Périlleuse vie de couple à distance, entre le Canada et Haïti

L’une de mes amies, Ayeesha, d’origine haïtienne, vit à Toronto depuis plus de 20 ans. Elle séjourne régulièrement en Haïti pour visiter ses oncles, tantes, cousins et cousines, tout en renouant avec la culture de son patrimoine familial.

En 2017, Ayeesha a rencontré Martin – son âme-sœur – lors de ses visites familiales dans le département du Sud-Est, à deux heures et demie de route en montagne depuis Port-au-Prince. Le mariage du couple fut célébré dans l’allégresse en août 2018.

La demande de parrainage fut déposée et reçue à l’IRCC (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada) en décembre 2018. Toutes les étapes du processus ont été complétées avec succès depuis décembre 2019.

Pourtant Ayeesha attend toujours son mari, depuis plus de trois ans…

 

Canada-Haïti : s’aimer à distance

«On se parle tous les jours… plusieurs fois par jour. En presque cinq ans qu’on est ensemble, je peux compter sur mes doigts d’une seule main le nombre de fois qu’on n’a pas pu se parler. Nos conversations n’ont pas de limites… quelquefois 3 ou 4 heures… On se fait des vidéos, des appels WhatsApp, des photos de belles fleurs….»

«Martin monte au sommet de la montagne pour me parler ou depuis le bord de mer… Il me joue de la guitare et me chante des chansons qu’il a composées pour moi.»

«On s’écrit des poèmes, on se joue des mélodies au piano. Toutes ces activités que nous adorons faire lorsqu’on se voit, on le fait à distance… C’est comme si nous étions ensemble…»

«On a fait plusieurs voyages pour se voir puisque le Canada traîne encore… En République dominicaine. À Montrouis (le long de la superbe côte haïtienne). Aux alentours de la belle Jacmel, la montagne noire, et bien d’autres sites.»

«On s’envoie des cadeaux par l’intermédiaire d’amis qui voyagent… Cela fait déjà un an encore que l’on ne s’est vus… Mais nous sommes bénis d’un amour extraordinaire, nous prions ensemble chaque soir avant de dormir… Nous sommes très reconnaissants de notre union», témoigne Ayeesha.

 

Histoire d’amour

Selon Martin, «Ayeesha a fait beaucoup de sacrifices, car elle est la seule qui puisse se déplacer vers moi. Notre histoire est une grande histoire d’amour.»

«Le temps passe tellement vite, parce qu’il n’existe aucun conflit entre nous. Nous sommes toujours prêts à échanger à propos de sujets qui nous intéressent tous deux. Toujours animés par de longues discussions, la passion, la raison. On s’aime, on se fait l’amour toujours.»

«On n’a pas de casse-tête, car on s’aime profondément. On gère très bien notre relation à distance», me partage Martin par voie de courriel.

 

Routes périlleuses en Haïti

Ayeesha est retournée en Haïti au courant de ce mois d’octobre, au péril de sa vie, pour se retrouver dans les bras de son amour.

Alors que nombre d’Haïtiens et Haïtiennes sont continuellement victimes de kidnappings perpétrés par les gangs de rue réclamant des sommes de rançon inimaginables.

Depuis l’aéroport de Port-au-Prince, Ayeesha a voyagé par la route, en compagnie d’un ami, pour se rendre au département du Sud-Est. Un chemin en pleines montagnes où chaque tournant présente le risque réel d’être assaillie, volée, violée, par les bandits de la route.

Arrivée après sept heures de route, Ayeesha me raconte via WhatsApp qu’ils se sont fait accoster par les gangs de rue cachés derrière les barricades installées à l’entrée de leur destination.

Ils ont miraculeusement atteint leur but sains et saufs où Martin les attendait dans l’obscurité complète de la nuit.

«Il n’y pas de gaz, une pénurie d’essence, d’eau potable, des pannes d’électricité », m’écrit mon amie. « Les conditions de vie sont très difficiles pour la population locale.»

 

Attente abusive

Ce petit article-témoignage illustre l’expérience de vie d’un couple en attente interminable d’une réponse de l’IRCC coincé dans un imbroglio administratif créé par un amoncellement de multiples dossiers en retard de traitement.

La pandémie. Les répercussions de l’instabilité politique en Haïti sur les relations diplomatiques entre nos deux pays. L’attention de l’IRCC portée ailleurs (Afghanistan, Syrie). L’influence américaine sur la politique étrangère du Canada…

Quoi qu’il en soit, une attente de plus de trois ans nous paraît abusive pour réunir un couple marié dont le dossier de parrainage est en ordre depuis bientôt deux ans.

Seule la Vie sait quand mon amie Ayeesha et Martin pourront rentrer à Toronto.

 

(Ayeesha et Martin sont des prénoms d’emprunt afin de préserver l’anonymat du couple.)

 

Annik Chalifour

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