Contexte
Repenser l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) dans son ensemble ne se résume pas uniquement à ses missions légitimes à travers la logique de réorganisation de son système administratif, académique et de recherche ni d’entamer son expansion physique. Ce sont des objectifs à atteindre moyennant que l’UEH se dote d’une forte capacité financière afin de réduire sa stricte dépendance du trésor public, si elle entend s’élever au rang des meilleures universités du monde. Sinon, le recours ultime serait de porter l’Etat à augmenter significativement sa part du budget national qui oscille entre 0,5% et 2% depuis le début des années 2000 à date, indifféremment du taux de croissance du budget national souvent à deux chiffres. Concrètement, ces niveaux d’allocations budgétaires n’ont jamais été suffisantes pour répondre adéquatement au prescrit de l’article 208 de la Constitution de 1987 de la République d’Haïti. Laquelle fait de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) l’entité d’enseignement supérieur public appelée à former gratuitement les citoyens afin qu’ils puissent activement participer au développement du pays.
Pour que l’UEH neutralise les effets pervers de maigres allocations du trésor public, elle doit non seulement diversifier ses sources de financement, mais aussi assurer l’efficience budgétaire en rationalisant son processus. Ainsi, ce texte propose d’en discuter en :
1. montrant la nécessité de combattre la précarité financière de l’UEH ;
2. exposant la pratique budgétaire à l’UEH depuis le début des années 2000 ;
3. décrivant le processus de rationalisation du processus budgétaire ;
4. pour conclure, il fait le croquis de la méthodologie d’arbitrage budgétaire qui sera utilisée.
1. Combattre la précarité financière de l’UEH
Ces fonds servent à subventionner tous les étudiants du premier cycle et à répondre aux engagements du personnel enseignant et administratif qui s’y implique. Dans cette précarité financière, l’UEH ne sera jamais en mesure de soutenir le pilier recherche ni instituer de nouveaux programmes post-gradués. Toutefois, s’il fallait en tenir compte, trouver une part significative pour les accommoder, il en résulterait des coûts d’opportunité qui influenceraient négativement la performance du premier cycle pour lequel les allocations ont été destinées originellement. Le cas contraire ferait des études post-gradués et de la recherche des commodités rares. Pour y faire face, l’UEH doit mettre à profit sa troisième mission celle du service à la communauté en offrant des formations payantes à tous ceux qui ne bénéficient pas de bourses attribués aux bacheliers par le biais du concours d’admission annuel. Aussi, cette stratégie permettra aux jeunes des communautés avoisinantes de resserrer les liens avec l’UEH en y intégrant différents corps de métier à un niveau ou à un autre.
a) Mise à profit de la mission de service à la communauté
Cette démarche invite à explorer le contour du service à la communauté, la troisième mission de l’UEH, qu’il faut éviter d’assimiler à un service gratuit ou en contrepartie d’un coût dérisoire. Toutes les activités qu’entreprennent l’université ont un coût couvrant l’engagement des ressources humaines, l’utilisation des ressources matérielles, et la disponibilité de fonds pour la création de nouvelles valeurs via la recherche. Son exploitation représenterait une source de financement supplémentaire viable pour s’assurer de nouvelles entrées constantes de fonds. Cette stratégie rend nécessaire l’inventaire de formations de cycle court possibles au niveau de toutes les entités de l’UEH d’une durée d’un (1) à deux (2) ans comme décrite dans l’architecture du système d’enseignement dans le texte traitant de l’académique* surtout que le Régime Académique Commun axé sur un système de crédit le faciliterait, tout en instituant une passerelle de continuation vers le grade de licence. Complémentairement, il y aurait des séminaires de formation de très courte durée donnant droit à un certificat, l’offre de services au secteur public et privé pour des études spécifiques, des quoteparts du financement des travaux de recherche d’un professeur-chercheur, d’un groupe de professeurs, et de l’offre de programmes d’études payants à tous ceux qui n’ont pas réussi le concours d’admission.
b) Les sources de formations de cycle court
Sans vouloir être exhaustifs, quelques exemples de formations de courte durée relatifs aux filières du droit à la FDSE telles que l’Administration Judiciaire et Pénitentiaire, la formation des Huissier, Greffier, Commis, Notaire Public, Officier d’État civil, Commissaire de justice, Substitut du parquet etc ; de l’INAGHEI comme Finance, Comptabilité, Ressources Humaines, Marketing, Production, Gestion du Système d’Information ; de la FMP comme les Paramédicaux ; de la FO comme Hygiéniste Dentaire, Prothésiste Dentaire et Assistant Dentaire ; et la FDS comme Techniciens en : Mécanique, Bâtiment, Chimie, Informatique, Electricité de Bâtiment, Télécommunication, Electromécanique, etc. pour ne citer que celles-là. Ce serait des formations payantes à un coût accessible considérant la nature publique de l’UEH. Ces nouvelles sources d’entrées additionnelles aideraient à réduire la dépendance financière absolue de l’UEH du trésor public moyennant une gestion rationnelle des disponibilités budgétaires et des fonds propres générés à partir des activités d’enseignement payantes dans les différentes entités.
2. La pratique Budgétaire à l’UEH
Les activités de l’UEH étant toujours et exclusivement financées par l’État, leur niveau d’allocations annuelles est fixé par le gouvernement en fonction, mais en prévision, des rentrées fiscales de l’État. Cette condition porte souvent sur une logique rectificative soit à la hausse soit à la baisse du budget national sur lequel se greffe celui de l’UEH selon les entrées fiscales effectives. Il est évident que le budget de celle-ci et de toute autre entité de l’Etat d’ailleurs, suive un cours parallèle à celui de la nation sans que ça soit une marge proportionnelle. Composée de 18 entités dont 11 à Port-au-Prince et 7 dans les villes de province, l’UEH, après attribution de son budget global, doit le répartir entre les entités. A cette phase, formuler un mécanisme de répartition juste et équitable est un impératif. Le souci a toujours été comment y procéder.
a) Historique de répartition budgétaire à l’UEH avant 2012 à date
Avant 2000
Avant les années 2000, le budget de l’UEH était décentralisé. Les entités géraient selon leur gré leurs allocations reçues directement du gouvernement. Le critère reposait sur un degré d’affinité politique qui existait entre les entités et le gouvernement. Cette pratique faisait attribuer la plus grosse part aux grandes entités regroupant la Faculté de Médecine et de Pharmacie, la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire, et la Faculté des Sciences, le reste tombe dans la catégorie de petites entités avec une part relativement faible.
Durant les années 2000
Au cours de la moitié de la première décennie des années 2000, la décision de centraliser le budget a été orchestrée sous la conduite du Rectorat, l’administration centrale. Sous l'administration du feu Recteur PAQUIOT, le Rectorat a pris en charge la gestion financière globale de l'UEH. Une autre approche de la répartition budgétaire a pris naissance. L'allocation individuelle directe aux entités par le gouvernement a été abandonnée. Si un regard centralisé a été effectif en termes de connaissances du niveau d’allocations et de dépenses des unes et des autres entités, l’esprit de la méthode d’allocation s’il s’agit de grandes entités avec une grosse part et de petites entités avec une part faible a survécu jusqu’en 2012. Dès lors, l’UEH s’est vue attribuée une augmentation de 77% de son budget afin de faciliter l’intégration du Campus Henri Christophe de Limonade (CHCL) comme nouvelle entité.
De 2012 à date
Comment effectuer une répartition du budget en 2012 avec ces nouvelles données, soit l’augmentation substantielle avec l’intégration du CHCL ? Reconnaissant que la méthode d’avant 2012 était injuste, il fallait trouver une autre capable de rétablir l’équilibre, sans devoir corrompre la nouvelle répartition. La méthode au prorata s’y est avérée plus rationnelle. Elle fait du poids budgétaire de chaque entité sur celui soumis à l’État l’indicateur clé de la répartition entre les entités. Cela dit, l’entité conserve son poids dans le budget alloué par l’État.
La méthode au prorata adoptée et préconisée depuis devient viciée avec le temps et a fait renaître l’esprit d’antan. Maintenant, avec certaines petites entités devenues grandes et d’autres grandes devenues petites du point de vue budgétaire, l’injustice financière est donc renversée et demeure pour d’autres. Si la méthode au prorata était une astuce calculée pour épargner l’administration centrale d’une injuste répartition, elle ne devrait pas continuer à être l’aune de répartition budgétaire à l’UEH. La méthode de répartition aurait dû s’aligner sur la logique inhérente du budget comme outil financier, dont l’essence est de planifier les coûts financiers susceptibles de répondre aux besoins identifiés sur une période donnée.
La méthode au prorata ne donne pas non plus la possibilité à certaines entités petites ou grandes de lancer des travaux de grandes envergures pour répondre aux besoins identifiés. Le calcul permet tout simplement d’accorder une allocation fixée seulement à un taux égalitaire à chaque entité en fonction du montant précédent. Autrement dit, si le budget alloué par le trésor public augmente de 10%, cette méthode permet de procéder à une majoration de 10% par entité sans tenir compte des nouveaux besoins ni de projets soumis. En conséquence, cette méthode n’offre pas l’occasion d’effectuer une répartition équitable. Elle cache une certaine injustice pour certaines entités malgré leur taille. Elles n’ont aucune possibilité de voir leur budget augmenté substantiellement pour répondre aux coûts de fonctionnement exigés.
3. La rationalisation du processus budgétaire
Le budget est défini comme un outil de prévision. Il permet de planifier les coûts financiers des activités annuellement prévues à entreprendre pour assurer le fonctionnement d’un individu ou de n’importe quel type d’organisation. Essentiellement, le budget est fonction des ressources disponibles et des besoins identifiés. En d’autres termes, il doit nécessairement répondre à des objectifs et s’inscrire dans l’atteinte des résultats planifiés. Cependant, traiter du budget via le système de prorata a provoqué une ankylose budgétaire en ne permettant pas la programmation d’une prévision financière pour répondre aux objectifs globaux de l’UEH, le développement des outils d’évaluation objectifs des besoins exprimés par les entités, ni l’implémentation d’une répartition équitable selon les besoins de chaque entité. Ce constat de renaissance de l’injustice budgétaire porte à repenser la méthode au prorata qui ne permet pas aux entités de répondre favorablement à leurs besoins financiers.
a) La nouvelle méthode de répartition
Il n’y a aucun doute sur la nécessité de procéder à une répartition budgétaire traitant des besoins de chaque entité. Comment y procéder quand les besoins de chacune sont aussi importants que ceux des autres ? Il importe de formuler sur une période donnée la programmation des activités y relatives. S’il arrive que les ressources soient insuffisantes pour exécuter totalement la programmation des activités, il faudra réviser les besoins afin de procéder à un ajustement auquel peut répondre le niveau de ressources disponibles. Pour ce faire, il convient de définir deux types d’allocations budgétaires comme critères de base. Ils sont une valeur horizontale initiale et une valeur de préséance annuelle.
Valeur horizontale initiale des besoins
Cette valeur ramène les besoins de chaque entité à un niveau initial soit zéro (0) sur une échelle de priorité de dix (10). Loin d’accorder une plus grande valeur aux besoins d’une entité par rapport à d’autres, il faut établir une valeur horizontale aux besoins communs de toutes les entités. Initialement, leurs besoins auront une même valeur. Toutefois, le déterminant d’une priorité accordée à une entité et non à une autre en termes d’allocations budgétaires est fonction de la taille de la population à desservir, du niveau d’utilisation des ressources nécessaires à une activité au cours de l’année fiscale écoulée et de l’analyse des besoins exprimés par l’entité. En conséquence, un mécanisme d’inventaire centralisé fiable est à instituer.
Valeur de préséance annuelle
Cette valeur détermine l’entité qui aura la priorité d’une forte allocation pour l’année fiscale. Elle doit être associée aux activités d’infrastructures, d’acquisition de matériels électriques, reprographiques, informatiques, de bureau, de mobiliers ou de véhicules de service. Le déterminant serait le nombre d’entités à bénéficier annuellement d’une allocation en fonction des entités bénéficiaires de l’année fiscale écoulée. Pour y arriver, un mécanisme de vérification fiable soumettra un rapport d’évaluation rapide (check list) à une commission de finance à constituer par le Conseil de l’Université.
b) Le mécanisme de la nouvelle approche
La nouvelle approche reposera sur trois piliers :
- L’uniformisation ou la standardisation du système de préparation budgétaire selon la nomenclature budgétaire établie par l’État en vue de développer une application informatique que toutes les entités utiliseront pour préparer leur budget applicable à toutes les entités.
- La périodicité de défense budgétaire sera instituée où chaque entité aura à défendre sa proposition budgétaire pour être accordée la valeur de préséance annuelle par rapport à d’autres. Elle se tiendra au cours de l’année fiscale précédant la prochaine et avant la soumission du budget de l’UEH au gouvernement.
- La création d’une Commission de Finance (CF) composée de 13 membres pour unifier le budget de toutes les entités et en faire la synthèse globale à soumettre au Conseil Exécutif pour communiquer au Conseil de l’Université comme proposition finale de budget de l’UEH à approuver. Ladite commission sera ainsi composée : Directeur financier du RUEH - Deux doyens - Deux vice-doyens - Deux professeurs - Deux étudiants - Deux membres du personnel administratif - Un membre délégué de la cour supérieure des comptes et du contentieux administratif - Un membre délégué de la direction du budget du ministère des finances. Entre autres, son mandat concerne notamment la conception des politiques budgétaires générales de l’UEH, le développement des outils financiers, la programmation du processus budgétaire et l’évaluation finale des besoins de chaque entité exprimés dans son budget.
c) Calendrier annuel d’élaboration et de défense des budgets
Le Rectorat communiquera aux Décanats le calendrier proposé par la CF et retenu par le CU pour toutes les étapes du processus budgétaire. Les entités qui ne respectent pas ledit calendrier n’auront pas droit à une révision budgétaire au cours du processus. En cas de reconduction tacite du budget alloué par l’État, la commission pourra écourter les étapes en procédant à une séance plénière où chaque entité soumettra un tableau de besoins en tenant compte des montants reçus l’année fiscale précédente. Dans ce cas, il n’y aura aucune reconduction automatique du budget précédent. Tout budget doit être repensé. La CF finance soumettra obligatoirement son rapport 15 jours après les séances plénières.
4. En guise de conclusion : La méthodologie de l’arbitrage budgétaire utilisée
Reconnaissant que le budget comme outil financier permettant de faire l’utilisation efficiente des ressources rares afin de répondre avec satisfaction aux besoins identifiés, un mouvement d’ajustement sera effectué annuellement pour déterminer les niveaux d’allocations de chaque entité et de différents postes budgétaires institués dans le budget. Ce faisant, leur statut de survie soit un état statique, une augmentation insignifiante ou substantielle, s’il n’est pas totalement écarté ou négligé sera déterminé en fonction de leur performance au cours des exercices fiscaux passés. Ledit processus est impératif pour mettre à jour de nouvelles possibilités d’utilisation des ressources de manière optimale et utile. Le nouveau mode de répartition budgétaire nécessite un diagnostic afin de statuer sur l’état de santé financier des entités, des postes budgétaires, et de celui du budget global en conséquence. Pour déterminer la stratégie capable d’engendrer une répartition harmonieuse et équitable, la démarche consiste à modéliser le processus en définissant des indicateurs de performance et de seuils de pauvreté budgétaire.
Le premier détermine la capacité d’absorption des fonds disponibles entre 90% et 100% pour ne pas subir une réduction. C’est une marge en dessous de laquelle, l’entité accuserait une faible capacité d’absorption et serait sujette, pour le prochain exercice fiscal, à une réduction équivalente à hauteur des fonds non utilisés. L’autre indicateur est le degré de précarité financière d’une entité l’empêchant de répondre à ses besoins de fonctionnement quotidien. Dépendamment d’où elle se trouve autour des seuils de pauvreté budgétaire établis à hauteur de dix (10) millions de gourdes pour la pauvreté budgétaire extrême et de quinze (15) millions pour la pauvreté budgétaire, la réallocation des fonds sera déterminée par les besoins exprimés et par le niveau de performance du budget précédent. Si elles se trouvent en-dessous des seuils, il faudra les aider à remonter graduellement au niveau qui leur permettra de répondre aux besoins retenus comme pressant par la CF. Contrairement, si elle se trouve largement au-dessus du seuil de pauvreté en raison des conditions précédentes et qu’aucun besoin d’entretien n’est exprimé, la logique consisterait à réduire lesdites allocations pour considérer d’autres entités ayant des besoins urgents à satisfaire. Cela dit, le mouvement d’ajustement budgétaire sera effectif en fonction des besoins exprimés et de ceux déjà satisfaits.
Concrètement, cette nouvelle approche dynamique offre la possibilité d’élargir graduellement la base du fonds de fonctionnement des entités selon leur capacité d’absorption et leurs besoins contextuels. Cela demanderait de procéder à des ajustements budgétaires appropriés de chaque entité. Il conviendrait d’identifier, les postes qui pèsent lourd et ceux non performants afin de les réduire, s’ils ne méritaient pas d’être écartés. Ce faisant, la totalité du fonds de fonctionnement élargi sera répartie entre les entités suivant leur niveau de pauvreté budgétaire ou le degré d’urgence de leurs moyens de fonctionnement normal.
* Poincy, Jean. 2024. « Repenser l’Université d’Etat d’Haïti : vers l’implémentation d’un Régime Académique Commun (III) ». Disponible sur https://www.lenational.org/post_article.php?tri=1789 . Consulté le 15 novembre 2024
Jean POINCY
Vice-recteur aux affaires académiques
Université d’Etat d’Haïti