Quarante ans après la visite du Pape en Haïti...

Plus qu'avant, il y a urgence d'agir pour qu'à travers un compromis politique pouvant déboucher sur une démocratie participative de développement durable, qu'il ait un véritable changement pour les masses défavorisées des villes urbaines et de la paysannerie. .

Il y a de cela quarante ans, lorsque, après avoir visité des pays de l’Amérique centrale, dont le Belize, Costa Rica, Panama, Honduras, Salavador, Guatemala et le Nicaragua, le Pape Jean Paul II était en Haïti, spécialement le 9 mars 1983. Lors de cette visite, le Chef de l’Église catholique avait prononcé une phrase qui avait toute son importance contre le régime dictatorial que dirigeait le président Jean Claude Duvalier.  

«Il faut que quelque chose change dans ce pays», disait Pape Jean Paul II. Quarante ans après, cette phrase a encore toute son importance et même beaucoup plus que lorsque le leader de l’Église catholique l’avait prononcé le 9 mars 1983.  

Aujourd'hui, l’heure n’est pas à des dilatoires politiques, des dénonciations, des sanctions, des rencontres pour juste des rencontres ni des accords pour désaccorder, mais bien à un changement réel et radical. Puisque le peuple haïtien en a assez.   S'il en a assez, donc il faut que quelque chose change dans ce pays. 

De cette phrase il faut que quelque chose change dans ce pays, le Saint-Père, dans son message, sous-entendait que les masses des classes défavorisées recommencent à espérer d’un lendemain meilleur. 

Quarante ans de cela, le Saint Pontif réclamait un changement dans le panorama sociopolitique en Haïti. Mais depuis ce discours du 9 mars 1983, qu'est-ce qui a vraiment changé? 

Certes, avec le départ de Jean Claude Duvalier le 7 février, il y eut les conquêtes de 1986, des élections pour élire des députés, sénateurs et présidents de la république, des coups d’États militaires, des occupations du pays par des forces multinationales. Mais si aujourd’hui le Saint-Père avait à faire une visite dans le pays, ne referait-il pas le même discours ou plus? 

Car lors de ce fameux discours du leader de l’Église catholique, on persécutait les opposants politiques. Duvalier et ses acolytes exploitaient toutes les richesses du pays sans pour autant faire le grand dépassement, comme aurait pu le faire tout grand leader progressiste et moderne de l’époque, pour entamer de grands projets de développement. Mais dans l’ensemble le pays était stable, au moins politiquement

Le temps n’effacera pas les mauvaises expériences faites avec un dictateur anti-progressiste. Ce serait méchant et même de cracher sur tous ceux-là qui étaient victimes des dictateurs Duvalier, si toutefois je voulais parler positivement de ce régime criminel et corrompu. 

J’ai grandi sous les Duvalier, particulièrement Jean Claude. J’ai été témoin des malversations des hommes de main de ce régime dictatorial. Mais, même si c’était avec les macoutes et les militaires, le pays avait un minimum de sécurité. Le pays avait de l’électricité dans certaines régions, particulièrement dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince.  Et l’équivalent du dollar américain était, contrairement à ce qu’il est aujourd’hui, 5 gourdes pour 1$, etc. Mais quarante après le discours du leader de l’église catholique, négativement, le bilan est lourd. Même trop lourd.  

 

Le pays n’est pas gouverné

Puisque, sous les yeux des autorités du pays, la situation socio politique se détériore.  Depuis bien des années, Haïti vit une situation de tension généralisée qui fait peur. Quand ce n’est pas à Croix-des-Bouquets, Pernier, au Centre ville, Grand Ravine,Ti Bwa, Village de Dieu, ce sont dans presque toutes les grandes villes, communes  et sections rurales du pays que les armes automatiques se sont fait entendre. 

N’en parlons pas de la tuerie organisée contre les pauvres gens de La Saline, de Cite Soleil, de Carrefour feuilles et du Bel-Air, etc.  Partout, les bandits imposent leurs propres lois par la force des armes.  Ils tuent les agents de la police nationale comme ils veulent.  Face à cette situation, on a l’impression que toutes les institutions sont impuissantes à ce qui se passe au pays.  

À l’échelle internationale, Haïti est considérée comme un État en faillite.  En un mot, le pays n’est pas gouverné. Question pour dire, à l'exception de deux chefs d'État qui, malheureusement,  n'avaient pas eu la chance de terminer leurs mandats de cinq ans, tous les gouvernements civilo-militaires qui se sont succédé de 1986 à aujourd’hui ont tous, piteusement, échoué.  

Ils le sont du fait qu’ils sont incapable de comprendre que le soulèvement qui avait conduit au départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986 était beaucoup plus profond qu’un simple changement de gouvernement dictatorial.  

Avant, pendant et après le 7 février 1986, dans leurs revendications, les masses défavorisées étaient dans les rues pour réclamer d’un leader moderne avec de grandes visions, un nouveau contrat social.  En un mot, le peuple se voulait d’un leader capable, à travers de l’idéal déssalinien, de comprendre leurs aspirations politiques, économiques et sociales.  Mais...  

 

Plus que cela change, plus que c’est la même chose

Plus que cela parait changer pour l’élite économique et politique, plus que les choses sont devenues plus difficiles pour les gens des masses défavorisées.  Si les pouvoirs politiques post Duvalier continueraient de faire l’affaire d’un petit groupe de privilégiés de l’État et des hommes d’affaires, quant aux masses défavorisées, elles n’ont, jusqu’à présent, vraiment rien bénéficié des actions dites démocratiques dans le pays.

Puisque rien n'a vraiment changé pour les couches défavorisées dans ce pays, si le Pape visitait Haïti aujourd'hui, il exhorterait les pouvoirs politiques, l’élite intellectuelle, économique aussi bien que leurs alliés de l’international « à réparer les injustices sociales» faites à ce peuple. 

‘’Car, si le devoir des responsables politiques est d'apporter des réponses aux besoins des citoyens à travers une société organisée, il est clair que ces besoins doivent être identifiés et articulés dans des programmes bien définis. Il est inadmissible qu'un Pays soit aussi souvent exposé au hasard sans que des ayants droit n'interviennent pour indiquer une orientation comme s'il n'y a pas de sortie possible’’.

Plus que cela change, plus que c’est la même chose, avait déclaré un jeune journaliste d’une station de radio privée de Port-au-Prince.  Cette déclaration n’est pas différente que celle de l’homme de la rue.  Tout ce qui se fait dans ce pays ‘’Se kòm si, se lavé men, epi siyé l a tè’’, avait déclaré un jeune homme au Champ de Mars.  On dirait que c’est un pays qui défie toutes les expertises, avait-il conclu.  

Comme plus que cela change avec les élections législatives et présidentielles des trente dernières années, plus les choses sont restées les mêmes pour les gens des classes défavorisées, donc, quarante ans après la venue du Pape au pays, le future d’Haïti est incertaine. 

À rappeler, quatre ans de cela, face à une situation socio-économique catastrophique, en 2019, lors d'une d'une intervention publique, l’Église catholique avait dénoncé l’amour de l’argent des dirigeants immoraux, incompétents et arrogants du pays «Notre regard de Pasteurs et de citoyens sur la réalité actuelle de notre pays nous a fait découvrir que la source principale du mal qui ronge notre pays, c’est l’amour excessif de l’argent »

« Nous déplorons une situation de corruption endémique. Nous avons lu avec attention et consternation les deux rapports d’audit publiés par la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif sur la gestion des projets financés par les fonds PETROCARIBE. Ceux-ci jettent une lumière crue et saisissante sur l’ampleur et la gravité déconcertantes du mal de la corruption dans ses divers mécanismes politiques et opérationnels. Notre pays traîne honteusement dans la corruption au plus haut niveau de la société. La corruption généralisée devient un mal endémique, une bourbe salissante, un fait dégradant, un vol organisé. Elle est devenue une véritable plaie sociale qui gangrène nos institutions, rend la politique malade, menace la démocratie et la paix sociale, et ainsi nuit gravement, tant d’un point de vue éthique qu’économique, au développement de notre pays », pouvait-on lire dans une prise de position des Évêques haïtiens en 2019. 

«Pour que les choses changent, il faut à tous les échelons des pouvoirs et de la fonction publique des femmes et des hommes nouveaux par leur mentalité, leur conscience professionnelle et leur compétence. Voilà pourquoi notre intervention se veut citoyenne en mettant les acteurs politiques devant leurs responsabilités. Nous les exhortons à réparer les injustices sociales, à se soumettre à la justice de leur pays si c’est le prix à payer pour reconstituer l’autorité morale de l’État et de ses dirigeants », avait conclu le message des Évêques catholiques. 

Quant à la Fédération protestante d’Haïti, sa position n’était pas différente de celle de l’Église catholique. Elle avait appelé à un changement du système politique pourri d’un État en mauvais état. «Ce système ne tient plus. Il doit-être changer», t-elle a été la position de la Fédération protestante. 

« Sistèm ki la a pa ka kenbe ankò. Li oblije chanje. Se pou sa FEDERASYION PWOTESTAN DAYITI mande tout moun mete enterè peyi a devan nan fasilite kreyasyon  yon nouvo  sistèm ki pou satisfè revandikasyon pèp la. Si kapitèn bato a pa konn wout la, si kapitèn bato a pa ka pase, se pou l gen konsyans li pa kapab. Se pou l renmèt  gouvènay la. Pèp aysien an pa kab soufri ankò», pouvait-on lire dans un message en créole de la Fédération protestante. 

 

Assez, on en a assez

Quand quatre ans plus tard, on arrive à une situation beaucoup plus chaotique que celle que décrivaient les Évêques catholiques, la Fédération protestante d’Haïti et autres forces vives de la société civile, donc, il faut, définitivement, qu'il y ait un changement. 

Oui, il faut que les choses changent, mais ce changement ne peut pas se faire avec des autorités corrompues et incompétentes qui, de connivence avec les bandits, terrorisent et tuent la population, surtout ceux des quartiers populaires. 

Oui, il faut que les choses changent, mais celle-ci ne se fera que lorsque le système ‘’peze souse klas politik ak elit entèlektyèl e ekonomik ki depi 1804 kenbe tout riches peyi an pou kont yo pa egziste anko’’.  

Enfin, pour que les choses changent dans ce pays, il faut qu’il y ait un tabula raza politique. Pour que les choses changent réellement en Haïti, il faut que le peuple investi les rues des villes de province et de la capitale, se révolte contre les corrompus et corrupteurs au pouvoir et, finalement changer le système mafieux  

 

Prof Esau Jean-Baptiste

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