Haïti post-7 février 1986 : une interminable transition de duperies, de rêve galvaudé, et d’échec démocratique

Apparemment, tout allait bien pour le gouvernement de Jean Claude Duvalier quand, dans la ville des Gonaïves, Cité de l’Indépendance, avait commencé une grande mobilisation contre le régime dictatorial. Effectivement, quelques mois avant ce grand mouvement de protestation, lors d’une manifestation dans cette ville du département de l’Artibonite, le peuple, dans leur revendication socio-politique, rendait président Duvalier et son équipe responsable de leurs situations de misère et d’oppression. Tout en tenant compte de la situation et de l’impact négatif que cela pourrait en avoir sur les autres régions du Grand Nord et le pays en général, Palais national avait dépêché immédiatement sur les lieux le ministre des Travaux publics (TPTC) Alix Cinéas pour qu’il puisse trouver une solution pacifique à ce mouvement de soulèvement. Comme à court terme, rien de positif n’avait été fait pour apaiser ou améliorer la situation socio-économique, voire même politique des gens, ironie du sort, c’était aussi dans cette même ville que dix-huit mois plus tard, qu’avait commencé, avec la mort de Daniel Israël, Mackenson Michel et Jean Robert Cius, trois jeunes écoliers des Gonaïves, les mouvements de protestations qui devaient emporter le président Duvalier et sa famille vers l’exil.

Évidemment, avec des manifestations dans presque tous les départements, spécialement les grandes villes du pays, les derniers jours de janvier annonçaient déjà les couleurs contre un pouvoir dictatorial vieux de presque trente ans. Entre-temps, Port-au-Prince, la capitale, où à l’époque se trouvaient toutes les grandes forces militaires et répressives du gouvernement, était encore passive et suivait pendant des semaines, l’évolution de la crise qui réclamait le départ de Jean-Claude Duvalier du pouvoir.

Par contre, comme dans les villes de province, les écoles et les universités étaient aussi fermées à Port-au-Prince. Cependant, avec la grande manifestation du 30 janvier 1986, la ville de Port-au-Prince qui, jusqu’à date, était calme, s’était rapidement alignée du côté d’autres villes qui veulent, pacifiquement, mettre fin au pouvoir à vie de Baby doc. Et le faux départ du dictateur le 31 janvier allait conduire à une semaine d’état siège. Tout en analysant les raisons de cet état siège, certains analystes et experts dans la crise politique haïtienne pensaient que c’était juste une question pour la communauté internationale de trouver une terre d’asile pour le président à vie.

Dans l’intervalle, comme chaque jour, des rumeurs couraient sur le départ de Jean-Claude Duvalier, donc durant les nuits du 5 et 6 février 1986, la population était impatiente en termes de quoi demain sera fait. Avec la fermeture des stations de radios qui étaient jugées, par le gouvernement, trop exagérées dans la diffusion des nouvelles locales, donc les jeunes en particulier, et la population en général, en quête d’information concernant le dénouement de la crise, avaient essayé et certaines fois très tard, d’être branché sur des émissions « short wave » des stations de radios étrangères venant des pays proches.

Comme on n’était pas à l’ère de la technologie avancée comme aujourd’hui, où grâce à des réseaux sociaux les nouvelles puissent aller loin et vite, donc à l’époque, mis à part des rumeurs venant des personnages proches du pouvoir ou d’une certaine classe de l’élite haïtienne, les infos étaient rares et même trop rares au grand public. Ce qui fait, à partir des informations recueillies dans des journaux de leurs pays de résidence à l’étranger, des Haïtiens de la diaspora avaient, pour la plupart, des opposants au régime politique de Jean-Claude Duvalier, dans bien des occasions, appelés soient leurs alliés sur le terrain, parents ou amis en Haïti pour les informer sur les toutes dernières nouvelles de la crise haïtienne.

Donc à partir de certaines informations qui circulaient, le pays était en alerte. Ainsi, pendant des jours et des heures, au fur et à mesure que le suspens se faisait attendre, il n’était plus une question est-ce qu’il partira, mais plutôt une affaire de temps, à savoir quand est-ce il laissera le pouvoir.

Entre-temps, nationalement, toutes les activités étaient au point mort. Mises à part les écoles et les universités qui étaient fermées depuis bien des semaines, avec l’état siège qui était décrété depuis des jours par le régime, la vie nocturne avait été complètement paralysée. Donc très tôt dans l’après-midi, par peur d’être victimes de représailles des tortionnaires du régime, les gens étaient déjà soit à la maison ou dans leur quartier de résidence. On ne prend pas de chance. Bien entendu, dans toute circonstance, il-y-a toujours des inconvénients qui bien des fois forcent les gens à violer certains principes…ou des imprudents qui, quand il s’agit de leurs routines de fonctionnement ou de folies au quotidien, ne se soucient de rien peu importe le risque à courir. Bref, dans l’ensemble, la semaine d’état siège était très inquiétante, mais surtout, la nuit du 6 février fut la plus longue.

Pendant les dernières heures du jeudi 6, soient qu’elles viennent des membres proches du pouvoir, des haut-gradés de l’état-major de l’armée d’Haïti ou des Haïtiens de la diaspora, des rumeurs de toutes sortes circulaient à Port-au-Prince. Quant à certaines presses de l’international, ne voulaient pas répéter les mêmes expériences du 31 janvier où le faux départ du dictateur était annoncé, alors qu’il était encore au pouvoir au Palais national, donc, elles étaient très prudentes. De ce fait, elles préféraient attendre. N’empêche, dans certaines chambres d’hôtel du pays, particulièrement à Port-au-Prince, les reporters internationaux, en quête des toutes dernières nouvelles, attendaient impatiemment.

Face à cette incertitude, par mesure de précautions, des parents et amis encourageaient leurs siens, notamment les plus imprudents, de ne pas prendre des risques. En un mot, la consigne était de rester chez soi. Pour ceux qui avaient de l’expérience dans les dénouements de crise politique en Haïti, ils sentaient déjà le départ.


Le départ de Duvalier le 7 février 1986

Ainsi, pendant que certains dormaient, d’autres étaient sur leurs pieds de guerre attendaient les toutes dernières nouvelles ou le dénouement de la crise politique que connait le pays depuis bien des mois. Finalement, comme on s’y attendait, l’annonce était faite. Après avoir succédé à son père comme président à vie, Baby Doc et sa famille Duvalier étaient partis pour l’exil. Ne voulait pas affronter la colère du peuple, Jean-Claude Duvalier avait choisi de quitter le pays au beau milieu de la nuit. « Il était 2 h 45 quand le président, accompagné de sa famille et des proches collaborateurs, dans un C-141 de l’armée américaine partait pour l’exil. Et au moment de son départ, le dictateur a prononcé son dernier discours : « Désirant entrer dans l’histoire la tête haute, la conscience tranquille, j’ai choisi de passer le destin de la nation, le pouvoir aux Forces armées d’Haïti en souhaitant que cette décision débouche sur une issue pacifique et rapide à la crise actuelle. » (1)

Avec ce dernier discours dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 février 1986 du président Jean-Claude, ainsi avaient pris fin les vingt-neuf années de dictature des Duvalier père et fils. Aussi s’annonçait l’espoir pour une nouvelle Haïti pleine de promesses politiques, mais surtout de changements socio-économiques pour les gens des classes défavorisées. En attendant d’arriver à cette étape de changement sociopolitique, à Port-au-Prince, comme dans les autres villes de province, tôt dans la matinée, une foule en délire avec des branches d’arbres errait dans les rues pour exprimer leur contentement. Jeunes et vieux de tout âge, hommes et femmes de toutes les classes sociales confondues exprimaient leurs joies et satisfactions à ce grand événement. Sans tenir compte de leurs différences religieuses ou autres, les gens entrelaçaient l’un à l’autre. On pouvait lire sur presque tous les murs des slogans comme : vive l’armée, Haïti libérée, deuxième indépendance !

À noter qu’à partir d’un accord entre le président en partance, l’oligarchie locale, l’armée d’Haïti et la communauté internationale, particulièrement les États-Unis, le vide politique que devrait laisser le départ de Duvalier fut comblé par un gouvernement civilo-militaire appelé Conseil National de Gouvernement (CNG). Ce dernier était composé de quatre militaires et de deux civils, respectivement le Lieutenant Général Henri Namphy, président, les Colonels, Williams Régala, Max Valles, Prospère Avril, Alix Cinéas et Gérard Gourgue étaient des conseillers. Le Conseil National de Gouvernement avec un mandat de deux ans s’était donné pour mission de stabiliser le pays, le doter d’une nouvelle constitution et d’organiser des élections libres, honnêtes et démocratiques pour enfin passer le pouvoir à un gouvernement civil le 7 février 1988.


Discours et actions du CNG

Aux premières heures de leur investiture, l’allocution du Conseil National de Gouvernement (CNG) se voulait être un discours d’apaisement. Et, d’un accent bégayé, le général lit ce qui suit : « L’Armée ne nourrit aucune ambition politique et demeure au service des intérêts supérieurs de la Patrie ».

Cependant, en dépit de l’euphorie du moment, le discours du général n’avait pas pour autant faire l’unanimité, particulièrement au sein d’une partie de la population qui était en colère contre les macoutes, malheureusement ceux-là qui n’avaient pas eu la chance de se mettre à couvert contre la furie populaire.

Ce qui explique, pendant qu’une foule au Champs-de-Mars et ailleurs célébrait le départ du dictateur, d’autres gens étaient, par exemple, au cimetière de Port-au-Prince pour attaquer les tombeaux de l’ancien président François Duvalier dit Papa Doc et de l’ex-général de l’armée, Jacques Gracia. Plusieurs auteurs et journalistes qui commentaient les événements étaient unanimes à reconnaître que la journée était d’une part, pleine de réjouissance, et d’autre part, de violences accrues, de chasse et de pillages de certaines personnes soupçonnées d’être des macoutes ou de connivence avec le régime déchu.

Jusqu’avant les événements politiques de fin 1985 et du début 1986, sur la carte internationale, surtout pendant la deuxième moitié du 20e siècle, on avait toujours vu Haïti comme un pays politiquement stable ou le citoyen haïtien était présenté, en dépit de leurs états d’extrême pauvreté et de misère, comme un peuple docile et hospitalier. Mais la journée du 7 février 1986 avait permis de se faire une autre idée sur ce peuple. Il était en colère. Trop en colère même.

D’une part, manipuler par des leaders au discours violent, et d’autre part, animé de l’idée de vengeance contre les macoutes qui pendant vingt-neuf ans faisaient non seulement de sales besognes pour les dictateurs, mais aussi des abus personnels sur la population, ce jour-là, le peuple était très furieux contre les membres des VSN (Volontaires de la Sécurité nationale). Avec des pneus usagés, communément appelés « père Lebrun », des macoutes qui ont été pris en otage par la population étaient arrosés avec de la gazoline pour être brulés vifs. Des jeunes aussi bien des adultes, par ces actions empruntées de violence, ils présentaient au monde extérieur, des images horribles d’un peuple qui avait été pendant longtemps terrorisé par la dictature, spécialement les chiens de garde de ce système mafieux.

Comme l’avait fait le chef du gouvernement de transition, dans des stations de radios, des dirigeants des Églises catholiques et protestantes à travers des prêtres et pasteurs modérés aussi bien que des leaders de droits humains avaient appelé le peuple à la pondération. Étant donné que cette violence avait continué pendant toute la journée du 7 février, donc dans l’après-midi, un couvre-feu fut établi sur tout le territoire ou l’Armée et les agents de police essayaient de patrouiller la ville de Port-au-Prince.

Malheureusement, dans le cadre de protection des vies et des biens, les forces de l’ordre ne pouvaient pas, en même temps, intervenir dans tous les coins du pays, ainsi on a eu, nationalement, des dérapages. Le bilan était lourd en termes de pertes de vies humaines, biens et immeubles des membres du régime déchu. Certaines maisons aussi bien que des magasins soupçonnés d’appartenir à des macoutes et barons du régime furent saccagés et pillés. Il faut toutefois mentionner que certains macoutes, qui probablement étaient zélés ailleurs, mais bons enfants dans leurs quartiers, étaient épargnés par des voisins ou des jeunes dans leurs zones de résidences ou de fréquentations.

Entre-temps, le peuple, dans le cadre de leurs expressions de réjouissances, n’écrivait pas seulement sur les murs des slogans de : Vive l’armée, Haïti libérée ou deuxième indépendance, on pouvait aussi lire des slogans comme : Aba les macoutes, Aba Jean-Claude et sa femme, Michèle.

Au-delà de ces actes de violence regrettables, mais qui étaient, après vingt-neuf ans de répression, inévitables, le soulèvement qui avait conduit au départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986 était beaucoup plus profond qu’un simple changement de gouvernement ou de violence sur les macoutes.


Haïti après le 7 février 1986

À travers la résonnance des mouvements estudiantins, paysans, médiatiques (surtout avec Radio Soleil, la station de l’Église catholique) et des religieux avec le style de message révolutionnaire prêché dans leurs congrégations, particulièrement les jeunes prêtres de la Théologie de la libération, il était clair que le peuple haïtien voulait en finir avec la dynastie des Duvalier, vieille d’environ trente ans. Il voulait aussi une ‘révolution démocratique’ pour un changement politique d’abord, économique et social, ensuite.

Car, c’était un pays sans infrastructure, sans emploi, un système d’éducation désuet, un appareil judiciaire défaillant, un pays ravagé par une inégalité sociale et économique que laissait la dynastie des Duvalier.

Dans les mornes et les localités reculées, les paysans étaient abandonnés à eux-mêmes. La majorité de la population croupissait dans des bidonvilles sans accès aux services de base. En un mot, cette Haïti, finalement laissée par les Duvalier était, par rapport à d’autres pays dans la région, spécialement leur voisin de la République dominicaine qui partage la frontière, complètement en retard du point de vue de progrès et de développement.

Mis à part les deux routes nationales 1 et 2, l’accès aux localités reculées du pays restait à désirer. L’Haïti de l’après-Jean-Claude était encore presque au stade archaïque. Il n’y avait pas assez de centres de santé ou d’hôpitaux de référence, d’écoles primaires et secondaires pour les enfants, centres professionnels et universitaires pour les jeunes. L’état des maisonnettes soi-disant dans les grandes villes aussi bien que le style de vie des habitants étaient encore comme à l’époque de la guerre de l’Indépendance.

Donc face à ce constat accablant, l’attente du peuple haïtien vis-à-vis du nouveau locataire du Palais national était grande. Le gouvernement de transition avait du pain sur la planche. C’était un pays à reconstruire. Un État à refonder. Ce qui explique, au-delà de tous les discours creux et promesses fallacieuses des politiciens véreux, le besoin de sortir Haïti d’une dictature démoralisante pour passer à une transition démocratique était plus que jamais important. « Le moment d'euphorie populaire qui s'ensuivit coïncida avec celui du déchaînement des espoirs, de tous les espoirs ! Tous les rêves étaient permis. »

Mais, le gouvernement de transition, composé en majeure partie des officiers de l’armée d’Haïti était-il, en deux ans de mandat, en mesure de combler le fossé de presque deux cents ans d’inégalité socioéconomique entre ceux-là qui possèdent toutes les richesses du pays et ceux qui n’ont absolument rien. Le général, président du CNG, avait-il la capacité académique pour comprendre les enjeux ou les responsabilités incombant à son poste ? Le successeur de Jean-Claude Duvalier, avait-il de l’expérience de la gestion des affaires politiques, ou du moins, les moyens financiers pour entreprendre de grands projets d’infrastructure et de reconstruction ? Le nouveau locateur du Palais national, avait-il de la bonne volonté pour répondre aux attentes du peuple haïtien qui avait tant souffert, spécialement des vingt-neuf années de dictature des Duvalier ? Finalement, était-il en mesure de se conduire en vrai chef capable de prendre les bonnes décisions pour le pays ou, dans l’ensemble, était-il, comme celui il a succédé, à savoir une marionnette facile à être influencé et intimidé par l’oligarchie haïtienne et leurs alliés de la communauté internationale ? C’étaient autant de questions pour le général président.

Bref, en attendant des réponses convaincantes à ces questions pertinentes, immédiatement après le départ de Duvalier, le Conseil National de gouvernement avait pris quelques grandes mesures par exemple : le retour du bicolore bleu et rouge le 17 février 1986, la dissolution du corps des Volontaires de la Sécurité nationale (VSN) crée par le docteur François Duvalier, et le jugement de certains membres zélés de l’ancien régime, tels que Samuel Jeremy et Luc Désir, etc.

Mais, si ce maquillage politique avait permis à certains d’espérer à un changement de programmes socio-économiques pour les gens dans les quartiers populaires et de grands projets de reconstructions pour le pays en général, par contre, certains acteurs politiques qui connaissaient l’histoire des militaires haïtiens, ils n’avaient pas fait confiance à ces hommes en uniforme au pouvoir. Surtout, quand on sait ils étaient tous des cadets qui avaient non seulement suivis des formations aux États-Unis, mais qui avaient aussi fait toutes leurs carrières durant la dynastie des Duvalier, donc espérer de quelques choses positives pour le pays par des militaires qui avaient des affinités avec le statu quo local et international, serait de la naïveté.

N’empêche, quant aux optimistes qui rêvaient d’un changement sociopolitique et économique dans le pays, par les gestes de dissoute le Corps des VSN, le retour des couleurs du drapeau bleu et rouge, suivis de belles promesses d’un général qui avait l’air d’un bon enfant, ils pensaient que le régime militaire de transition allait converger toutes les forces vives, internes et externes, de la nation permettant d’aboutir au consensus nécessaire pour avancer vers la stabilité politique et la prospérité économique.

Mais, après le slogan de « Banboch demokratik » du président du Conseil national de gouvernement, sinistrement, avec la tuerie des manifestants le 26 avril 1986 par-devant la prison de Fort Dimanche, du massacre de l’été 1987 contre des manifestants qui protestaient les décrets de la loi électorale du gouvernement, suivi du massacre de Jean Rabel pour ne citer que ceux-là, le pays était malheureusement très mouvementé de faits négatifs. L’envie du pouvoir par la violence, c’était cette haine de l'âme méchante de certains Haïtiens qui poussait des militaires et des attachés, même après le 7 février 1986, à continuer dans des sentiers obscurs et ténébreux du crime, à savoir : faire couler le sang des gens. Et par ce comportement démoniaque de ces fils de vipères, il était évident que la tangente à cette courbe tracée du sang des combattants n’était pas celle qui, définitivement, allait déboucher sur le grand boulevard de la démocratie.

Effectivement, Haïti avait connu des bouleversements comme : protestations de rues des manifestations, persécutions, arrestations et assassinats des leaders communautaires politiques. Face à ce renouement et obsession à la violence des militaires et attachés, des associations des travailleurs, des organisations d’étudiants, elles aussi, n’avaient pas épargné à cette forme de répression d’un régime tortionnaire sans Duvalier. Parmi ces assassinats, ce qui illustre le mieux cette affaire, c’est celui de l’avocat, l’ancien militaire et homme politique Yves Volel en octobre 1987 au grand jour par-devant le Grand Quartier Général de la Police de Port-au-Prince. Cet assassinat, inutile comme tous les autres, portait la marque fabrique des militaires et de leurs alliés attachés qui refusaient de se détacher de l’ordre ancien fait d’un pouvoir machiavélique.

Mais, de tous ces actes de violence qui, avec pour objectif de déstabiliser la société et empêcher les élections programmées pour novembre de la même année, le gouvernement de transition avait d’autres plans beaucoup plus macabres dans leur arsenal. Puisque, avec la complicité des nostalgiques duvaliéristes et des militaires en civil à bord des voitures pick-up, cagoulés, munis de leurs armes automatiques et des machettes, le 29 novembre 1987, les nostalgiques du pouvoir blessaient et tuaient les votants dans les bureaux de vote pour une fois de plus, endeuillé, ensanglanté la famille haïtienne. Ainsi se matérialisait ce que, dans les premiers jours du gouvernement de transition, redoutaient certains analystes et critiques de l’époque : le refus pour le duvaliérisme sanguinaire d’accepter la marche évolutive de l’histoire du nouvel ordre mondial.

Au lendemain du lundi 30, les notes de presse, communiqués, déclarations et indignation n’avaient pas cessé de faire d’actualité dans les médias locaux. Encore une fois, la classe politique était divisée. Des leaders politiques, associations étudiantes, organisations paysannes et religieuses ont fustigé le régime militaire. Ils n’avaient pas marchandé leurs mots en rendant les militaires responsables du massacre du 29 novembre. Alors que d’autres politiciens, les nostalgiques du présidentialisme avaient recommencé avec leur tactique du double langage et du discours codé. Questions de mieux se positionner ou d’avoir la bonne grâce des militaires dans les prochaines élections.

Entre-temps, pour protester la tuerie des macoutes et des militaires contre les votants dans les bureaux de vote, des candidats aux élections présidentielles et chefs de partis ont formé le Comité d’Entente démocratique (CED). Se retrouvaient dans cette organisation Marc Bazin (MIDH), Sylvio Claude (PDCH), Gerard Gourgue (Groupe des 57), Louis Dejoie (PAIN). Dans une note de presse conjointement signée, ils refusaient de participer aux prochaines élections que devait organiser un CEP totalement sous la dominance du régime militaire. Décision qui dans une certaine mesure faciliter dans un premier temps l’agenda du régime militaire et dans l’autre, certains candidats qui, avec la présence de ces messieurs dans un scrutin, seraient incapables de faire une différence. Avec le retrait des candidats de poids comme Gérard Gourgue, Sylvio Claude et Marc Bazin, il était donc plus facile pour les militaires de manipuler les prochaines joutes au profit de leurs poulains.

Une fois le CEP dissout par le président du CNG, ses membres étaient obligés de se mettre à couvert. Le président du CEP, professeur Ernest Mirvil était à l’aéroport pour voyager, lorsque son passeport a été confisqué par l’officier de l’immigration. Juste le temps de quitter l’aéroport, professeur Mirvil se mettait à couvert. Dans un premier temps, il essayait l’ambassade du Venezuela, c’était fermé. Ensuite, c’était l’ambassade d’Allemagne, qui elle aussi, était fermée. Finalement, c’était à l’Institut français que Mr Mirvil, grâce à un contact, s'était réfugié. Encore avec l’aide d’autres contacts, son passeport était finalement récupéré des agents de l’immigration. De décembre 1987 jusqu’au mois de mars 1988, le président du CEP dissout, résidait dans l’ambassade. C’était dans le marquis qu’il avait suivi les élections frauduleuses qui avaient emmené Lesly François Saint Roc Manigat au pouvoir. Selon Mr Mirvil, des patients de maladie mentale à l’hôpital de Sigueneau étaient emmenés de force pour voter le candidat Manigat.


Les élections du 17 janvier 1987

Le contexte politique dans lequel le gouvernement militaire était arrivé au pouvoir, donc il était naturellement dans l’obligation d’organiser le plus rapide que possible les élections générales de sorte que le 7 février 1988 la transition du pouvoir politique puisse se faire à un gouvernement élu.

Donc forcé par la communauté internationale à passer le pouvoir à un gouvernement civil, comme c'était adressé dans leurs premiers discours, le régime militaire du général Henri Namphy était obligé dans moins de deux mois d’organiser des élections générales. Mais quelle élection ?

Contrairement aux normes démocratiques, en peu de temps, et ceci de façon manu militari, un Conseil électoral a été mis sur pied pour organiser les élections du 17 janvier 1988. Une fois les militaires avaient le contrôle du nouveau CEP pouvant organiser des élections truquées au profit de leurs candidats comme cela avait toujours été fait dans l’histoire du pays, l’assurance de sécurité a été donnée aux candidats et électeurs. ‘’Le général Henri Namphy, alors qu’un journaliste étranger lui demandait comment l’Armée a pu rester aussi passive face au massacre des votants, le 29 novembre 1987, a répondu : on ne savait pas qui tirait sur qui, mais rassurez-vous, quand l’Armée prendra les choses en main, tout sera sous contrôle. Cette phrase est assez explicite pour se passer des commentaires. Tenant la parole, le 17 janvier 1988, l’Armee prit les choses en main pour servir à la nation sa farce électorale. Tout s’est déroulé dans la plus grande sécurité » (2).

Le 7 février 1988, un gouvernement civil, incluant un président, des députés et sénateurs assuraient la transition et du même coup permettaient à Haïti de connaitre son premier gouvernement civil de l’après Duvalier. Ainsi prendraient fin les deux ans du régime militaire. Le gouvernement de transition, spécialement le général qui le présidait, avait, après les élections avortées du 29 novembre 1987 et la mascarade électorale de janvier 1988, comme les militaires qui avaient organisé les élections de 1957, raté la chance de conduire son pays vers la démocratie. Le général qui était chouchouté par toute la population au moment de prendre la parole tôt dans la matinée du 7 février 1986 comme président du Conseil National de Gouvernement, pouvait, deux ans après, faire toute une différence en Haïti. Malheureusement, il n’était pas différent des militaires qui l’ont précédé au timon des affaires de l’État. En sortant par la petite porte, le général avait laissé à l’histoire de le juger comme quelqu’un qui était mal avisé de la chose publique de son pays et du monde politique international. En un mot, le général-président avait sacrifié le rêve du 7 février 1986. Comme tant d’autres dirigeants haïtiens, il était minablement échoué. ‘Le général Henri Namphy qui dirigea le Conseil National de gouvernement à la chute de Duvalier, avait toutes les chances d’entrer dans l’histoire par la grande porte. Il choisit de sortir sortir par la petite » (3).


L’échec du CNG, le début d’une longue transition

Ainsi, le régime militaire de l’après 1986 avait piteusement échoué. Il l’était du fait que les militaires étaient non seulement des marionnettes entre les mains de l’oligarchie locale et internationale, mais aussi, du fait qu’ils étaient incapables de comprendre que le soulèvement qui avait conduit au départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986 était beaucoup plus profond qu’un simple changement de gouvernement. Dans leurs revendications, les masses défavorisées étaient dans les rues pour réclamer d’un leader moderne, avec de grandes visions, d’un nouveau contrat social. En un mot, le peuple se voulait d’un leader capable, à travers de l’idéal Dessalinien, de comprendre leurs aspirations politiques, économiques et sociales.

Il ne faisait pas de doute que réussir une transition démocratique en Haïti, devait, inévitablement, inclure la participation de l’armée d’Haïti, non seulement par ce qu’elle, à l’époque, contrôlait le pouvoir exécutif après le 7 février 1986, mais encore parce qu’elle était le seul garant de la sécurité nationale. Malheureusement, les premiers mois de gouvernance avaient rapidement fait remarquer que l’institution militaire n’était pas une force sur laquelle le peuple haïtien pouvait compter dans le processus démocratique.

En analysant la possibilité du Conseil National de gouvernement de réussir dans l’Haïti post Duvalier, bien entendu après une absence de 29 ans sur la scène politique, Gérard Bathélémy, dans son livre Les Duvalieristes après Duvalier, déclare « Le 7 février 1986 a ravivé les aspirations des militaires haïtiens. Cette date, importante pour l’armée d’Haïti, a dissipé sa nostalgie qui remonte à l’époque ou Paul E. Magloire faisait ‘la pluie et le beau temps’. En ce temps-là, le colonel Magloire nomme et révoque les chefs d’État à son gré. Si pendant 30 ans l’armée d’Haïti a gardé religieusement ses casernes sans franchir les limites de ses droits et devoirs, c’était pour attendre, en silence, l’exaucement de sa prière faite avec ferveur : que son règne vienne pour que sa volonté domine sur le pouvoir exécutif et judiciaire. D’ailleurs on précise volontiers que, seul, François Duvalier avait su mater cette institution et la maintenir en dehors du jeu politique. » (4)

L’auteur cite aussi Frantz Merceron qui était l’ancien ministre des Finances de Jean-Claude Duvalier. Selon l’ancien collaborateur du dictateur : « L’armée d’Haïti est peu préparée à diriger un pays. Ses effectifs limités, contrôlée et tenue à l’écart pendant 29 ans par un civil fort et méfiant assisté de ses miliciens, sans aucune expérience politique, mais bardée dans ses certitudes d’un duvaliérisme sans failles, telle est l’Armée d’Haïti à qui le pouvoir échet en 1986. » (5)

L’institution militaire, comme presque toutes les armées dans des pays en voie de développement, a toujours joué un rôle important aux affaires politiques de leur pays. Quand elle n’est pas à l’avant- scène de la politique, elle s’est fait, parfois, marionnette des pouvoirs civils. Dans le cas d’Haïti, c’était le même constat pour les membres des Forces armées d’Haïti (FAd’H).

Depuis leur création, l’armée d’Haïti avait toujours joué un rôle important dans les affaires politiques du pays. Ainsi, depuis l’épopée de Vertières en 1803 jusqu’à leur démantèlement en 1995 par le président Aristide, c’était la décadence. L’histoire des forces armées d’Haïti était faite de coups d’État, de complots, d’arrestations arbitraires et d’assassinats exécutés par des militaires qui se comportaient, dans bien des cas, comme des bourreaux et hommes de main de certains régimes des dirigeants assoiffés de pouvoir. À tous les niveaux hiérarchiques de l’armée, c’est- à- dire du grade de caporal à l’échelon de l’état-major, le militaire haïtien était corrompu. « L’armée est organisée en pratique, non en théorie, mais sur la base de la corruption. En d’autres termes, la corruption se retrouve dans le processus à tous les niveaux, depuis les promotions jusqu’aux nominations en passant par la routine quotidienne de la vie militaire. » (6), écrit l’ancien général Prosper Avril dans son livre la Genèse des Forces Armées d’Haïti.

Il était donc évident que l’armée avait été à la fois victime et bourreau durant les deux régimes des Duvalier, mais celui qui présidait le régime de transition avait eu de l’admiration de la population. On assiste donc après le 7 février, une certaine tolérance de la population en faveur du général président. « Dans une large mesure en tant qu’institution, l’armée a été une victime de la dictature duvaliériste même si elle a aidé à consolider celle-ci. En 1986, elle aurait pu se racheter : la population lui a su gré de s’être associée au processus de renversement de Jean-Claude Duvalier et le Général Namphy au début, s’était vu attribuer le surnom de ’chouchou. » (7)

Il est vrai qu'après le 7 février 1986 les attachés avaient refusé de se détacher du pouvoir. Il est aussi vrai que les militaires n'avaient pas vraiment eu un accord pouvant accorder tous les fils du pays à un grand mouvement de rassemblement, mais chercher à comprendre la transition démocratique en Haïti après cette date historique, c'est, comprendre d’abord sa définition et ensuite voir si elle était applicable dans un pays qui confrontait des problèmes politiques, économiques et sociaux aussi saillants comme celui d’Haïti d’alors. « La transition démocratique se rapporte à un processus politique du mouvement visé à établir un système politique démocratique. Lancé ou de ci-dessus ou ci-dessous ou d'une combinaison de tous les deux, elle permet la négociation et le compromis parmi différentes forces politiques pour la résolution des conflits sociaux. Institutionnalisant les structures et les procédures pluralistes, elle permet à différentes forces politiques de concurrencer pour le pouvoir, régularisant son transfert, et s'engageant dans la transformation fondamentale de la structure politique. Elle s'étale en général sur plusieurs années et des contextes très différents. »

De plus, chercher à comprendre l’échec des militaires qui avaient assuré la gestion du pouvoir politique de transition après le 7 février, c’est chercher à comprendre le mode de pensée de l’époque et leur application dans le modus operandi du gouvernement de transition pendant leurs deux ans de mandat.

À priori, quels étaient les moyens utilisés par les autorités haïtiennes pour atteindre l’objectif démocratique ? 2. Pouvaient-ils, dans une certaine mesure, répondre à une ‘’rationalité démocratique’’ ? 3. À l’époque, existait-il une quelconque stratégie de transition démocratique générale applicable à tous les pays ? 4. Si c’était non, les autorités haïtiennes étaient-elles obligées de procéder ou à suivre un processus selon les exigences et contextes internationaux du moment ? 5. Ou bien, avaient-elles utilisé des moyens adéquats pour faire fonctionner la société haïtienne selon sa culture et réalité politique, tout en tenant compte, bien entendu, de la valeur des normes et standard démocratiques ?

Dans son texte, Transition démocratique d’un pays : quelques précisions théoriques Paris, 2005, Nathalie Cooren écrit que la transition démocratique comprend deux phases :

1-La transition politique, qui désigne le ‘’passage d’un régime à un autre’’.
2-La consolidation de la démocratie durant laquelle le défi majeur consiste à assurer une évolution relativement stable du processus démocratique engagé dans la transition.
Pour parvenir à cette transition démocratique, condition indispensable à la survie de stabilité du pays, le Conseil National de Gouvernement (CNG) devrait tenir compte des expériences du passé surtout dans un contexte aussi volatil de l’après 7 février 1986, pour enfin divorcer avec les anciennes pratiques du jeu politique macabre établi par des politiciens traditionnels. Un tel rejet aurait le noble objectif de préparer le terrain propice pour l’apparition sur la scène politique de nouveaux acteurs équipés de nouvelles méthodes de changements et de nouvelles configurations stratégiques. Selon Cooren, « cette transition est complète lorsqu’un gouvernement arrive au pouvoir comme le résultat direct du suffrage libre et populaire, quand ce gouvernement dispose d’un pouvoir souverain pour générer de nouvelles politiques publiques, et quand les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, nés de la nouvelle démocratie, n’ont pas à partager le pouvoir avec d’autres corps de droit. » (8)

Quant au processus de consolidation, il implique, dans le cadre des règles du jeu politique désormais bien définies, non seulement une redistribution des cartes politiques, mais encore de nouvelles tactiques de jeu. Dans cet ordre d’idée, « La gestion des conflits par voie démocratique ne saurait être entendue comme l’élimination du conflit. » Étant le ‘’corner stone’’ ou les ossatures même’’ de la démocratie, les élus et responsables d’Haïti devraient, tout en œuvrant au renforcement des institutions étatiques, prôner la tolérance, initier et encourager le dialogue aussi bien que le compromis entre les partis opposés. Toute démarche démocratique devrait permettre la participation des divers intérêts politiques en présence, laissant à l’ensemble des acteurs la possibilité de trouver, sans violence ou animosité, une voix d’expression.

Étant aussi un élément primordial dans le cadre de survie et de consolidation de la démocratie du pays, l’initiation et l’encouragement du système pluraliste politique devrait donc être une priorité des autorités haïtiennes. ‘’Autrement dit, les gouvernements en place doivent garantir efficacement le maintien du régime démocratique avec le soutien, à la fois de la société civile et des autres acteurs politique’’. (9)


Les stratégies de transition démocratique

Toujours selon Nathalie Cooren "L’évolution du pays vers la démocratie et les principes de l’État de droit s’accélèrent depuis la fin des années 90 par l’application des nouvelles réformes radicales sur le plan institutionnel, politique et social’’ (10). C’était exactement pendant cette période que les gouvernements d’Haïti (post-duvalier) devraient, en quelque sorte, dynamiser la transition démocratique et capitaliser sur la priorité du moment qui était d’organiser des élections. Dans le cadre d’une conception nouvelle, ils devraient rompre avec l’ordre ancien de statu quo et de violations de droit de l’homme. Comme parmi les acquis de 1986, la presse était déjà en son plein épanouissement de liberté d’expression et d’opinion, l’autre priorité d’alors était de renforcer les lois sur les partis politiques ainsi que des réformes juridiques, économiques et sociales.


Renforcement des institutions démocratiques

‘’La persistance des tensions politiques et le non-respect des institutions nationales risquent d'avoir de graves conséquences sur l'économie et la coopération internationale’’, disait un Premier ministre haïtien. Donc, une fois parvenu à la concrétisation d’efforts concertés, il était d’ordre prioritaire, dans le cadre d’une continuité, tant pour les militaires qu’aussi bien pour les gouvernements sortant des élections, de manifester la volonté de couper court à la violence, aux coups d’État, aux assassinats politiques du passé et de tourner la page avec plus de garanties d’une rupture irréversible. Cette stabilité politique devrait avoir pour conséquences l’échéance des calendriers électoraux, le respect du renouvèlement constitutionnel et démocratique des élus, et du même coup, la création d’un climat de confiance sécuritaire pour que les investisseurs haïtiens et étrangers puissent investir au pays et faciliter une création d’emplois durables.


La transition et la consolidation de la démocratie

La transition et la consolidation de la démocratie constituent donc deux processus qui évoluent en fonction du choix des principaux acteurs sur la scène politique. Ces deux moments s’inscrivent, on l’a vu, dans des contextes différents et induisent, pour les acteurs, des enjeux distincts. Mais ces deux situations sont tout de même intimement liées. En fait, on ne peut prétendre appréhender le processus de consolidation de la démocratie sans tenir compte de la situation de crise précédant la transition et des conditions qui ont entouré le processus de transition politique lui-même, a affirmé Nathalie Cooren.

Réussir la transition démocratique impliquerait la mise en œuvre des pratiques et consignes de la communauté internationale selon les pré-requises et concepts de nouvel ordre mondial. ‘’Car qui finance, commande’’, dit-on. Une rupture avec le régime dictatorial pour tourner vers la transition démocratique n’était pas possible sans le support et la bonne volonté des amis internationaux d’Haïti. Donc il convient de souligner que, en dépit des théories et méthodes sur la transition démocratique, la communauté internationale avait un rôle primordial à jouer. ‘’Cet espoir dépend également de la communauté internationale, qui devra repenser sa coopération, en réduire les gaspillages et les dysfonctionnements et en accroître l'efficacité au bénéfice des plus pauvres’’. Malheureusement, au lieu d’aider à ce processus, l’international a, au contraire saboter toute tentative de démocratie en Haïti.

Construire un état de droit avec renforcement des mesures et fonctions régaliennes nécessitait la mise en place par les autorités haïtiennes des institutions viables et crédibles pour de très bonnes élections avec la participation des leaders responsables et engagés. Dans de telles conjonctures, le nouvel état de droit devrait, d'entrée de jeu, accorder une priorité maximale aux valeurs fondamentales du système de la démocratie républicaine. De fait, Haïti devrait dès lors se doter des institutions sociales et politiques supposément capables de le rendre opérationnel pour accomplir les missions qui lui sont confiées. La création d'institutions sociales comme, entre autres, l'Office de protection du citoyen, la révision de certaines institutions politiques telles que le Parlement, l'étendue de ses pouvoirs et son articulation avec l'Exécutif devenu bicéphale, sont des exemples concrets qui témoignent, du même coup, du régime politique choisi (11).

Tel n’a pas été le cas. Après le massacre de la ruelle Vaillant le 29 novembre 1987, suivi des élections frauduleuses du 18 janvier 1988, et les coups d’État répétés des militaires, on avait l’impression que tous les efforts que le peuple haïtien avait consentis dans le cadre du processus démocratique étaient sapés par des militaires, des hommes politiques et alliés locaux et internationaux. Puis, vint l’émergence d’un jeune prêtre aux affaires politiques. Il était porteur d’espoir. Mais, du rêve assassiné des élections du 16 décembre 1990 avec le coup de force des militaires le 30 septembre 1991, Haïti continue de faire face aux crises institutionnelles et structurelles de toutes sortes.

Depuis, toutes les élections en Haïti se débouchaient toujours sur une crise postélectorale. Mais de toutes les mauvaises élections, celles de 2010 et de 2016 sont deux catastrophes électorales les plus désastreuses que connait le pays. Elles sont si dévastatrices pour le pays, à tel enseigne que le peuple haïtien en général, les considèrent comme une tempête de catégorie 5 qui s’était abattue sur Haïti

Ainsi, du président compas au ‘’nèg bannan’’, les inondations, éruptions volcaniques, et mouvements de terrain sont les cataclysmes politiques les plus désastreux que connait Haïti pendant les dix dernières années.

Entre-temps, inondée par les immondices de cette violente tempête qui s’était abattue et continue encore de s’abattre sur Haïti, sans des mesures de sécurité, la population abandonnée à elle seule, patauge dans les eaux sales et boues de kidnapping imposées par les bandits légaux en fonction et alliés dans les quartiers populaires.

Plus que cela change pour un petit groupe d’affairistes politiques et économiques, plus que le peuple est dans la merde puisque, comme des insectes nuisibles, avec acharnement, ces professionnels de la presse et autres institutions corrompues font leurs capitaux à partir de cette tempête et les montagnes d’ordures qui s’abattent sur le pays. Chaque jour, ces insectes, vecteurs de maladies contagieuses qui tuent le pays, tout en dérangeant le sommeil de paisibles citoyens, font beaucoup de bruit dans leurs micros autant que font leurs alliés dans des émissions à grandes écoutes de certains médias dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

Comme résultats, plus de trente ans après cette date historique du 7 février 1986, l’attente du peuple haïtien n’arrive pas à être comblée

Cette attente ne peut pas être comblée quand il y a toujours de mauvais larrons sur le chemin d'Haïti à chaque fois qu’elle tente de rompre avec l’habitude du passé.

Plus de trente ans après le rêve démocratique qui avait poussé les Haïtiens à prendre les rues pour dire à bas la dictature, malheureusement, ce mouvement populaire a fait place au cauchemar, à la peur, à l’occupation des forces multinationales, à la déstabilisation des institutions étatiques, à l’opportunisme politique, à l’insécurité, à l’invivabilité, à la corruption, au détournement des fonds du Trésor public, à l’ingérence de l’international dans les affaires politiques du pays, au gangstérisme, au propagandisme, au banditisme et au terrorisme d’État.

Ce qui fait, à l’échelle internationale, Haïti est considérée comme un État en faillite. Mais, pourquoi Haïti est-elle si instable et si appauvrie en ressources naturelles, humaines et en moyens économiques ? Beaucoup de commentaires et d’analyses d’experts peuvent, chronologiquement, répondre, et ceci à leurs façons, à cette question. Mais il n’est pas sans savoir que depuis l’expérience démocratique initiée au pays après le 7 février 1986, à travers des massacres, des coups de force, cet idéal a été saboté par les grandes puissances de l’impérialisme occidental.

Et elles continuent de punir Haïti pour son arrogance historique de se proclamer une république indépendante face à l’impérialisme occidental. C’est cette arrogance qui avait permis et qui permet encore aujourd’hui d’asphyxier le pays politiquement et économiquement. En étouffant Haïti de cette façon, ces colons du temps moderne voulaient non seulement ridiculiser l’épopée de Vertières, aussi, par la même occasion, ils voulaient rappeler à tout petit pays qui voulait être indépendant de regarder l’état actuel d’Haïti.

Peu importe, il est inconcevable que les masses pataugent dans la misère la plus abjecte pendant que, comme des rapaces, des hommes d’affaires venus d’horizon divers ont accaparé toutes les richesses du pays.

De plus, il est plus qu’inconcevable que des familles à elles seules contrôlent toutes les richesses du pays pendant que le reste de la population n’a absolument rien.

Donc, basé sur un programme de changement des conditions de vie des masses dans les quartiers populaires et des paysans de l'arrière-pays, le prochain gouvernement de transition devrait accorder la priorité aux problèmes de l’insécurité; de l’emploi; de la réforme agraire; de l’engrais pour la croissance des plantes; de programme d'irrigation et de drainage des terres de fermage; de matériels agricoles modernes pour les agriculteurs; d’assurance de soins médicaux, d'éducation gratuite, mais surtout de qualité pour les enfants des classes défavorisées, de l’augmentation de salaire pour les ouvriers, programme d’alphabétisation, perception de frais d’importation, de la hausse des impôts pour les riches, de renforcement des institutions de l’État, et de la bonne gestion des affaires publiques pour que des élections crédibles puissent organiser dans le pays.



Prof. Esau Jean-Baptiste


Références
_____________________
1-Daniel Roussiere, Jenane Rocher, Gilles Danroc. Les élections du 29 novembre 1987. La démocratie ou la mort. Bibliothèque Nationale d’Haïti
2-Herold Jean-François. Le Coup de Cédras.
3-Robert Malval. L’année de toutes les Duperies
Imprimerie Le Natal S.A, Port-au-Prince, Haïti, juillet 1996, pp.32-33
Imprimeur II, pp 271, 272
4&5-Gérard Barthelemy. Les Duvalieristes après Duvalier
Éditons l’Harmattan 1992
6-Prosper Avril. La Genèse des Forces Armées d’Haïti.
L’Armée d’Haïti, Bourreau ou Victime ?
Imprimerie Le Natal S.A., octobre 1997
7-Mirlande Manigat. Traité de Droit Constitutionnel Haïtien Volume 2
Université Quisqueya, Port-au-Prince, Haïti
8, 9, 10 & 11-Nathalie Cooren-Transition démocratique d’un pays : quelques précisions démocratiques
Bernard Diederich, Al Burt. Papa Doc et les Tontons Macoutes, La verite sur Haïti. Edit ions Abin Michel, 22 Rue Huyghens, Paris
Esau Jean-Baptiste. 7 février 1986- 7 février 2015, Vingt-neuf ans d’échec démocratique. Éditions dédicaces. 2015
Garry Hector, Herard Jadotte. Haïti et l’après Duvalier : continuités et ruptures. Éditions Henry Deschamps/CIDIHCA, 1991
Jean Alix René. La Séduction Populiste, Essai Sur la Crise Systematique Haïtienne Et le Phenomène Aristide (1986-1991) Bibliothèque Nationale d’Haïti, 2003
Laennec Hurbon. Comprendre Haïti, Essai sur l’État, la nation, la culture. Éditions Karthala, 1987
Marcel Painchaud. Introduction à la vie politique
Michel Soukar, Entretiens avec l’histoire (Tome 5)

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