Des contrats pour des gangs

Dans toutes les sociétés humaines, la survie des individus n’est seulement règlementée par les facteurs biotiques et abiotiques de leur environnement. Elle l’est aussi par des contrats que les individus entreprennent entre eux. On peut citer le contrat de société ou contrat d’association et le contrat de gouvernement.

En effet, dans le contrat d’association les individus décident de s’unir pour conférer à une seule personne ou à une assemblée la tâche de prendre des décisions concernant la sécurité et l’utilité commune. Ces décisions sont considérées comme la volonté de tous en général et de chacun en particulier. Alors que le contrat de soumission ou de gouvernement est l’abandon volontaire et complet de la souveraineté individuelle aux mains des gouvernants qui s’engagent de leur côté à veiller sur la sécurité et l’utilité commune. C’est un contrat des hommes avec un maître, l’état, dont la mission première est de garantir la sécurité pour tous (voir les théories du contrat social).

Cependant, en Haïti, il parait que ces contrats ne servent pas au profit du bien commun. Ils servent plutôt à certains individus qui agissent en dehors des lois établies par le maître, l’état. Alors que dans l’espèce humaine, les individus sont naturellement portés à rechercher la sécurité. Cette dernière doit être considérée comme une valeur partagée par chacun d’eux. Pourtant, dans la société haïtienne, la problématique de l’insécurité persiste et le taux de criminalité ne cesse d’augmenter de manière exponentielle.

Mais à qui profitent l’insécurité et la criminalité en Haïti ? Qui sont les principaux artisans de l’insécurité sans précédent qui sévit dans le pays ? Et qui protège les gangs armés ? Pourquoi les gangs sont intouchables ?

C’est vrai, qu’au cours de ces dernières décennies, plus particulièrement après le régime duvalierisme, l’instabilité politique qui sévit dans le pays devient un facteur essentiel. Ce qui permet d’expliquer la montée vertigineuse de l’insécurité. De surcroit, la lutte pour le pouvoir entre les différents groupes politiques joue un grand rôle dans le bouleversement de l’ordre public. Mais à côté des groupes politiques, les hommes d’affaires de la bourgeoisie haïtienne alimentent aussi l’insécurité. Ils l’ont fait certaines fois pour sauvegarder les monopoles du marché. De plus, il faut ajouter à la liste, la rivalité entre les gangs armés pour le contrôle des territoires.

Ainsi, ces dernières années, sous la complicité de leaders politiques et des hommes d’affaires de l’économie haïtienne, nous assistons à la prolifération des gangs armés partout dans le pays. Seulement dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, on compte environ 22 groupes armés selon un ancien directeur de la Police nationale d’Haïti. Ces gangs règnent en toute quiétude. Ils sont vite devenus très puissants comme des groupes de gangs de certains pays de l’Amérique latine et du nord tels que la Mara Salvatrucha 13 (MS-13), la MS-18, le 18th Street Gang, etc.

Des associations de droits humains et de mission spécialisée de l’ONU en Haïti ont produit plusieurs rapports sur la violence sociale. Lesquels rapports dévoilent l’implication de certaines autorités de l’état dans des actes de violence. Malgré tout, les autorités judiciaires n’ont toujours effectué aucune interpellation. Cela explique la puissance des gangs et des rapports très serrés qu’ils développent avec les garants de la sécurité publique dans le pays.

Dans la première puissance nègre du monde, Haïti, la lutte pour le contrôle de territoire ne se fait pas seulement entre les gangs armés voulant accaparer plus de territoire pour mener leurs activités illicites. Mais aussi entre des politiciens pour le partage d’électorat et aussi entre des hommes d’affaires pour le contrôle du marché. De même que les hommes politiques, les hommes d’affaires haïtiens financent les gangs. Ce qui les permet de s’accaparer de certaines zones stratégiques pour le commerce en Haïti.

Parfois pour travailler de manière plus rapprochée avec ces gangs, certains chefs d’entreprise les emploient comme chef de sécurité de leurs entreprises. Certains chefs de gangs armés le confirment. À ce moment, ces hommes d’affaires peuvent financer les activités criminelles de ces derniers sans se faire repérer par les autorités concernées. Pour les hommes politiques, c’est le même cadre figure. Certains chefs de bande armée sont employés comme chefs de sécurité de certaines autorités publiques afin de contrôler leurs activités criminelles.

Alors, si les gouvernants qui doivent s’engager de leur côté à veiller sur la sécurité et l’utilité commune sont pour la plupart des artisans de l’insécurité en Haïti ; à quoi sert leur place à la tête de l’État ? Et si l’Etat ne peut garantir la sécurité pour tous et l’utilité commune, à quoi sert l’État ?

C’est une réalité qui paraît absurde ! En Haïti, ce sont les chefs de bandes armées qui décident qui doit continuer à survivre et qui doit mourir aujourd’hui. De plus, la situation inhumaine dans laquelle vivent les populations de plusieurs quartiers précaires de la zone métropolitaine de Port-au-Prince sans l’intervention des garants de l’État témoigne la faiblesse de l’État face à la puissance des groupes armés financés et dirigés par des autorités de l’État certaine fois.

Pour corroborer cette assertion, prenons la déclaration de l’ancien DG de la Police nationale d’Haïti Michel-Ange Gédéon. Lors de ses interventions au Parlement haïtien, il a déclaré que les gangs armés sont protégés par des autorités de l’État. Il a affirmé que des véhicules immatriculés Service de l’État (SE) et Officiel (OFF) ont souvent secouru à des gangs. Pire encore lors de plusieurs opérations policières qui visaient la neutralisation de ces derniers. Ce qui constitue une entrave au travail de la PNH dans la lutte contre le banditisme en Haïti.

Alors pourquoi est-on obligé de signer des contrats d’association et de gouvernement à des individus qui ne confèrent pas la sécurité et l’utilité commune, et leurs décisions ne s’expriment pas réellement comme la volonté de tous en général et de chacun en particulier ? Si cet État qui doit agir comme le maître est pourtant dirigé par des individus qui ne respectent pas les lois qu’il a établies, à quoi servent l’autorité et les autorités de cet État?

Au cours de ces dernières années, l’État haïtien est censé diriger par des gangs dépourvus de toute conscience collective. Les gangs qui font la loi dans le pays ne sont pas seulement ceux qui évoluent dans une situation d’anomie, qui sont victimes de la mauvaise gouvernance de l’Etat et qui en retour terrorisent la population. Ils sont aussi parmi ceux qui ont dirigé l’État et qui dirigent l’État à l’heure actuelle. Ils sont ceux qui ont dilapidé le fonds Petro Caribe, l’argent du CIRH et les fonds publics du pays.

Ils sont partout, dans les institutions publiques. Ils complotent contre le peuple à la tête de l’État. Ils contrôlent les groupes armés qui terrorisent la population. Ils sont très vite devenus riches quand ils sont devenus fonctionnaires dans la fonction publique. Ce sont eux qui profitent des biens de l’État pour s’enrichir pendant que le peuple croupit dans la misère et vit dans une insécurité chronique… Alors qu’ils ont été désignés par ces individus qui ont accepté de renoncer à leur souveraineté individuelle pour se soumettre à l’être suprême, l’état, qu’ils dirigent, en vue d’utilité commune et la sécurité pour tous.

Professeur Enock OCCILIEN

enock00007@gmail.com

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