Evens Emmanuel
Cet ouvrage collectif, dirigé par trois de ses directeurs scientifiques Vijonet Déméro, Beguens Théus et Pierre Michelot Jean Claude, compile les actes d’un atelier organisé en novembre 2024 à Port-au-Prince par la Conférence régionale des Recteurs de la Caraïbe (C2R-Caraïbe), en partenariat avec l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) et d’autres institutions haïtiennes. Publié en 2025 par les Éditions INUFOCAD, il explore la gouvernance universitaire dans la région caribéenne, avec un accent particulier sur Haïti. La gouvernance universitaire désigne les mécanismes de direction, de décision et de contrôle au sein des institutions d’enseignement supérieur, impliquant des acteurs comme les recteurs, les professeurs, les étudiants et les autorités publiques (Becher & Kogan, 1992). Comme la Caraïbe est marquée par des défis socio-économiques, coloniaux et environnementaux, cette gouvernance vise fondamentalement à assurer l’autonomie, l’efficacité et la responsabilité sociale des universités. L’ouvrage s’adresse à un public francophone universitaire et non universitaire ;il met en lumière les enjeux pour Haïti, où l’instabilité politique et les ressources limitées entravent la modernisation de l’enseignement supérieur. À travers des réflexions théoriques et pratiques, il invite à une gouvernance responsable, adaptée aux réalités locales, pour favoriser l’innovation, l’équité et le développement durable.
La préface de Martin Maltais offre une vue d’ensemble objective et stimulante sur la gouvernance universitaire dans la Caraïbe, en soulignant son rôle dans la résilience face aux crises régionales comme les ouragans ou les instabilités économiques. Maltais argue qu’une gouvernance inclusive peut transformer les universités en moteurs de développement, en citant des exemples d’intégration régionale. Cette introduction est équilibrée, car elle reconnaît les avancées, telles que les partenariats francophones, tout en critiquant l’absence de coordination entre pays caribéens, qui mène à une fragmentation des efforts.
L’introduction générale, écrite par les directeurs de l’ouvrage, pose les fondements conceptuels de la gouvernance universitaire, en la définissant comme un équilibre entre autonomie institutionnelle et responsabilité publique, inspiré des modèles de l’OCDE (2019). Elle contextualise les débats dans la Caraïbe, où les héritages coloniaux influencent les structures hiérarchiques. Cette section est critique et équilibrée, louant d’une part, les initiatives locales comme la CORPUHA en Haïti, mais pointant du doigt d’autre part, les faiblesses systémiques, telles que la corruption et le sous-financement, qui freinent la gouvernance universitaire dans son application effective. Toutefois, elle manque, en certains points, une certaine profondeur empirique en se reposant sur des assertions générales sans données chiffrées suffisantes pour convaincre un lecteur non spécialiste.
Le chapitre 1, un rapport exécutif de l’atelier par Vijonet Déméro et Wilfix Sagard, synthétise les discussions sur la gouvernance responsable. Il propose des recommandations pratiques, comme la création de conseils d’administration diversifiés, pour renforcer l’autonomie des universités caribéennes. Ce chapitre est orienté vers l'action, avec des propositions adaptées à Haïti, telles que l’intégration de la société civile et fait part des succès comme les échanges régionaux avec objectivité. Il convient cependant de noter l’absence de suivi évaluatif, qui pourrait rendre les suggestions utopiques sans la mise en branle de mécanismes d’implantation concrets.
Dans le chapitre 2, Yves Fausner Paul présente un diagnostic de l’enseignement supérieur en Haïti en ayant soin d’identifier des problèmes sérieux comme le manque d’infrastructures et la faible qualité de la formation. Il plaide pour une gouvernance décentralisée, inspirée de théories comme celle de Clark (1986) sur le triangle de coordination (État, marché, académie). Cette analyse est équilibrée, célébrant les efforts de résilience post-séisme de 2010, mais critiquant sévèrement la dépendance aux aides internationales, qui entrave l’autonomie locale. Cependant, elle gagnerait à inclure plus de comparaisons avec d’autres pays caribéens qui pourraient enrichir le débat.
Le chapitre 3, par Jean Judson Joseph, explore la modernisation de l’enseignement supérieur et de la recherche en Haïti, en plaidant pour des réformes structurelles comme l’adoption de standards internationaux. Il intègre des concepts de gouvernance partagée, où les différents acteurs collaborent pour l’innovation et offre, a cet effet, des exemples concrets, tels que des programmes de recherche sur l’agriculture durable. Dans son analyse, il reconnaît les progrès législatifs mais sous-estime les barrières culturelles, comme la résistance au changement dans les institutions traditionnelles, rendant certaines propositions idéalistes
Patrick Attié, dans le chapitre 4, aborde le numérique et la gouvernance universitaire en Haïti, en soulignant comment les outils digitaux peuvent améliorer la transparence et l’accès à l’éducation. Inspiré de modèles comme ceux de l’UNESCO (2020) sur l’éducation numérique, il propose des plateformes en ligne pour la gestion administrative. Cette contribution est assez équilibrée car elle loue les initiatives pilotes, mais critique l’inégalité numérique en Haïti, laquelle est exacerbée par un accès internet limité dans le pays excluant les zones rurales. Il relate également comme une faiblesse le manque de focus sur la cybersécurité, ce qui est un enjeu crucial dans un contexte vulnérable.
Le chapitre 5 de Wilfix Sagard examine la modernisation numérique via des études de cas dans la Caraïbe, illustrant des succès comme l’e-learning en Jamaïque. Il plaide pour une gouvernance intégrant le numérique pour une efficacité accrue. Ce chapitre met en relief les adaptations locales, mais attire parallèlement les défis budgétaires et la formation des enseignants. Cependant, les cas cités pourraient être plus diversifiés en avec plus de pertinence pour le public cible.
Pierre Michelot Jean Claude, au chapitre 6, discute des enjeux de l’éducation numérique dans les pays du Sud et de la Caraïbe, en identifiant des défis comme l’inadéquation des contenus aux contextes culturels. Il cite des théories de Freire (2020) sur l’éducation libératrice, adaptée au numérique. Cette section affiche une position nuancée , valorisant les potentiels pour l’équité, mais dénonçant les disparités Nord-Sud en technologie. Mais, à l’analyse elle reste trop théorique, avec moins d’actions concrètes pour Haïti.
Jacky Lumarque, dans le chapitre 7, oppose la « république des scholars » (gouvernance académique) à la gouvernance corporate (orientée marché) dans la Caraïbe. Il plaide pour un hybride adapté aux réalités locales. Équilibrée, l’analyse apprécie les bénéfices de l’efficacité corporate, mais critique son risque de commercialisation excessive de l’éducation, particulièrement en Haïti où l’accès gratuit est vital. Le chapitre excelle en profondeur théorique, mais pourrait bénéficier de données empiriques supplémentaires.
Le chapitre 8 de Vijonet Déméro traite des stratégies de financement des universités caribéennes, proposant des partenariats public-privé et des fonds régionaux. Inspiré de rapports de la Banque mondiale (2021), il équilibre les succès, comme les subventions AUF, avec les critiques sur la dépendance externe, qui expose l’Université à des fluctuations économiques. Une force est sa pertinence pour Haïti, mais il manque d’options innovantes comme le crowdfunding.
Au chapitre 9, Beguens Théus et Vijonet Déméro explorent la responsabilité scientifique et sociale des universités dans la modernisation. Ils soulignent l’engagement communautaire pour résoudre des problèmes comme la pauvreté. Équilibrée, cette contribution loue les impacts sociétaux, mais critique l’absence de métriques pour mesurer cette responsabilité, risquant une rhétorique vide. Elle est particulièrement résonnante pour le public haïtien.
Enfin, le chapitre 10 de Beguens Théus évalue l’utilité de l’atelier, entre engagement public et déclarations formelles. Il propose un cadre pour transformer les discussions en politiques. Critiquement équilibré, il célèbre l’engagement multipartite, mais regrette le manque de suivi concret, soulignant que sans implémentation, les ateliers restent symboliques. Cela clôt l’ouvrage sur une note réflexive.
En conclusion, cet ouvrage démystifie la gouvernance universitaire, en montrant son application dans la Caraïbe comme un levier pour l’autonomie et l’innovation, tout en alertant sur les enjeux haïtiens comme le financement et le numérique. Il incite le lecteur, universitaire ou non, à s’engager pour une éducation inclusive et résiliente.
Références bibliographiques
Becher, T. and Kogan, M. (1992). Process and Structure in Higher Education, 2nd edn. London: Heinemann.
Clark, B. R. (1986). The higher education system: Academic organization in cross-national perspective. Univ of California Press.
Freire, P. (2020). Pedagogy of the oppressed. In Toward a sociology of education (pp. 374-386). Routledge.
OCDE. (2019). The future of education and skills 2030. OECD Publishing.
Evens Emmanuel, PhD HDR
ERC2-UniQ / LMI-CARIBACT
Pôle Haïti-Caraïbe Haïti Sciences et Société (HaSci-So)
Équipe des Partenaires Scientifiques pour la Communication de la Recherche (E-PSi-CoRe)
E-mail : evens.emmanuel@uniq.edu
