. Si les anciens étudiants n'ont pas de bons souvenirs, j'estime que notre travail n'a pas été au niveau.  Nous n'essayons pas de donner à tout prix des diplômes. Mais de plutôt veiller à ce qu'ils vont faire une fois sur le marché. Car, c'est à partir du nombre de jeunes qui réussissent que nous pouvons dire que la formation est bonne. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous nous accentuons sur la valorisation de la formation professionnelle, la valorisation de la « valeur ». C'est à dire, les jeunes qui ont des métiers ne doivent pas être relégués au second plan au profit des ignorants à cause de la politique. C'est pourquoi nous encourageons les jeunes qui sont dans la politique et de la société civile à prendre les chemins de l'école. Lorsque nous utilisons les acquis des jeunes, il y aura un vraiment engouement des jeunes pour l'apprentissage. C'est sur cet angle que nous cheminons vers l'objectif. Orienter les jeunes en même temps, valoriser la formation professionnelle, assurer un suivi après les études.


LN : Quelles sont les options disponibles ?


EPG : Technique Windows, informatique bureautique, hôtellerie (cuisine, bar resto et hébergement), cuisine ménagère, mécanique auto, construction bâtiment, réfrigération et climatisation, électricité domestique et industrielle, plomberie, carrelage, coupe confection. Nous avons aussi des formations de courte durée comme dépannage d'ordinateur et des modules d'entrepreneuriat suivant la demande de la population. Nous avons environ 13 options à travers lesquelles nous dispensons de la formation de courte durée, par exemple l'énergie renouvelable, des formations relatives à la protection de l'environnement, genre, etc. Nous avons aussi une cellule d'orientation professionnelle et de placement qui est composée de huit conseillers qui accompagnent les jeunes dans la création des activités génératrices de revenus. À travers ces activités, l'EPG ouvre des espaces pour aider certains jeunes à avoir une stabilité économique. Par exemple, nous avons des services de garage. Ces garages ont été mis en place pour permettre aux jeunes d'avoir de l'argent afin de créer leur propre garage. Nous avons un service traiteur à travers notre atelier d'hôtellerie. En plus nous avons des partenaires un peu partout dans le pays qui facilite l'intégration sur le marché de nos jeunes. L'EPG est une école basée sur une formation entrepreneuriale, l'employabilité qui apprend aux jeunes comment créer de la richesse.


LN : Nous sommes à l'ère des nouvelles technologies.  Comment l'EPG opère-t-elle la transition vers l'utilisation des outils technologiques dans ses filières ?



EJB : De 1926, la date de la création de l'école à 2016, l'EPG n'était pas encore ouvert aux nouvelles technologies. Aujourd'hui, si on parle de la formation professionnelle il ne doit pas y avoir de barrière. La formation doit être, à la limite, universelle. Notre fonctionnement se base sur une pédagogie appelée approche par compétence (APC). À partir de cette pédagogie, nous sommes rentrés d'emblée dans les nouvelles technologies de l'information grâce au support de M. Didier Pierre. À travers la formation professionnelle, nous voulons implanter la technologie. Car un métier qui n'intègre pas la technologie est un métier en disparition. C'est pourquoi nous prenons des séances de formation en ligne. Nous utilisons beaucoup les outils numériques. L’EPG est présente sur tous les réseaux sociaux et possède son site web: 
www.epgonaives.com. Nous travaillons afin de lancer notre première plateforme de formation en ligne d'ici la fin de cette année. Ainsi, quand il y a des crises politiques, les jeunes peuvent continuer à étudier chez eux. À l'EPG nous commençons à maîtriser ce système. Par exemple, nos étudiants ont accès à l'internet et nous avons la maîtrise de l'énergie. Nous ne voulons pas confondre la formation et la technologie. Cependant, il n'y a pas de formation sans les nouvelles technologies de l'information et de communication.


Le National : avez-vous un dernier mot?

Ezéchiel Jean Baptiste : La première chose, consentie à l'EPG pour arriver là où nous sommes, a été une gestion rationnelle. Nous fonctionnons dans la transparence. Aujourd'hui, à travers ces méthodes qu'on a utilisées dans l'administration de l'école, nous arrivons à obtenir de bons résultats. C'est pourquoi nous pensons que nous pouvons réaliser de grandes choses si nous avons la volonté. En moins de cinq ans, les demandes ont augmenté à peu près de 1000 % avec très peu de moyens. Tout le monde sait que l'État n'a pas de moyens. Je suis honoré de contribuer à ce travail. Nous allons continuer à accompagner les jeunes afin que la formation professionnelle devienne un levier pour le développement du pays.


Propos recueillis par :

 Lesly SUCCÈS

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