Assassinat, oligarchie ou la politique de “color blind”.

À tous ceux qui se demandent honnêtement, à quand un changement de paradigme radical et qui ont hâte de nous voir sortir du marasme économique et social qui handicapent notre plein épanouissement comme nation, je réponds que cela dépendra de la volonté et du courage des masses populaires haïtiennes avec, souhaitons-le, un leadership conscient et éclairé. Mais, je dirai également que ce ne serait pas pour demain, car le fait de se battre, ne garantit pas la victoire à court terme, surtout si nous voulons compter avec la contribution de certains membres de nos élites intellectuelles prétendument progressistes.

L’assassinat de Jovenel Moise expose et met à nu les limites et l’hypocrisie de certains de nos politiciens et leaders d’opinion publique, de l’intelligentsia et des médias.

La réaction de certaines couches populaires à l’assassinat de Jovenel Moise, leur identification, à tort ou à raison, de secteurs de la société qui seraient les auteurs intellectuels à l’origine de la mort de Jovenel, sur la base de l’histoire du pays, des pratiques de ces secteurs, de la distribution de la richesse dans le pays et des préjugés de couleurs, auraient pu être une bonne occasion pour débattre de certaines questions qui rongent le pays et pour, peut-être, trouver des solutions consensuelles, même passagères.

Au contraire, certains de nos politiciens et des membres de nos élites intellectuelles ont décidé de tuer le débat, en niant qu’il y ait un quelconque problème de couleur en Haïti. Certaines fois, de manière arrogante et honteuse. Mais qui pis est, ils évacuent d’un revers de main, les revendications populaires et la certitude du peuple qu’il existe un problème social fondamental dans ce pays, un problème de classe et de couleur, qui doit être résolu. Ils préfèrent mettre le focus sur Martine Moïse, son éventuelle complicité dans l’assassinat du Président et sa possible candidature. Des réponses à des questions secondaires d’enquête qui ne vont pas résoudre les problèmes fondamentaux du pays, mais auxquels, le peuple réclame une réponse.

Il paraît que nos intellectuels veulent être les seuls à pouvoir, quand bon leur semble, cibler nos élites de manière générale et diffuse, à la recherche de privilèges ou de reconnaissance, puisqu'ils connaissent les limites qui ne doivent pas être franchies. Par contre, quand il s’agit des masses populaires, il y a toujours ce souci prévalent de faire attention à ne pas aller trop loin et à ne pas faire d’amalgames. Dans mon article sur l’assassinat de Jovenel Moïse, publié dans le national, j’ai précisé justement que le danger était de cibler des gens sur la base de leur origine sociale et la couleur de leur peau. Par contre, j’ai aussi proposé qu’il fallait trouver les coupables, les punir et les déposséder de leur bien, et noté qu’il y avait des problèmes de classe et de couleur à résoudre.

Dans l’impossibilité pour un État de procéder ainsi, de faire payer les coupables, en général, la seule alternative pour les masses est en fait, de cibler toute l’élite traditionnellement impliquée dans les coups d’État, les meurtres et qui en plus, tiennent en otage l’économie du pays. Il faut faire un choix entre un pays régulé et la menace de justice populaire. Mais, on ne peut pas vouloir éviter les deux en prétextant que le problème n’existe pas. Ce ne serait que trahison.

Pour bien comprendre la trahison de ces secteurs, parce qu’il s’agit bien de trahison, il vous faut imaginer un instant, qu’après l’assassinat de Georges Floyd aux USA, les Américains s'étaient concentrés seulement sur la condamnation du policier Chauvin en dehors du contexte social et racial dans lequel cet assassinat s’était produit. Imaginez que les intellectuels noirs et blancs américains aient alors fait appel à la population pour leur dire qu’il n’y avait pas de problème de classe et de couleur, pas de racisme aux États-Unis, que Lincoln avait libéré les esclaves, qu'il avait eu une maitresse noire; qu’ils étaient tous de beaux et vrais Américains! La réalité est que personne n’a cessé d’être Américain, en posant les vrais problèmes de l’Amérique.

Non, au contraire, le fait de poser le problème du racisme qui a causé la mort de Floyd, a assuré une condamnation qui correspondait, un tant soit peu, au crime perpétré. C’est par le fait d’exposer l’hypocrisie du système qu’on est arrivé à débattre de la pertinence de ces statues d’esclavagistes érigés en héros, aux USA et à travers l’Europe.

L’opinion publique au niveau des masses populaires américaines avait déjà rendu son verdict que le racisme structurel était responsable de la mort de Georges Floyd. Mais le plus important, c’était que cette mort allait contribuer à alimenter le débat autour de la question et peut-être, faire évoluer le discours sur le paradigme racial aux USA.

Il en est de même pour les masses haïtiennes qui ont déjà rendu leur verdict, un verdict plus que raisonnable et vraisemblable : seuls les oligarques ou les cartels, ont les ressources financières et moyens logistiques pour financer et organiser une telle opération, qui, par ailleurs, n'aurait sans doute pas vu le jour sans l’appui ou l’aval de leurs patrons étrangers, notamment, des USA, avec ou sans la complicité de l’épouse du défunt.

Une fois que cette hypothèse est considérée, à tort ou à raison, comme un acquis ou une piste, la question serait de savoir, si oui ou non, il existe dans notre pays un problème à résoudre. Un problème qui aurait, entre autres, contribué ou conduit à l’assassinat d’un président. Assassinat qui risque de rester sans conséquence. Un problème qui conduirait les masses à la suspicion que les élites auraient comploté pour tuer le président? Et même quand les masses se seraient trompées sur la nature du problème, ne serait-il pas judicieux d’analyser les raisons de ces suspicions, leurs fondements et de les dissiper, au lieu de traiter tous ceux et toutes celles qui percevraient l’existence d’un problème de couleur, comme étant des politiciens véreux, des énergumènes, des fauteurs de troubles et des ressuciteurs de vieux démons?

En réalité, les démons sont-ils vraiment vieux et morts? Ceux qui défilent dans les médias pour dire qu’il n’y a pas de problème de couleur en Haïti croient sans doute que nous sommes tous aveugles ? Alors même que le plus ivre des “analphabètes pas bêtes” de la population sait bien qu’on ne parle pas d’Haïtiens à peau noire quand on parle d'oligarques, mais est très conscient que ceux dont les porcs mangent les cadavres à Martissant, sont tous des descendants de bossales. Le plus ivre des “analphabetes pas bêtes” de la population reconnait également la complicité entre l’oligarchie et l’international. Est-il surprenant alors que le militant qui a accusé les forces de sécurité américaines, d’avoir tué Jovenel ait reçu un tel soutien des Haïtiens de la diaspora et de ceux d’Haïti ? Un appui exemplaire, aussi touchant qu’inspirant, preuve de courage et de solidarité. Seuls nos intellectuels ne savent pas qui sont nos oligarques ou la couleur de leur peau, puisque selon eux, il n’y a pas de problème de couleur en Haïti. Bien entendu, ils habillent leur cécité voulue avec les arguments trompe-l’oeil suivants: “le problème du pays ne se résout pas à cela”, sans citer qui avait affirmé le contraire- Ils vous raconteront: “Ce n’est pas l’unique problème du pays”; mais ça, tout le monde le sait. Il y a même des économistes qui inventent de nouvelles théories et approches pour dédouaner les élites économiques en réduisant leurs responsabilités à leur refus de considérer le paiement des taxes comme une charge plutôt qu'une obligation. Un économiste, sur les ondes de Télé Métropole, a même souligné que : “…la plus grande richesse est la propriété foncière et les noirs sont majoritairement propriétaires de bien fonciers, donc les mulâtres n'y sont pour rien.” Les noirs seraient donc responsables des maux du pays? Si l'on veut être cynique, on peut étendre cet argument: les noirs étaient ceux qui travaillaient la terre durant l’esclavage, donc les colons n’y étaient pour rien. Bien sûr, il ne l’aurait jamais exprimé ainsi, mais la conclusion est la même, les mulâtres (et Arabes) n’y sont pour rien! Ce sont autant d’arguments qui circulent et font surface, avancés par des nègres et mulâtres de maison, défendus par nos intellectuels pour venir à la rescousse des élites économiques traditionnelles. Ce sont les mêmes qui, pour se montrer intelligents, citaient et citeront plus tard, Fritz Jean: “Une économie violence” sans préciser qui exerce la violence. En temps d’accalmie , ils concéderont que “le pays est pris en otage…”, sans pour autant reconnaître par qui et oubliant bien opportunément la fin de la phrase! Un petit rappel pour eux: “le pays est pris en otage par un petit groupe d’oligarques”. Je leur laisse le soin de nommer les familles et leurs couleurs.

Il y a quand même encore des arguments plus graves que d’autres, regardons-les de plus près:

1- “Les noirs qui ont de l’argent n’ont pas fait mieux, ils s’achètent des maisons à l’étranger. Ils se font les complices des dilapidateurs de fonds.” Ce serait comme dire que Michael Jordan ou la mairesse noire de Ferguson ou même Barack Obama, seraient responsables du racisme institutionnel et structurel aux USA, au même titre que les blancs qui contrôlent le système et l’économie, parce qu’ils ont réussi, qu'ils se sont acheté une maison ou une limousine ou qu’ils sont millionnaires. Ou mieux encore, les commandeurs d’esclaves noirs étaient autant responsables de l'esclavage que les maitres blancs, car ils fouettaient les esclaves, leurs semblables. C’est le petit frère de l’argument cynique: les noirs ont vendu des noirs; argument ayant pour objectif de relativiser la responsabilité des blancs dans l’esclavage. Bien sûr, tout ce beau monde peut se révéler complice, certains ont choisi de survivre dans le système et ils doivent être jugés et si necessaire, punis pour dommages causés s’il y en a eu, mais soyons sérieux, ils ne sauraient être tenus responsables de la marche de ce système complexe, bien huilé qui se reproduit en privilégiant certains (majoritairement non noirs, comme par hasard!) et en excluant d'autres (majoritairement noirs, et responsables de leur sort?)

... L’argument lui-même est un argument raciste qui stigmatise tous les noirs qui se sont échappés, qui réussissent, parce qu’ils suivent l’exemple des élites économiques, sociales ou politiques, en ayant les mêmes pratiques et aspirations qu’elles. On le voit souvent aux USA, quand un noir réussit, il est responsable et coupable à la fois des actes et agissements de tous les autres noirs. Les actions d’un noir particulier pourraient mettre en doute la crédibilité et le mérite de la fortune de tous les autres. C’est comme dire, aucun noir n’a le droit de réussir, ils doivent être collectivement pauvres. Après l’assassinat crapuleux de Trevor Martin par un raciste, tous les noirs aisés se sont sentis sur la défensive et obligés de proposer une contribution financière pour l’éducation des jeunes dans les quartiers défavorisés. C’était comme dire que l’État américain n’est pas responsable du bien-être de la population afro-américaine. Si vous mourez du racisme ou de la pauvreté, c’est bien parce que vos sembables ne s’occupent pas de vous. N’est-ce pas là l'argument de nos intellectuels qui prennent quelques bouffons qui ont réussi dans le système et prétendent qu’ils sont les vrais responsables de la situation désastreuse du pays? En évitant soigneusement de parler de ceux qui détiennent le monopole de toute l’économie; des propriétaires des moyens de production, des banques, des bénéficiaires privilégiés de contrats juteux de l’État, de franchises, de prêts, de ceux qui sont les consuls honoraires et qui contrôlent les douanes, ports et aéroports au détriment de l’État. Bien sûr, il y a la complicité active de noirs politiciens et même de certains de nos intellectuels dans ce système sinon, ce serait l’apartheid visible, au su et au vu de tout le monde. Mais certains de nos intellectuels et politiciens progressistes tiennent un double discours (l’un contredisant l'autre) et deviennent myopes quand le système et l’establishment paraissent menacés. Ils veulent promouvoir le retour de la diaspora haïtienne au pays, mais il n’y a aucun Haïtien de la diaspora (ou des masses) qui soit ignorant de l'existence de la discrimination de couleur en Haïti.

Nos politiciens veulent réaliser le dialogue national tant souhaité. On peut présumer que tous les secteurs de la vie nationale y participeraient, y compris les mulâtres et les Arabes qui se considèreraient Haïtiens. La question de couleur n'y serait pas posée, puisqu'elle n'existe pas? Prenez donc votre “ti chèz ba" proverbial pour voir qui arrivera à faire croire à la population haïtienne que le problème de couleur en Haïti n'est qu'un mythe. Un fake news, dirait l'autre. Ça promet d’être amusant!

Au risque de me répéter, le problème est réel et patent! Plusieurs jeunes mulâtres et arabes qui ont vécu à l’extérieur comme à l’intérieur du pays, le savent et en parlent avec franchise et sans complexe en privé, même quand ils acceptent et jouissent des privilèges qui découlent de la couleur de leur peau. Il faut certainement compter avec certains d’entre eux, car ils ne sont responsables ni du passé ni de la couleur de leur peau : ils n'en sont que les héritiers; comme nous tous. Il importe de se demander ce que nous voulons faire de ce lourd héritage qui nous pèse et nous empêche d'avancer. Le nier? Ou l'affronter courageusement pour pouvoir l'exorciser ? Certains mulâtres savent au fond d’eux-mêmes qu’ils sont des noirs trafiqués, car mieux qu'une bonne partie de nos intellectuels et politiciens “color blind”, ils appréhendent le problème comme étant un problème collectif. Ils sont conscients qu’ils vivent dans le pays en communautés fermées, et qu'ils sont souvent, par la force des choses, des fois bien malgré eux, des agents du racisme et de la discrimination.

2- Le comble des arguments fallacieux: Dessalines lui-même avait fait des largesses envers les étrangers. Feindraient-ils d'oublier qu’il en avait éliminé un certain nombre? Oui, il a tué comme l’ont fait les États-Unis, la France et l’Angleterre, quand il s’agissait de protéger les intérêts de leurs nations respectives contre les ennemis externes et… internes. Et il ne s’agissait nullement, comme voudraient le faire croire les intellectuels apologistes, d’une question purement de couleur. Les Polonais, les Bretons et les Allemands qui ont contribué à la création d’Haïti peuvent en attester. Ils étaient de fait des Haitiens et se sont comportés comme tels. Et pour cause, l’article 14 de la Constitution impériale précise que toute personne ayant acquis la nationalité haïtienne est reconnue, quelle que soit sa couleur de peau, sur la dénomination de noir. C’était un privilège de reconnaissance que l’Empereur accordait aux étrangers qui s'étaient battus pour Haïti. Ce n’était pas un cadeau ni un privilège lié au fait d’être étranger ou blanc. Oui, aujourd’hui, ce sont nos intellectuels prétendument progressistes qui veulent consolider sur l'économie et la politique du pays, l’hégémonie d’étrangers ou de citoyens se considérant étrangers ou d’autres encore auxquels la Constitution de 1805 avait accordé la nationalité haïtienne, mais qui sont restés Français dans l’âme. Et si nous devons admettre que nous sommes une nation de noirs et de mulâtres, il faut que les noirs se sentent vraiment dans leur nation. Aujourd’hui mes amis intellectuels, ce n'est pas le cas. C'est bien pourquoi la population fuit par milliers pour aller se faire humilier ailleurs, tandis que des étrangers viennent s’installer ici pour se créer des opportunités qui leur sont rendues accessibles, en raison, principalement, de la couleur de leur peau.

3- On a besoin de tout le monde pour reconstruire ce pays. Voilà un argument qui semble être raisonnable. Mais hélas, dans les faits, est-ce vraiment le cas? Il paraît qu’en temps de paix, la population est bien négligeable : elle ne fait pas peur. Mais, en temps de crise, quand les masses se mobilisent pour leurs propres intérêts, l’élite intellectuelle et la bourgeoisie s’unissent et attaquent sur deux fronts: la bourgeoisie fait planer la menace d’une intervention militaire américaine ou dominicaine; et les intellectuels essayent de convaincre les masses qu’il n’y a pas de problèmes. Ce qu’ils observent tous les jours et qu’ils vivent dans leur chair et dans leur âme, n’est qu’illusion. Et surtout, il n’existe pas de discrimination sur la base de la couleur en Haïti. Partout ailleurs, oui! Au Canada? Oui! En France? Oui! Aux États-Unis? Oui! En République dominicaine? Oui! En Palestine? Oui! Mais en Haïti? Certainement pas! Nous avons tous les autres problèmes : éducation, eau potable, gouvernance, économie, mais pas de problème de couleur. Bravo les amis!

4- En fait, certains de nos intellectuels se sont largement décrédibilisés en proposant la politique migratoire des USA, grande puissance, comme un modèle pour Haïti. Encore une fois, tous intellectuels qu’ils soient, ils “ignorent” que les États-Unis ont construit un pays sur la base d’un génocide, et que ceux sur le dos desquels le pays a été construit, les Amérindiens et les Noirs, y sont les plus démunis et les plus pauvres. Est-ce vraiment ce qu’ils veulent poursuivre pour Haïti?

Maintenant, la question est de savoir historiquement, comment résoudre un problème qui
n’existe pas? La réponse historique en a toujours été bien simple: dans le sang. Cela a été vrai pour l’esclavage et on l’a vu également avec toutes les grandes révolutions que certains de nos intellectuels ont passé leur jeunesse à étudier. La réalité est que nos élites le savent pertinemment, ainsi que leurs alliés internationaux. Voilà pourquoi, à chaque fois qu’il y a une insatisfaction populaire manifeste, ils brandissent la menace d’invasion militaire; voilà pourquoi il y a eu l’Affaire Luders, l’affaire Bachs et l’affaire Mevs. Il est à se demander pourquoi constamment menacer d’envahir le pays d’un peuple pacifique qui a subi tous les déboires, allant de massacres aux gouvernements d’incompétents (d'ailleurs souvent imposés par ceux qui veulent envahir pour, prétendument, aider). Plus encore, quelle élite nationaliste souhaiterait l’invasion de son territoire? Même quand elle se sentirait menacée par son peuple, si c’était son peuple ? La réalité que nous ne voulons pas admettre, c’est que la plupart de ces oligarques et de leurs alliés donneurs de leçons n’ont aucun problème avec une invasion, voire une occupation étrangère. Et ça, ne serait-ce que ça, c’est un problème d’appartenance.

Nous ne pouvons pas continuer à tromper les masses, à chaque fois qu’il y a une tension politique. Nous ne pouvons, en niant l'existence de problèmes de couleur et d'oligarchie dans le pays, continuellement sauter à la rescousse des oligarques que nous critiquons pourtant …en temps de paix.

Jovenel avait certes le Core Group et la représentation de l’ONU derrière lui, mais il faut admettre qu’il a fait preuve d'un semblant de courage quand il a dénoncé publiquement (même par démagogie) les oligarques contre lesquels il combattait. Avons-nous eu de notre côté, le courage de dénoncer publiquement les oligarques de Jovenel? Je peux comprendre la nécessité des alliances temporaires, pour faire avancer ou réussir une cause. Mais, ne pas dénoncer ses adversaires politiques n’est pas un exemple de courage, quand on sait que certains des oligarques pro-Jovenel donnaient des fonds pour faire passer leurs containers de marchandises. Jovenel s’était au moins montré plus courageux que d’autres, pensant, à tort, être le maître du cirque plutôt que le singe.

Je peux aussi comprendre le désir de certains à vouloir ménager la chèvre et le chou, afin d’éviter ce qu'ils considèreraient être le pire, mais qui, finalement, pourrait être nécessaire pour permettre au pays de trouver sa balance, son équilibre. Alors, dans la logique même d'éviter ce pire, ne serait-il pas plus correct de poser le problème honnêtement et sereinement pour enfin libérer la société? S’il est vrai que selon certains intellectuels dessalinistes de conjoncture, Dessalines avait fait des largesses envers les étrangers et s’était montré généreux envers les mulâtres, ils ne peuvent pas non plus oublier que Dessalines n’est pas mort d’une fièvre.

Il leur faudrait se poser certaines questions: qu’est-il arrivé dans la constitution de Pétion, à l'article 14 de la constitution impériale, où Dessalines réclamait entente entre noirs et mulâtres? Quelle a été la réponse de Pétion à la vision sociale égalitaire de Dessalines qui plaidoyait déjà en faveur des bossales? Et aujourd’hui encore, quelle est la réponse des élites mulâtres et arabes aux revendications populaires, sinon invasion ou soumission? Quel État de droit pour quel citoyen ? Qui exerce vraiment la violence sur qui? Soit dit en passant, Dessalines, n’avait pas fait fi des préjugés de couleur, il a voulu les combattre, les gérer et les résoudre. La réponse qu’il a obtenue est connue de tous. Il y a donc bel et bien un problème historique et encore présent dans notre pays: un problème de couleur. Un problème tellement patent que certains s’évertuent corps et âme à le gommer.

Mes propos ici, n’ont nullement pour objectif d’embarrasser certains amis intellectuels, ni mulâtres ou alors arabes conscients et honnêtes, certainement pas, mais surtout de leur faire remarquer qu’il y a une bataille à mener, pour notre Haïti bien-aimée et que nous devons être à l’avant-garde de cette bataille, soit sur le terrain, soit avec les idées. Nous ne pouvons nous permettre d'être défaitistes, si nous voulons inspirer les jeunes à faire ce que certains d’entre nous n’ont peut-être plus le courage ou l’énergie de faire. Nous ne pouvons pas non plus nier aux masses, à nos enfants et aux jeunes du pays le privilège de la vérité. Notre diversité devrait constituer notre force vis-à-vis l’international, et non notre malheur. Notre histoire est belle, complexe et difficile, mais elle est notre héritage commun. Pourquoi vouloir la gommer de mensonges et rendre notre présent existentiel faux et honteux?

Il nous faut nous armer de courage et de vérité pour reconstruire notre pays. Nos difficultés et divergences passées, comme celles du présent, doivent nous servir de leçons et de boussole, si nous voulons vraiment garder et bâtir Haïti. Notre devise devrait être : Tous ceux qui le veulent, Noirs, Mulâtres et même Arabo-Haitiens, rejoignez les intérêts de la nation haïtienne pour construire ensemble Haïti, ou le moment venu, assumez les conséquences.

Car, ce n’est pas juste que 2% des mulâtres qui ont participé à l’indépendance, aujourd’hui encore, avec la communauté arabe, contrôlent plus de 90% des ressources et des richesses du pays. Avons-nous combattu pour avoir l’esclavage sans le blanc? L’élégance sémantique de nos intellectuels peut colorer l’histoire à la lumière des intérêts des élites qu’ils servent, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes! Quel est l’avenir d’un pays avec un tel taux d’inégalité, sinon une résolution dans le sang par les soi-disant bossales?

Il est encore temps que nous prenions conscience comme nation et réalisions ensemble, noirs, mulâtres et Haitiano-Arabes, que notre avenir est devant nous, il est libérateur. Notre destin, encore sauvable, est inspirant si nous convenons que notre peuple est notre seul espoir et que la vision égalitaire de Dessalines demeure notre voie la plus prometteuse.

Garaudy Laguerre

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