La République populaire de Chine pratique-t-elle la diplomatie du piège de la dette?

Le dernier article dont nous avons signé s'intitule “La pertinence du maintien des relations diplomatiques entre Haïti et la République de Chine (Taïwan).”Après cet article, je devrais signer un autre, cette fois-ci sur La Chine populaire dans le but d'attirer l'attention des dirigeants actuels et futurs de bien réfléchir sur le choix diplomatique d'Haïti.

D’entrée de jeu, en  automne 2013 le Gouvernement chinois a dévoilé la nouvelle route de la soie. Een 2017, ce projet d'envergure a pris un nouveau nom:    Initiative ceinture et route (Belt and Road Initiative, BRI selon l’acronyme anglais). Cette dite route est à la fois un ensemble de liaisons maritimes et de voies ferroviaires entre la Chine et le reste du monde.Elle est l'une des priorités de la diplomatie chinoise et aussi le "grand projet politico-économique" de Xi Jinping(*).

 

Regard sur ce qu'est ''la diplomatie du piège de la dette''

John-Adams  avant  sa mort a dit : « Il y a deux façons de conquérir et d'asservir un pays : l'une est par l'épée ; l'autre est par l'endetté. Il paraît que  La République populaire de  Chine a choisi la deuxième voie en adoptant les pratiques de l'ère coloniale et est rapidement devenue, peut-être, le plus grand créancier officiel du monde.(*)

En effet, le géostratège, intellectuel public, chroniqueur et auteur sur les affaires géostratégiques, professeur d'études stratégiques au Center for Policy Research de New Delhi a inventé le terme "diplomatie du piège de la dette" pour décrire comment le gouvernement de la République populaire de Chine tire parti du fardeau de la dette des petits pays à des fins géopolitiques (*). Il a vu la « diplomatie du piège de la dette » dans la gestion par la Chine du surendettement de plusieurs pays à travers le monde, particulièrement du Sri Lanka en reprenant son port de Hambantota sur un bail à long terme de 99 ans(*).

La thèse s'est répandue et a commencé à être largement utilisée, devenant "quelque chose se rapprochant de la sagesse conventionnelle." C'est dans cet esprit, par curiosité, j'ai découvert plusieurs rapports montrant plus d'une vingtaine de pays qui ont pris, peut-être, de manière volontaire ou involontaire à ladite "diplomatie du piège de la dette."(*)

La République populaire de Chine, depuis un certain temps, est le plus grand créancier officiel du monde, mais nous manquons de données de base sur les termes de manière concrète. Toutefois, de nombreuses recherches prestigieuses ont révélé des pratiques non conforme aux règles des prêts à l'échelle mondiale. À titre indicatif, ''AidData'' a effectué une recherche systématique dans les systèmes de gestion des informations sur la dette, les registres officiels et les sites Web parlementaires dans 200 pays afin d'identifier tous les contrats de prêt accessibles au public entre les institutions gouvernementales chinoises (et les banques publiques) et les pays à revenu faible et intermédiaire.

 À ce jour, cette recherche a identifié 100 contrats de prêt chinois dans 24 pays d'Afrique, d'Amérique latine, d'Asie-Pacifique, d'Europe de l'Est et d'Océanie. Les chercheurs ont  comparé avec ceux d'autres créanciers bilatéraux, multilatéraux et commerciaux.(*) Trois idées principales se dégagent. Premièrement, les contrats chinois contiennent des clauses de confidentialité inhabituelles qui empêchent les emprunteurs de révéler les termes ou même l'existence de la dette. Deuxièmement, les prêteurs chinois recherchent un avantage sur les autres créanciers, en utilisant des accords de garantie tels que des comptes de revenus contrôlés par le prêteur et des promesses de garder la dette hors de la restructuration collective. Troisièmement, les clauses d'annulation, d'accélération et de stabilisation des contrats chinois permettent potentiellement aux prêteurs d'influencer les politiques intérieures et étrangères des débiteurs (*).

Cependant, ces prêts ne sont pas dus à des organisations internationales opérant sous responsabilité publique, mais directement au gouvernement chinois. Sans méthodes transparentes d'allégement de la dette, si et quand ces pays ne remboursent pas leurs prêts, ils se retrouvent endettés envers la Chine et politiquement faibles pour résister aux demandes potentielles de ressources stratégiques ou de soutien diplomatique (*)

Dans une émission  sur  Consumer News and Business Channel   (CNBC) un spécialiste en économie a déclaré que “les investissements chinois en Amérique latine avaient explosé et que le projet avait été fortement critiqué au milieu d'allégations de "la diplomatie  du piège de la dette" et de néocolonialisme(*). Ces inquiétudes ont été prononcées, notamment au Venezuela et en Équateur(*).  Une étude de 2019 compilée par le Global Development Policy Center de l'Université de Boston a déclaré que les prêts chinois n'ont pas poussé les pays d'Amérique latine, à l'exception peut-être du Venezuela.(*)

Si nous regardions le Sri Lanka et Djibouti , qui ont tous deux reçu des investissements dans des projets de la Chine. Ces 2 pays ont lourdement endetté. En 2017, le Sri Lanka a fait défaut sur ses prêts avec la Chine et a offert son Port stratégique de Hambantota en échange d'une annulation de dette. Djibouti, dans un effort pour compenser sa dette envers la Chine, abrite désormais la seule base militaire chinoise à l'étranger(*).

 

Qu'en est-il de l'Argentine et l'Équateur ?

L'Argentine s'est vu refuser l'accès et la surveillance d'une station de suivi par satellite chinois sur son territoire(*). Quant à l'Équateur, en mars 2019, il a accepté d'emprunter 4,2 milliards de dollars américains au FMI, à un coût de 6 % de son PIB annuel, tout en restant endetté de 6 milliards de dollars américains auprès de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement (*). L'Équateur a accepté de vendre 80 à 90 % de son pétrole brut à la Chine jusqu'en 2024 en échange de 6,5 milliards de dollars de prêts chinois(*).

 

Haïti devrait-elle tirer leçon de ''la diplomatie du piège de la dette chinoise?

Certains hommes politiques haïtiens voudraient évincer Taïwan à tout prix sur le terrain diplomatique à Port-au-Prince, en cas où ils auraient pris le pouvoir. Toutefois, peut-être, ils ne savent guère derrière ces contrats opaques certains chercheurs ont découvert des clauses de confidentialité qui se sont déjà avérées dramatiques pour  pour plus d'une vingtaine d'États dans le monde.

À titre illustratif, des chercheurs du College of William and Mary ont constaté que l’octroi de prêts n’a pas d’effet positif sur la croissance économique. Et, pour les pays bénéficiaires, les prêts peuvent être difficiles à rembourser, ajoutent-ils. Le Sri Lanka, par exemple, a été contraint de céder l’un de ses ports à la Chine pour un bail de 99 ans parce qu’il avait du mal à rembourser ses emprunts.

C’était également le cas de Monténégro, en avril 2021, le Premier ministre du Monténégro a demandé à l’Union européenne (UE) d’aider le pays à rembourser le prêt de 1 milliard de dollars accordé par l’Exim Bank of China en 2014 pour financer l’ autoroute A-1 ; il représentait environ 25 % de la dette extérieure du Monténégro(*). Aux termes du prêt, la Chine recevrait des milliers d’hectares en cas de non-paiement. Le projet a été qualifié d’irréalisable et non économiquement viable dans deux études de faisabilité réalisées par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et la Banque européenne d’investissement, la justification de l’UE pour refuser de le financer(*). Avec un coût estimé à 23,8 millions de dollars par kilomètre, c’est l’une des autoroutes les plus coûteuses au monde(*).

Pierre-Christophe Pantz Docteur en Géopolitique a dit: "On a un retour d’expérience des conditions qui ont été attribuées à tous ces prêts, à toutes ces aides et on voit bien dans la plupart des cas que parmi ces aides qui ont tendance à surendetter certaines petites îles du Pacifique, ce sont des conditions où ces états sont obligés d’abandonner certains éléments de souveraineté et de territoire."

En definitive, le terme “ diplomatie du piège de la dette” a été inventé par le géostratège Brahma Chellaney pour décrire ce qu'il a appelé les pratiques de prêts prédatrices de la Chine , qui accablent les pays pauvres de prêts insoutenables et les forcent à céder un levier stratégique à la Chine(*). Le terme a été utilisé pour la première fois en 2017 et s'est répandu dans les médias, les cercles du renseignement et les gouvernements occidentaux en un an(*). Sa signification originale s'est élargie pour inclure d'autres parties du monde(*). Le terme a été défini plus en détail dans un rapport de 2018 du Belfer Center for Science and International Affairs de la Harvard Kennedy School , qui décrivait la diplomatie du piège de la dette dans le contexte des intérêts géostratégiques chinois(*). La ​​diplomatie du piège de la dette a également été appelée "diplomatie du livre de la dette"(*). Les pays qui n’ont pas encore pris dans ce piège doivent-ils rester prudents?

 

Jonel Dilhomme

Enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti

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