Haïti, de la rébellion à l’appropriation du droit à l’autodéfense active et responsable : le mouvement de Canapé Vert du 24 avril 2023

Le 24 avril 2023, une nouvelle conjoncture est à l’œuvre en Haïti du fait par la population de Canapé Vert, à Port-au-Prince, de se réapproprier le droit à l’autodéfense active et responsable . Ce qui tend à se développer dans plusieurs points territoriaux du pays. Entre-temps,  le contexte prête à l’appel de la ministre de la Justice et de la Sécurité publique a.i , en date du 6 mars 2023, au droit à la légitime défense par rapport aux prescrits définis par le Code pénal haïtien.

La nouvelle conjoncture s’ouvre par suite d’une incursion  d’assaillants dans la 1è section communale de Turgeau, dans la nuit du 23 au 24 avril 2023.La pratique de justice expéditive est à l’ordre du jour en réaction des riverains de Canapé Vert à l’encontre d’une dizaine de personnes présumées bandits et suspectées de renforts auxquels assaillants . L’incursion intervient comme pratique courante d’une gangstérisation progressive du territoire haïtien.

Jamais les besoins en sécurité ne se sont autant exprimés par la population. Des répressions se sont associées à des « massacres d’État », selon les rapports d’organisations de Droits humains notamment dans plusieurs quartiers populaires potentiels , dans de villes de province voire dans quelques aires rurales de l’Artibonite (Petite-Rivière de l’Artibonite, Savien et Gros-Morne), à Croix-des-Bouquets et Tomazeau.”Trois-cent-quatre-vingt-neuf (389) enlèvements ont été recensés pour le premier trimestre de 2023, soit une augmentation d’un peu plus de 173% par rapport à celui de 2021 et de 72 % par rapport à celui de 2022 au cours desquels 142 et 225 enlèvements ont été respectivement relevés” (Rapport CARDH,4 avril 2023).

Cet état de fait serait issu de l’expérience politique du 17 octobre 2019 au 7 février 2021 dans l’émergence d’un État de type Bonapartiste. La mobilisation des forces militaires, policières et paramilitaires en est l’une des caractéristiques .Aussi le président du Sénat de la République d’Haïti a-t-il évoqué “l’association complice des pouvoirs publics dans l’appui aux gangs d’Etat “(Radio Vision 4 février 2021).

En effet, toute conjoncture tient lieu d’évènements majeurs dans un moment crucial de crise avec des rebondissements sporadiques . On se réfère à la notion de crise comme une occasion favorable ou non pour réaliser quelque chose à partir des conditions et des relations entre faits, phénomènes et situations sociales qui affectent un comportement, la pensée, l’attitude, les pratiques sociales aussi bien que l’espace social ou le contexte dans lequel on évolue(Gaillardo,1988). Il s’agit de mobilisations et de luttes liées surtout aux problèmes de reproduction sociale et de revendications pour des changements structurels. Ce dernier aspect renvoie aux demandes d’augmentation salariale en faveur des ouvriers de la sous-traitance. Au moment où nous rédigeons cet article, des ouvriers manifestent dans les rues de Port-au-Prince et réclament un salaire miminum de 2,500 gourdes par jour.

Pour établir des moments conjoncturels, tout part des émeutes des 6 et 7 juillet 2018 , par  suite d’une décision du gouvernement d’alors visant à augmenter le prix de l’essence à la pompe suivant des conditionnements d’un portefeuille du Fonds Monétaire International à mettre fin à la « subvention » du pétrole par l’État. Ce projet a été par la suite appliqué dans deux importantes augmentations de prix de l’essence en une année par le gouvernement issu de l’Accord du 11 septembre 2021.Ce, en dépit de la détérioration des conditions socio-économiques et d’une sévère insécurité alimentaire qui sévit dans le pays.  C’est la débâcle dans la vie nationale et une crise de services sans pareil.

Dès le 14 septembre 2022, de vifs troubles ont été enregistrés à travers tout le territoire du pays, greffés sur la mobilisation populaire du 22 aout 2022 contre la vie chère, la dévaluation de la monnaie nationale, la spéculation et l’insécurité. C’est le constat du côté des officiels et des organismes internationaux d’une crise humanitaire,  et   la sollicitation d’une force militaire spécialisée pour faire face à laquelle crise humanitaire en Haïti, par suite d’une résolution prise  en Conseil des ministres, en date du 7 octobre 2022. C’est une phase de forfait des instances publiques de la préservation de la souveraineté nationale face à  l’impuissance à pouvoir lutter contre la profilfération active des gangs armés et pour garantir la sécurité publique.

Pour revenir  à l’idée d’une nouvelle conjoncture survenue à partir des évènements du 24 avril 2023, nous évoquons les   relations ou les articulations entre les faits ainsi que leur coïncidence . L’insertion de l’action est aussi une étape qui requiert des connaissances et des sentiments, valeurs et comportements. La situation actuelle correspond à une corrélation de forces sociales dans un contexte de confrontation ou d’alliances de classes et de lutte de classes. Par rapport à la hausse du prix des produits pétroliers, nous avons assisté sans relâche l’interface des agents externes, les positions favorables du secteur privé et les tenants du pouvoir politique en place. Des mouvements de rue sont qualifiés par ces derniers de gangs associés à certains membres du secteur privé lésés par des récentes actions de redressement dans les douanes surtout dictées par des agents externes et par rapport aux pressions de la société civile.

Ce contexte a donné lieu à un réalignement des forces sociales dans des alliances.Entretemps nous assistons aux déplacements forcés des couches populaires et celles des classes moyennes ainsi que des fractions de la bourgeoisie.Ils sont tous à la remorque et enclins à s’émigrer en grand nombre. La décapitalisation de ces groupes devient une évidence.Ainsi survient l’Accord politique du 21 décembre 2022 qui rejoint le plein appui du secteur privé, des secteurs du GORE GROUP et des organisations internationales, de fractions  de l’opposition d’avant le 11 septembre 2021 de toutes tendances politiques.

La nouvelle conjoncture favorise la reprise active des luttes syndicales des ouvriers , des enseignants et des transporteurs. La presse joue de plus en plus un rôle proactif dans la dénonciation de conditions d’insécurité. L’opinion publique tend à fustiger les banques dans leur pratique spéculative de la vente des devises étrangères. Des remous et oppositions sont constatés dans l’appel à la formation du Conseil Electoral Provisoire par divers secteurs de la société civile. Entretemps la tendance du secteur bancaire est défensive face aux hostilités ouvertes des épargnants de dollars américains refusés du retrait dans leur monnaie de dépôt. Il y a aussi lieu de noter les sanctions internationales contre de politiciens, membres du secteur des affaires , parlementaires et personnalités qui financent et alimentent l’insécurité et la prolifération des gangs armés.

Ainsi survient la rébellion , puis, et l’appropriation du droit à l’autodéfense active et responsable depuis l’évènement de Canapé Vert. La reprise des luttes syndicales est aussi de la partie.Quelques intellectuels font une percée dans des analyses crues de l’État de violence en exercice et de l’instauration d’une économie criminelle en Haïti pour appréhender la présence de gangs.Toutefois la corrélation de forces sociales  prévaut quand s’agitent des forces réactionnaires, mafieuses et criminelles dans leur élan de retour au projet de prolifération de gangs, à la répression des manifestations des ouvriers, aux tentatives de retrait de forces policières à l’accompagnement de brigades populaires de sécurité.

 

Hancy PIERRE, citoyen engagé

 

Repères bibliographiques

-CARDH,”Rapports kidnapping”,  janvier, février et mars 2023, Bulletin #11, 4 avril 2023.

-Hancy Pierre, “l’expérience politique haïtienne  du 17 octobre 2019 au 7 février 2021 “, in Le Nouvelliste du 11 février 2021.

-Hancy Pierre,”Haïti: l’État prédateur sur la sellette , le cri de la rupture du peuple”, in Le Nouvelliste, 11 novembre 2019.

-Hancy Pierre, “le mouvement populaire : de l’endiguement à la révolte”,in Le Nouvelliste du 6 septembre 2022.

-Helio Gaillardo, Fundamentos de formacion politica.Analisis de conyuntura, Editorial DEI, Costa Rica, 1988.

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