Où est le PM dans tout ça?

L'un de mes anciens étudiants qui est aujourd'hui l'un de mes meilleurs amis et conseillers politiques m'avait, au cours d'un échange sur les problèmes sociopolitiques du pays, rapporté l'un des propos inoubliables d'un prêtre de son prestigieux établissement scolaire de Port-au-Prince. 

 

Selon mon ami, Père Serge, de l'Institution Saint Louis Gonzague, aimait répéter à un élève qui était très intelligent académiquement, mais très plat de caractère, "où est l'homme dans tout ça"? 

 

Partant de cette question de Père Serge à l'élève plat de caractère, j'imagine une visite dans un centre hospitalier abandonné de Port-au-Prince où l'administrateur en chef est démissionnaire, pour poser cette question au peuple haïtien: où est le PM dans tout ce qui se passe dans le pays? 

 

Le bâtiment de l'hôpital et les patients sont abandonnés aux artifices maléfiques des gangs. Mais où est passé l’administrateur en chef? 

 

Situé dans une zone de conflits, ce matin, je me suis rendu à la salle d'urgence de l’hôpital pour constater non seulement que le bâtiment est complètement délabré, mais que ce soit l’administrateur en chef, le personnel médical, les médecins résidents et ceux de services, tout le monde était absent.

 

Comme depuis des mois, l’hôpital fait l’objet de troubles récurrents entravant son bon fonctionnement, donc c’était un centre hospitalier sans électricité, sans matériels de travail, de médicaments et, des malades couchés au sol, livrés à eux-mêmes.

 

Quant aux médecins, ils sont en grève pour revendiquer non seulement un meilleur salaire, mais aussi de meilleures conditions de travail.

 

Tout en constatant l’état de délabrement du bâtiment, au fond, j’ai pu remarquer la présence d’un individu qui, dans l’ensemble, joue le rôle de gardien de ce qui est resté du bâtiment en mauvais état.  Donc j'en ai profité pour lui poser quelques questions.

 

Selon des informations recueillies de cet individu, cela fait longtemps, trop longtemps, depuis que l’administrateur en chef est venu à son bureau. C’est un monsieur qui a été méchamment parachuté par l’oligarchie locale et internationale pour régler leurs intérêts mesquins, mais non pas ceux de la communauté.

 

Depuis qu’il est en poste l’été dernier, on ne l'entend même pas. Je ne sais pas s'il est toujours au pays. Ou s'il est à l'étranger. Honnêtement, je ne sais pas qui dirige l’hôpital , a-t-il fait savoir.

    

Comme il avait besoin de quelqu’un pour parler de sa frustration, il poursuit en disant: à proprement parler, celui qui est en charge de l’hôpital est indubitablement un médecin très valable.  Mais malheureusement un mauvais gestionnaire. Non seulement il ne connaît pas l’institution, mais il ne sait non plus pourquoi il est en poste.  Les mécanismes de fonctionnement de l’hôpital représentent le cadet de ses soucis.

 

Historiquement, le bâtiment de l'hôpital est trop complexe et important pour le laisser aussi longtemps sous l’administration de ce médecin, mauvais gestionnaire.  Il n’a ni le temps, l’énergie et l’envie pour gérer cette institution.  Il y a d’autres administrateurs en Haïti comme à l’étranger qui pourrait faire mieux.  Le médecin ne peut pas. Il ne sait même pas comment improviser, ou tâtonner dans la bonne direction, avait déclaré mon interlocuteur.

 

D'après le gardien, le docteur est un incapable invétéré. Il présente souvent un air très fatigué et semble dépassé par les événements. Est-ce l’effet de l’âge ou simplement les effets symptomatiques d’une négligence pathologique face aux affaires de l’État qu’il est appelé à  gérer pour le malheur de notre chère Haïti mal-aimée. De cet état de lassitude constant qui se développe chaque jour chez l’administrateur, au fil des mois, on sent qu'il n'a plus d'énergie nécessaire pour faire quoi que ce soit.  Et selon ce qu’on rapporte dans les coulisses, cela fait longtemps qu’il voulait laisser cette boîte de Pandore du pouvoir politique haïtien, mais les blancs qui contrôlent tout, veulent le garder encore en poste pour continuer leurs sales besognes, à savoir laisser mourir autant de patients, et ensuite démolir le bâtiment, disait d’un ton ironique, le gardien.

 

Pour quelqu’un qui travaille pendant un bout de temps dans cet hôpital aux abois, non seulement le gardien connait comment fonctionne l’institution, mais en tant qu’un membre du syndicat des travailleurs de l'hôpital, il est très engagé dans la lutte au quotidien contre tout mauvais gestionnaire de la trempe du bon médecin, mais mauvais administrateur qui, depuis des mois, prend le bâtiment en otage.  

 

Vu son implication pour le changement du médecin, jugé mauvais gestionnaire à la tête de l’institution, le gardien ajoutait que l’administrateur ne contrôle rien dans la boîte . Quand ce ne sont pas les blancs qui dictent leurs lois, ce sont les gangs qui sont au chevet des malades pour imposer leurs propres méthodes médico-chirurgicales. Ainsi, faute de staff médical et de médicaments pour traiter les patients, chaque jour, sous les yeux de leurs parents et amis, ils meurent à tout âge, faute de soins appropriés et disponibles.  Mais ce qui est étonnant dans toute cette histoire bordélique, personne ne dit rien.   Ce qui était anormal avant, est devenu plus que normal aujourd’hui.   À quand le grand soulèvement pour chasser ce PM (Premier médecin) à la tête de l'hôpital? s’est insurgé mon interlocuteur.  

 

Comme je n’avais pas une réponse à sa question, je profite pour lui demander quelle est la dernière fois qu’il avait eu son chèque de misère. Avec un sourire moqueur pour quelqu’un qui ne croit pas vraiment au staff dirigeant de l’administration de l'hôpital, le gardien répond qu’il n’a pas eu son salaire depuis plus de 12 mois. 

 

Concernant le bâtiment qui est en très mauvais état, en souriant d’un air moqueur, le gardien plaça sa main sur mon épaule pour dire: mon fils, en maintes occasions, l’administrateur avait été alerté par l’état de délabrement avancé du bâtiment, mais comme ses prédécesseurs qui avaient volé l’argent de reconstruction de l’hôpital, cela ne représente à ses yeux aucune priorité. Actuellement, l’administrateur attend les directives des membres de la USAID ou de la Banque mondiale pour des financements de misères pour un programme de rénovation du bâtiment.    

 

D'un ton comique à quelqu’un qui avait envie de pleurer, le personnage avait pointé du doigt l’espace ou est placé le système d’énergie pour me dire: Comme vous pouvez le constater, depuis des jours, on n’a pas de carburant pour faire fonctionner les appareils de fonctionnement de l'hôpital.  Cela fait des mois que le service de l’Ed’H, de la DINEPA, de sécurité, etc., rien ne fonctionne dans cet espace invivable.  S’il y a quelque chose qui fonctionne à merveille ici, c’est le banditisme. 

 

Face à l’insécurité grandissante, avec des noms qui cachent des criminels redoutables, on nage en plein chaos ici.  Ils sont des centaines à nous persécuter chaque jour.  Ils sont aussi des animaux méchants qui impunément  kidnappent, violent et tuent les paisibles citoyens dans la zone.  Ils ont fait du bâtiment leur repaire pourri de crimes odieux.  Et jusqu’à présent s’ils ne m’ont pas encore kidnappé, c’est parce qu’ils savent qu’il y a des mois que je n’ai pas eu mon salaire.  Ils représentent le service d’intelligence le plus sophistiqué de notre république bananière. 

 

D’un sourire provocateur, mon interlocuteur ajoute: si vous pensiez qu’ils sont seuls dans cette sale affaire, vous vous trompez grandement.  Je réponds: je ne comprends pas.  Je veux dire qu’il ya des politiciens, des hommes d’affaires, des policiers, etc. dans cette saleté, avait-il dit.   

 

Je réplique, mais, comment ça?

 

Avant de répondre à ma question, le gardien qui était très abondant dans ses réponses, d’un coup était devenu prudent.  Il m’avait demandé de ne pas citer son nom.  Comment ça ?, je dis.   Je ne suis pas journaliste.  Et si je l’étais, je serais dans l’opposition. À cette réponse, le gardien ouvre grandement ses yeux pour me dire: Vous me faites rire monsieur.  Vous parlez de quelle opposition? Celle qui est toujours en opposition à elle même ou celle qui fait équipe avec le bon médecin, mais mauvais administrateur?   

 

Pour calmer sa peur, je réponds:  je comprends votre préoccupation.  Je ne suis ni journaliste ni membre de l’opposition qui se positionne pour un poste.  Je suis tout simplement un patriote.  Je vous garantis que je ne vais pas citer votre nom, faites-moi confiance   à cette phrase, il se sent plus confortable pour faire les révélations suivantes. 

 

Ainsi, il enchaîne : comme le bâtiment, sans électricité, en état de délabrement, patauge dans les eaux sales, des boues et des montagnes d’ordures, chaque soir, des insectes dérangeaient toujours mon sommeil.   C’est ainsi, un soir, il était après 10 heures, quand j’ai vu arriver une grosse voiture de couleur noire, immatriculée service de l’État.  Vous n’allez pas me croire, j’ai vu descendre des parlementaires très connus, avec deux grosses enveloppes jaunes maculées de sang.  Ils étaient venus rencontrer le chef des bandits pour négocier des actes déshonorables sur la population.  Il y a de cela un mois, ces honorables parmi les plus déshonorables de la république étaient accompagnés d’un ancien ministre, des policiers et d’une jeune dame qui était directrice de l’une des boîtes de l’État.  

 

Pour me ridiculiser, il ajoutait: je ne pense pas que je vous apprends rien de nouveau.  De toute façon, ce n'était pas la première fois. Et ce ne sera pas la dernière fois non plus.  Donc, croyez-moi, l’hôpital est piégé .  

 

Donc, le PM (Premier médecin de l’hôpital) est inefficace.  Les bandits imposent leurs propres lois aux patients ainsi que dans des quartiers périphériques de l’hôpital.  Dans de telles conditions , pour quelqu’un qui n’a ni la légitimité ni la volonté de faire quoi que ce soit, le docteur administrateur ne devrait rien faire sinon que de remettre sa démission, avait conclu mon interlocuteur  qui exprimait, à cœur ouvert, son ras-le-bol par rapport au délabrement de l’institution, l’insécurité galopante, le kidnapping, le viol, le vol, la corruption, et pire, la désinvolture et la complicité des autorités infernales avec soldats apocalyptiques répandant  mort urbi et orbi. 

 

Prof. Esau Jean-Baptiste

 

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